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Lire la Bible - 17. L'eau du rocher Imprimer


Jacques Chopineau

Pas d’étude «scientifique» qui ne définisse son champ d’études. Le champ des études historique est le passé. L’abondance de la documentation contraint d’ailleurs les historiens à diviser le champ en un grand nombre de parcelles : Il y a autant de spécialités que de périodes et, parfois, autant d’approches que de spécialistes. Mais dans tous les cas, le champ étudié appartient au passé. Mais il n’est pas de science de la lecture parce que la lecture n’est pas un champ d’études. Le texte parfois, non la lecture. Et de même qu’il n’y a pas de lecture sans lecteur, il n’y a pas de sens sans quête de sens, sans attente, sans désir.

La lecture n’est pas un champ d’études parce qu’elle n’existe pas «en soi». Elle est toujours le fait du lecteur. Comme le remarquait un grand connaisseur des lectures anciennes en milieu judéo-palestinien, “un texte n”est pas une chose en soi ni pour soi. C’est un réceptacle de possibilités» (30). Et la lecture est tournée vers l’avenir, non vers le passé. On peut bien faire l’histoire des lectures passées, mais non indiquer «scientifiquement» les lectures possibles, sauf à considérer (par impossible) tous les lecteurs possibles… Il va de soi qu’une lecture s’inscrit dans des contextes culturel, religieux, individuels particuliers. Toute lecture est contextuelle. Faire droit à la lecture signifie : faire droit à la situation propre du lecteur.

À quoi la chose est-elle semblable ?
Le rocher les suivait, «... et tous burent le même breuvage spirituel ; car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait : ce rocher, c’était le Christ». (31) L’apôtre Paul commente ici le fameux passage du Livre de l’Exode où Moïse frappe le rocher de son bâton en faisant jaillir de l’eau, afin de donner à boire au peuple (Exode 17/5-7). Il suit une vieille tradition de lecture du texte de l’Exode.

Nécessairement le rocher les suivait, puisqu’ils devaient boire tous les jours, et tout au long de leur marche de 40 ans dans le désert. Cela ne fait problème que pour ceux qui voudraient prendre le texte au pied de la lettre. Ou bien pour ceux qui voudraient remplacer la lecture du texte par une étude historique, en utilisant «la méthode de la grande ceinture». Ou bien encore en cherchant «comment le texte produit du sens» sans le lire comme il me parle. Il est autant de manières de lire que ne pas lire…

Un tel rocher ambulant ne porte l’eau qu’à ceux qui sont en chemin. Pour qui s’arrête, l’eau est tarie. Car celui s’arrête, s’éloigne toujours plus d’une source en mouvement. La religion, dit un sage, est «une route vers Dieu : une route n’est pas une maison». Le peuple voit la nuée devant lui (Nombres 9/22; 10/11) tandis que le rocher, la source, le suit. Images symboliques d’une longue marche vers la liberté.

À ceux qui tentent de sortir de l’esclavage du quotidien, la question est posée de savoir quelle source les alimente. Quel rocher les accompagne ? Non pas seulement: quelle la ligne de ton horizon ? que places-tu devant toi ? Mais : où puises-tu ton eau ? d’où tires-tu l’eau vive qui te permet d’avancer ? Pour reprendre les termes de l’apôtre Paul : quel est ton «breuvage spirituel» ?

Le chemin est long et parfois difficile. Mais le «sens» d’un chemin, c’est le lieu où il mène. La raison d’une route, c’est le but qui est le sien. Et lorsque le chemin devient obscur, logiquement incertain, indistinct pour le regard de la pensée claire, c’est alors qu’il doit retrouver la question : quel est le rocher qui me suit et dont je tire, dans mon désert, l’eau vive qui me donnera de faire un pas nouveau ?

Une telle lecture ne suppose aucune «méthode» particulière (mais n’en exclut aucune). Dans tous les cas, rien peut remplacer la lecture personnelle du texte «dans son état actuel». «Tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux» (32). Le lecteur est ce «scribe du royaume» : il tire de son trésor (qui est l’Écriture), selon ses besoins, l’ancien et le nouveau.

Jacques Chopineau, Lire la Bible, Ed. de l'Alliance, Lillois, 1993, p.48-50

(30) Marcel Jousse, La manducation de la parole, Paris, 1975
(31) 1 Corinthiens 10/4
(32) Matthieu 13/52