CORRESPONDANCE UNITARIENNE    mai 2006

Faut-il donc que les théologiens se fassent mathématiciens ?

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unitariennes


n° 55

Parole attribuée à Pierre Abélard :
"Dieu a dit : 'Je suis la Vérité'. Il n'a jamais dit 'Je suis ce que vous avez l'habitude de croire".
Michel Guillaume, Carnet de bord, réflexions, énigmes et paradoxes (inédit
)

Faut-il donc que les théologiens se fassent mathématiciens ?
par François Papin

Au commencement était la Parole et la Parole s’est faite chair. Or nous savons tous que la chair existait avant la parole. Les hommes sont fiers de leur supériorité dans le monde grâce à la puissance de leur pensée. Et chacun de regarder le monde à partir de son point de vue, le foyer, la focale. C’est normal, c’est spontané. Il faut de gros efforts pour produire des objectifs à décentrement : accepter de redresser l’image apparente pour atteindre à une image plus proche de la réalité. Accepter de regarder le monde sans être au centre du regard nous met mal à l’aise, perturbe nos régulateurs d’équilibre (oreille interne), nous donne la nausée, le vertige. Nous plaçons donc la Pensée, la Parole au centre ultime : l’origine du monde.

En fait, nous ne faisons qu’un égocentrisme, un anthropomorphisme de plus. Nous nous plaçons, nous plaçons notre pensée au centre de tout. Parce que nous sommes au centre de notre regard. Indépendamment de discourir de l’existence d’un être d’ordre supérieur à la nature (problème que nous baptisons « de l’existence de Dieu »), il est évident que les hommes ont créé Dieu à leur image et pas le contraire. Nous sommes incapables de saisir des réalités qui nous soient radicalement extérieures dans leur réalité propre.

Pour en discourir, nous devons avoir recours à des images, des comparaisons, des analogies, des paraboles. Lorsque nous tentons de parler de Dieu, nous le créons à notre image. Nous sommes incapables de dire quoi que ce soit de Lui qui ne soit le reflet de notre propre réalité. Sagesse des Juifs qui s’interdisaient de prononcer Son Nom. Sagesse de tous ceux qui s’interdisent de fixer des images. Mais il faut une très forte formation intellectuelle pour développer une pensée hors de toute image. Les éducateurs avaient raison : le Peuple a besoin d’images.

Les paraboles sont, par nature, anthropomorphiques. Jésus parlait à des bergers, en langage de berger. Il a voulu amener Dieu jusqu'à nous. Penser que nous puissions aller jusqu'à Dieu, c'est bien orgueilleux. Imiter Jésus, ce n'est pas utiliser un langage de berger, c'est parler, comme lui, le langage de notre temps : celui des cosmonautes, des astrophysiciens, des physiciens nucléaires, des généticiens. « Notre Père, qui est aux cieux », notre prière préférée, commence par deux absurdités : Dieu n'a pas de chromosome Y et Il n'habite pas aux Cieux. Traduire, ce n'est pas trouver le mot équivalent, c'est trouver l'idée équivalente dans notre propre culture. les cosmonautes disent : « on ne regarde plus la Terre de la même façon quand on en a fait le tour en 90 minutes » ; « on doit revoir beaucoup d'évidences quand on vit en apesanteur ».

Regardons le discours actuel sur l’origine du monde : dans le premier milliardième de seconde, il s’est passé plus de choses que dans les 15 milliards d’années suivantes. D’ailleurs, ‘seconde’ n’a plus de sens ; on ne compte plus le temps en secondes, mais en degrés : au temps où la température était supérieure à mille milliards de degrés. Nul n’est besoin de s’essayer à la réflexion théologique pour être frappé de vertige.

Tous les spécialistes le disent : notre outillage mental est adapté au monde qui nous entoure. Dès que nous tentons de regarder vers des mondes différents : infiniment grand, infiniment petit, infiniment complexe, infiniment lointain, nous perdons pied. Nos techniques de raisonnement par analogie sont efficaces pour décrire des réalités différentes, mais proches. Elles sont inopérantes pour tenter de décrire l’infini. Les spécialistes le disent : pour penser le tout autre, il faut accepter d’utiliser des outils de raisonnement autres. L’analogie devient inappropriée contre-productive même. Cela est valable dans la description du monde physique : la Science. Au delà d’une certaine ‘distance’, seul l’outillage mathématique de description reste valable.

Combien cela doit-il être pris en compte dans les tentatives de description de Dieu : la théologie. Toutes nos bibliothèques de descriptions ‘à l’image de l’homme’ ne sont que rideau de fumée. L’homme d’aujourd’hui, qui est capable de maîtriser les équations de la physique nucléaire et celles de l’astrophysique, doit être capable de forger un langage adapté à l’exploration de la notion de Dieu, s’il veut que cette notion continue d’avoir droit de siéger parmi les préoccupations d’aujourd’hui. Nous proclamons : Dieu est infini. Comment savons nous parler de l’infini ? Petite mathématique du divin. Dieu est infini. L’infini absorbe tout. On ne peut rien ajouter à l’infini. 1 infini + 1 infini = 1 infini ; éclairage intéressant sur : 1 personne divine + 1 personne divine + 1 personne divine = 1 seul dieu. Cela n'explique pas ; cela montre simplement qu'une idée, choquante dans notre monde, peut-être parfaitement admissible dans un univers mathématique très accessible.

Nous aimons les expressions du type « le roi des rois », qui sont des réalités d’ordre 2. Il y a l’arbre et nous avons conçu la forêt. Il y a la chaise et la table et nous avons conçu le mobilier. Notre cerveau aime ainsi forger des réalités d’ordre 2. Il y a la vitesse et la vitesse de la vitesse qu’est l’accélération. Il y a la moyenne et la moyenne de la moyenne, à savoir l’écart type. Notés : g1, g2 (gamma), mais il y a aussi g3, g4 (coefficient d’aplatissement, coefficient d’asymétrie). Notre cerveau est d’une puissance presque infinie car il sait poursuivre un raisonnement. Surprise ! il constate que, en passant d’une réalité d’ordre 2 à une réalité d’ordre 3, il ne se livre pas à un simple jeu d’esprit puisque la réalité d’ordre 3 est observable dans la nature.

Dieu : h2, c’est-à-dire l’homme de l’homme ? Et à quoi correspond le dieu des dieux ? à h3 ? Et qui est capable de concevoir h4 ? Le raisonnement se retourne : l’accélération est la primitive de la vitesse, la vitesse est la dérivée de l’accélération. L’homme : d2 ? Y aurait-il un d3, d4 ?

François Papin