3.
Récit de la « Chute »
Ce récit de Genèse 3 a marqué
l’histoire de notre occident. Terriblement. Pendant
des siècles, on a voulu y voir l’irruption du
péché dans le monde. Un péché
pour ainsi dire « héréditaire »
puisque par la faute d’Adam, tous les humains sont pécheurs.
En lui « tous ont péché »
et seul le baptême avait le pouvoir d’effacer
cette « faute » originelle. Une « faute »
sexuelle en premier lieu.
C’est ce qu’on a enseigné
pendant des siècles et qui est répété
encore, de nos jours. Mais un enseignement ancien n’est
pas une « vérité » intelligible
aujourd’hui. Certes, pour qu’il y ait un « salut »,
il faut bien qu’une « faute »
soit pardonnée. Une religion sans « salut »
serait un non-sens. De là, l’importance doctrinale essentielle de ces lectures. Mais le texte de Genèse
3 parle-t-il de cela ?
Notre propos n’est pas de polémiquer.
L’histoire de ces lectures « traditionnelles »
en Occident a d’ailleurs largement été
faite (1). Il importe de se demander ce que dit ce texte qui
ne parle ni de « péché »,
ni de « chute », ni de « pomme »
(mots absents du texte).
Deux mots sur la « pomme »
qu’on a voulu trouver ici. Il faut se souvenir que la
Bible chrétienne a été - pendant des
siècles - sa
traduction latine seule. Le petit peuple n’entendait
pas le latin, mais les clercs l’avaient appris. Or en
latin, « le mal » se dit "malum"
(a long) ; tandis que "malum" (a bref) signifie « le
pommier ». Les accents n’étant pas notés, le passage
de l’un à l’autre était facilement
fait.
D’autant que la prière du Notre
Père se terminait par « libera nos a
malo » (délivre-nous du mal). Et que
dans la traduction de l’ancienne Vulgate, le texte de
Cantique des cantiques 8,5 était : « sub
arbore malo »
Le texte hébreu de ce verset du Cantique
est parfaitement clair : « sous le pommier ».
La traduction latine est en soi correcte, mais il faut lire
justement un a bref, sans quoi l’on va voir dans
ce pommier, l’arbre du mal….. C’est ce qui
a été fait et qui a fini par passer dans la
langue courante. Adam a croqué la pomme ! Malheur
à nous… Laissons ce calembour fondé sur
une particularité lexicale propre au latin.
Il importe de rappeler que ces textes concernent
tout homme. « Adam » signifie « genre
humain ». Bibliquement, il n’existe qu’une
seule race humaine. Parler encore de « races »
est une absurdité. Des cultures diverses, des langues
différentes, des différences dans la pigmentation
de la peau…. ne créent pas des « races » !
Les racismes existent, certes, mais les « races »
humaines n’existent pas.
Ce texte de Genèse 3 contient beaucoup
d’enseignements. Bornons nous ici à un élément
fondamental qui est la clé de la compréhension
de l’ensemble du texte. Il est écrit :
…
Leurs yeux s'ouvrirent et ils surent qu'ils étaient
nus… Genèse 3,7
Le grand commentateur Rachi fait observer que
même des aveugles savent qu’ils sont nus. L’ouverture
des yeux n’a rien à faire avec la prise de conscience
d’une telle nudité. D’ailleurs, le texte
ne dit pas : « et ils virent qu’ils
étaient nus », mais « ils surent ».
Il est question, non d’une nouvelle vision, mais d’une
nouvelle connaissance…
Tout le texte porte sur la connaissance. Il
y aura d’ailleurs - dans la suite du récit -
un arbre pour cela. Et chaque saison portera ses fruits nouveaux,
sans fin. Manger un fruit est le début inévitable
d’une consommation qui ne prendra jamais fin. Situation
de tous les temps. Et comme le remarquait l’Ecclésiaste
(le terrible Qohelet) :
Qui augmente la science augmente
la souffrance. Ecclésiaste 1,18
Mais il est clair que le chemin de tout homme
est de savoir toujours plus. Il n’est pas d’échappatoire
à cette montée du savoir, facilement ou difficilement,
pour le bien comme pour le mal. Et de même que chaque
saison produit de nouveaux fruits, chacun, en son temps, mangera
son premier fruit.
Remarquons que l’arbre de la science ne
donne pas la connaissance « du bien (d’une
part) et du mal (d’autre part)», mais de
« tout ». Il est courant en hébreu
de désigner la totalité par ses deux extrêmes.
« Le jour et la nuit » signifie le jour
complet. De même, si j’ai vu quelqu’un et
que je ne lui ai dit « ni bien, ni mal »,
cela signifie que je ne lui ai rien dit du tout. Connaître
tout est le but - lointain mais normal - de toute science
humaine.
Il n’est pas de limite à la connaissance
-pour le meilleur et pour le pire. Et la connaissance sexuelle
n’est qu’une petite partie de cette démarche.
On dit « Adam connut sa femme ». Le
même verbe est utilisé en hébreu pour
dire « connaître Dieu ». Dans
tous les cas, ce savoir est expérimental ou bien n’est
pas.
La connaissance n’est évidemment
pas maudite ! Simplement, il est possible d’en
faire un bon ou un mauvais usage. On reconnaît l’arbre
à ses fruits. C’est là le problème
de tout homme. Et plus les fruits seront nombreux, plus il
sera difficile d’en faire un bon usage. Le choix est
l’attitude religieuse fondamentale.
Jacques Chopineau,
Genappe 14 juin 2003
(1) Une image saisissante est donnée
- pour les relectures, en Occident, du 13ème
au 18ème siècles - dans ce gros travail
d’historien : J. Delumeau : Le péché
et la peur, La culpabilisation en Occident,
Paris 1983.
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