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Bible et Liberté |
Lire la Bible - 17. L'eau du rocher | Imprimer |
Pas d’étude «scientifique» qui
ne définisse son champ d’études. Le champ des études
historique est le passé. L’abondance de la documentation
contraint d’ailleurs les historiens à diviser le champ en
un grand nombre de parcelles : Il y a autant de spécialités
que de périodes et, parfois, autant d’approches que de spécialistes.
Mais dans tous les cas, le champ étudié appartient au passé.
Mais il n’est pas de science de la lecture parce que la lecture
n’est pas un champ d’études. Le texte parfois, non
la lecture. Et de même qu’il n’y a pas de lecture sans
lecteur, il n’y a pas de sens sans quête de sens, sans attente,
sans désir. La lecture n’est pas un champ d’études
parce qu’elle n’existe pas «en soi». Elle est
toujours le fait du lecteur. Comme le remarquait un grand connaisseur
des lectures anciennes en milieu judéo-palestinien, “un
texte n”est pas une chose en soi ni pour soi. C’est un réceptacle
de possibilités» (30).
Et la lecture est tournée vers l’avenir, non vers le passé.
On peut bien faire l’histoire des lectures passées, mais
non indiquer «scientifiquement» les lectures possibles, sauf
à considérer (par impossible) tous les lecteurs possibles…
Il va de soi qu’une lecture s’inscrit dans des contextes culturel,
religieux, individuels particuliers. Toute lecture est contextuelle. Faire
droit à la lecture signifie : faire droit à la situation
propre du lecteur. À quoi la chose est-elle semblable ? Nécessairement le rocher les suivait, puisqu’ils
devaient boire tous les jours, et tout au long de leur marche de 40 ans
dans le désert. Cela ne fait problème que pour ceux qui
voudraient prendre le texte au pied de la lettre. Ou bien pour ceux qui
voudraient remplacer la lecture du texte par une étude historique,
en utilisant «la méthode de la grande ceinture». Ou
bien encore en cherchant «comment le texte produit du sens»
sans le lire comme il me parle. Il est autant de manières de lire
que ne pas lire… Un tel rocher ambulant ne porte l’eau qu’à
ceux qui sont en chemin. Pour qui s’arrête, l’eau est
tarie. Car celui s’arrête, s’éloigne toujours
plus d’une source en mouvement. La religion, dit un sage, est «une
route vers Dieu : une route n’est pas une maison». Le peuple
voit la nuée devant lui (Nombres 9/22; 10/11) tandis que le rocher,
la source, le suit. Images symboliques d’une longue marche vers
la liberté. À ceux qui tentent de sortir de l’esclavage
du quotidien, la question est posée de savoir quelle source les
alimente. Quel rocher les accompagne ? Non pas seulement: quelle la ligne
de ton horizon ? que places-tu devant toi ? Mais : où puises-tu
ton eau ? d’où tires-tu l’eau vive qui te permet d’avancer
? Pour reprendre les termes de l’apôtre Paul : quel est ton
«breuvage spirituel» ? Le chemin est long et parfois difficile. Mais le «sens»
d’un chemin, c’est le lieu où il mène. La raison
d’une route, c’est le but qui est le sien. Et lorsque le chemin
devient obscur, logiquement incertain, indistinct pour le regard de la
pensée claire, c’est alors qu’il doit retrouver la
question : quel est le rocher qui me suit et dont je tire, dans mon désert,
l’eau vive qui me donnera de faire un pas nouveau ? Une telle lecture ne suppose aucune «méthode» particulière (mais n’en exclut aucune). Dans tous les cas, rien peut remplacer la lecture personnelle du texte «dans son état actuel». «Tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux» (32). Le lecteur est ce «scribe du royaume» : il tire de son trésor (qui est l’Écriture), selon ses besoins, l’ancien et le nouveau. Jacques Chopineau, Lire la Bible, Ed. de l'Alliance, Lillois, 1993, p.48-50 (30) Marcel Jousse, La manducation de la parole, Paris, 1975 |