Jonas
: La colombe, la ville, l’épée…
Existe-t-il
un personnage historique connu sous le nom de Jonas ?
Oui
et non : tout dépend de quoi l’on parle. Bien
sûr, le livret nous réfère au nom d’un
prophète très ancien (Cf II Rois 14,25). Un
prophète, d’ailleurs, sur lequel on ne sait
rien, mais qui a existé à une époque
où Ninive était la capitale de l’empire
assyrien. Plusieurs siècles ont passé depuis
cette époque lointaine. Le nom du prophète
Jonas –nom donné, bien après le retour
de l’exil babylonien- est ce qui nous occupe ici.
C’est au-delà de l’histoire qu’il
convient de chercher ce que ce nom évoque. La vérité du
récit biblique déborde largement toute exactitude
de type historique. La « vérité » d’un
récit biblique est dans ce qu’il me donne à voir
et à comprendre. Dans ma lecture, donc. La vérité est
cela seulement qui transforme ma compréhension.
Il faut se rappeler que, pour l’auteur du livret de
Jonas, les Ecritures anciennes sont présentes aujourd’hui,
comme en tous les temps. Elles sont le miroir des réalités
actuelles et donnent de les comprendre. Les Ecritures anciennes
sont aussi un grand répertoire dans lequel tout lecteur
peut puiser pour déchiffrer le présent. C’est
ce qui est fait dans le livret, de multiples manières.
Bornons-nous ici au nom du « prophète » :
un nom symbolique.
Le mot « yona » (le
nom hébreu
de Jonas) est non seulement un nom propre, mais aussi un
nom commun
(« yona» = colombe »)
et un qualificatif (participe féminin du verbe YaNaH = « être
violent », « opprimer »).
Cette dernière
forme homonyme du nom propre Jonas se lit quatre fois dans
le texte biblique. Le terme « yona »
qualifie la colère de Dieu (Jérémie 25,38),
l’épée
mandée par Dieu contre l’Egypte (Jérémie
46,16) et contre Babylone (Jérémie 50,16)
Ce participe (employé comme adjectif qualificatif)
qualifie aussi la ville de Jérusalem (la ville appelée « colombe »)
en Sophonie (1). La désignation n’est pas nouvelle
(Cf Osée 7,11 ; 11,11 ; Psaume 68,14 ; cp Cantique
2,14), mais suppose, pour être comprise, un grand entraînement à la
relecture des textes anciens.
N’en déplaise aux savants exégètes
modernes, les arguments puisés dans l’histoire
ou dans l’exactitude grammaticale sont ici de peu de
poids. Le lecteur est invité à une compréhension
profonde et les termes du récit ne sont que les degrés
de ce grand escalier qui mène à la compréhension.
La colombe du déluge
Jonas (Yona)
est aussi un nom propre : celui du prophète « auteur » du
livret qui porte ce nom. C’est d’ailleurs le
seul des prophètes bibliques dits « écrivains » (les
3 « grands » et les 12 « mineurs »)
qui soit cité dans le texte coranique. Et c’est
un prophète dont l’iconographie chrétienne
a abondamment illustré les aventures, au fil des siècles.
Dans le récit biblique (Genèse
8,11), une colombe ( yona)
annonce la fin du grand déluge. Sur la terre
enfin sèche, la colombe est le signe d’un monde
nouveau -pour une humanité qui commence. La fiction
narrative du livret de Jonas est à lire symboliquement.
Le prophète « colombe » annonce la naissance
d’un monde marqué par cette « repentance » ouverte à tous,
même à la païenne Ninive. Ce « retour » (en
hébreu : techouva) est la metanoia des
chrétiens
ou encore le « retour » (à Dieu)
des musulmans.
Le lecteur du livret de Jonas est ainsi invité à découvrir, à travers
un « jeu » complexe d’associations et de
réminiscences, un enseignement de l’ancien prophétisme
sur la repentance et sur la miséricorde divine. Le
texte abonde de relectures (principalement des livres des
Psaumes, d’Osée et de Jérémie).
De fait, le récit (la fiction narrative)
n’est
que le vêtement d’une relecture profonde de l’histoire
de Jérusalem à la lumière de la situation
présente qui est celle de la domination perse –et,
donc, du grand éclatement que cela signifie.
C’est là une nouvelle vision du monde, à une époque
où l’ancien Israël est éclaté en
multiples diasporas lointaines. Jérusalem est toujours
un centre religieux, mais non plus la capitale d’un
royaume indépendant. Du coup, l’ancienne religion
nationale est perçue sous un jour nouveau.
L’épée destructrice fut en un temps celle
de Jérusalem (et de nos jours ?), puis ce fut celle
de Ninive et de la puissance assyrienne. Ensuite, ce fut
celle de Babylone. C’est aujourd’hui (à l’époque
de Jonas) celle du grand empire perse. Ces violences, en
leur temps, ont signifié, la mort pour la petite Judée.
Le prophète Yona annonce la fin de cette logique de
domination. Même Ninive –l’antique capitale
de la terrible Assyrie- se convertit ! La colombe « yona » avalée
par le grand poisson est analogue au petit Israël captif
du grand empire. Comme Jonas, Israël a été avalé (cf
Osée 8,8). Mais, de ce fait, le Nom de Dieu est connu
par les nations lointaines (cf Malachie 1,11).
Dans le récit biblique, la capitale du grand empire
(symboliquement : Ninive) écoute la voix du prophète.
Le nom de la ville est d’autant plus symbolique que –dans
l’ancienne écriture cunéiforme en usage
pour noter la langue des assyriens et des babyloniens- le
nom de Ninive comporte la figure d’un poisson dans
une ville. Ce grand poisson a « avalé » le
prophète…
La colombe (comme celle du déluge) est le signe visible
du monde nouveau qui s’ouvre alors aux yeux des contemporains.
Et de nos jours ?
Jacques Chopineau, Genappe, le 7 octobre 2004
(1) La traduction de
la Bible du rabbinat (en accord avec plusieurs
interprétations anciennes) pour le texte de Sophonie 3,1 est : « Hélas,
elle est salie et souillée, la ville (étourdie) comme une colombe ».
Les anciennes versions grecque et latine faisaient une interprétation
analogue. Seule la version syriaque lit : « La ville de Jonas »,
non –comme on l’a dit- par erreur et « contre toute grammaire »,
mais par une interprétation qui suppose une relecture profonde (non la
seule, certes !).
Lire aussi, du même auteur : "La
colombe avalée" |