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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

 

 

   


Genèse.
Les premiers chapitres de la Bible…

 

 

4. Maudit Caïn

Caïn est le nom du premier fils d’Adam. Sa mère - qui le nomme - donne la raison pour laquelle elle l’appelle ainsi :
L’homme connut Eve, sa femme. Elle conçut et enfanta Caïn. Elle dit : j’ai acquis un homme avec l’Éternel. Elle continua d’enfanter : son frère Abel. Or Abel fut berger de petit bétail et Caïn cultivateur.
Genèse 4,1

Les noms bibliques ne sont pas donnés au hasard ! L’aîné Caïn (Qayin) est nommé d’après « j’ai acquis » (qaniti). Et en effet, les « acquisitions » marqueront la vie de Caïn et de sa descendance. Les produits de la terre. Mais aussi la première ville qui portera le nom du fils de Caïn : Hénoch (Genèse 4,17). Et plus tard, les musiciens, les fabricants d’outils de fer et de bronze (Genèse 4,21-22).  C’est Caïn-toujours-plus. Toute civilisation est caïnite.

D’Abel le berger, par contre, il ne restera rien puisqu’il meurt sans enfant. Comme son troupeau, il passe et ne possède rien. Le nom même est frappant pour tout hébraïsant : Abel (hebel) signifie : buée, vapeur, haleine, souffle léger…

Ce mot sera d’ailleurs en hébreu biblique une métaphore du néant. Surtout après l’usage qu’en fera  l’Ecclésiaste (Qohelet) : « Buée de buées » ou « néant de néants » ou « Abel d’Abel »… (Ecclésiaste 1,1 et souvent dans la suite de ce texte). Ce terme est souvent traduit (par imitation du latin vanitas) : « Vanité de vanités ».

Ainsi, pour le lecteur du texte original, il est clair, dès le début du récit, que de Caïn il restera toujours plus d’« acquisitions » et qu’Abel est voué à disparaître.  De même, la civilisation (agricole et citadine) est destinée à remplacer l’état semi-nomade des éleveurs d’ovins.
Cependant, contre toute attente, Abel aura une descendance !

Mais Adam connut encore sa femme. Elle enfanta un fils et elle l’appela Seth (Chét) car Dieu m’a attribué (chât)  une autre descendance à la place d’Abel que Caïn a tué. Et à Seth aussi fut engendré un fils. Il l’appela du nom d’Enoch. Alors, on commença d’invoquer le nom de l’Éternel. 
Genèse 4,25-26

« Enoch » (ou « Enosh ») est un mot qui signifie « homme » (considéré dans sa faiblesse). C’est le mot que l’on retrouve en araméen (‘enash) ou en arabe (‘insân) et qui a donné, en hébreu, le pluriel « hommes » (‘anashîm). C’est ici un nom propre. Et c’est le nom de tous les humains mortels et fragiles…

Notons que la généalogie qui suit (Genèse 5) ne reprend - sous le titre « Les engendrements d’Adam » - que les noms des seuls descendants d’Adam et Seth (donc d’Abel !) pour aboutir à Noé. Ce qui signifie qu’aucun descendant de Caïn ne traversera le déluge ! Il y a là un jugement terrible porté sur cette civilisation dont nous sommes tous les enfants.

Les scribes anciens qui ont mis en forme ces textes,  portent dans ces chapitres (1 à 11) un jugement sans indulgence sur cette humanité. Tout ira de mal en pis depuis le « jardin » perdu sans retour, le « premier » meurtre… et bientôt le déluge et enfin la perte de la « langue » commune.

Le fait que Genèse 5 (et d’autres textes) soient d’une « source » différente, ne change rien au plan global de ces textes. Plus précisément - dans le cas présent - cela ne change rien au fait que cette généalogie de Genèse 5 ait été placée là et non ailleurs. Cela ne donnera d’ailleurs que plus de poids à l’histoire qui commencera « après » cette histoire des origines : l’histoire qui s’ouvre avec les patriarches.

C’est l’intention des rédacteurs terminaux qui commande. Non l’histoire de la formation du texte. Et c’est cette intention qui peut éclairer une lecture actuelle.

Jacques Chopineau, Genappe, 15 juin 2003