CORRESPONDANCE UNITARIENNE    juin 2004

Les chrétiens libre d'Outre-Manche

Actualités
unitariennes


n° 32

« S'il ne se passe rien, on peut dire que, dans un siècle,
il ne restera en Europe plus grand-chose du christianisme.
Mais il peut être totalement transformé par des innovations
dont nous n'avons pas aujourd'hui la moindre idée »
Marcel Gauchet

Les chrétiens libres d'Outre-Manche
sont en avance sur nous

par Jean-Claude Barbier

L'histoire religieuse en Grande-Bretagne est marquées par un pluralisme chrétien. A partir du schisme de 1534, l'anglicanisme est la religion officielle, mais le catholicisme a pu se maintenir. La lecture individuelle de la Bible a fait le reste, car elle encourage indéniablement à l'éclosion de congrégations hors mur : les « puritains », les quakers, les unitariens ; ou encore de multiples mouvements de réveil : les méthodistes, les salutistes, lesquels sont devenus des Eglises à part entière, et aujourd'hui, des courants transversaux comme les charismatiques et les évangéliques qui multiplient les Eglises de maison. Mieux, l'Eglise anglicane, ayant pris conscience de la fin d'un christianisme classique et tenant le plus grand compte des sciences humaines, accepte qu'une mouvance chrétienne informelle émerge, non reliée aux institutions existantes, … en espérant qu'elle pourra le faire ultérieurement. Cette Eglise fait preuve ainsi d'une grande flexibilité, contrairement à l'Eglise catholique romaine en France dont la hiérarchie vieillit rapidement et n'a pas su acquérir l'once d'une autonomie par rapport aux directives du Vatican comme l'a prouvé l'affaire Gaillot en 1995.

L'unitarisme est bien implanté en Grande-Bretagne et compte en ce début de siècle quelques 183 congrégations, 137 ministres de culte, et environ 6.700 fidèles adultes. La première manifestation unitarienne, un tract niant le dogme de la Trinité, date de 1647 ; mais il faudra attendre 1774 pour qu'une première congrégation se constitue à Londres (dans une clandestinité qui durera jusqu'en 1813). Ce sont ces unitariens qui, à la fin du XIXème siècle, sous l'influence de l'Anglais James Martineau (1805-1900) dont la théologie fut plus rationaliste et moins confessionnelle et qui prôna une ouverture du christianisme et l'inscription de l'unitarisme au sein des Eglises libérales, vont - les premiers - parler d'un christianisme « libre ». 300 Eglises libérales du Royaume britannique s'organisent en une Free Christian Union. Celles-ci fusionnent en 1928 dans la General Assembly of Unitarian and Free Christian Churches (l'Assemblée générale des Eglises unitariennes et chrétiennes libres).

Quel est le rôle joué par l'unitarisme britannique dans l'émergence de ces nouvelles communautés hors Eglise ? Jean Hassendorfer (voir ci-dessous la rubrique « bibliographie »), qui suit attentivement cette dynamique, n'en parle pas. Faut-il en conclure à son isolement par rapport aux autres composantes chrétiennes à la fois à cause de son anti-trinitarisme et de son ouverture résolue à des non croyants ?
A moins que les vagues charismatiques et évangéliques ne masquent les autres initiatives ?
J. Hassendorfer mentionne par exemple le succès des cours Alpha, mis au point par une Eglise anglicane londonienne, qui s'adressent à des animateurs locaux, lesquels sont bien insérés dans leur propre milieu et peuvent réunir autour d'eux, en petits groupes, des personnes désireuses d'une recherche spirituelle (www.coursalphafrance.org). Ces cours sont utilisés par des mouvances les plus diverses, et, en France, même l'Eglise catholique en a accepté le contenu quoique après vérification et quelques rectificatifs !

Promoteur d'un christianisme qui affiche sa liberté, éducateur avec l'important « collège » de niveau universitaire qu'est le « Manchester College » à Oxford* et celui de Manchester, le «Unitarian Collège », héritier d'une longue tradition historique qui compte en ses rangs nombre de scientifiques et de philosophes, l'unitarisme en Grande-Bretagne a assurément des atouts importants pour jouer un rôle dans la gestation d'un christianisme phénix entrain de renaître de ses cendres.

* Lucienne Kirk, co-fondatrice et première présidente de l'Association unitarienne francophone (AUF), y a soutenu un mémoire de maîtrise de théologie, en 1986 : « Exposé des thèses de James Luther Adams sur Dieu, les Eglises, les croyants et les Ecritures ». Ce collège est devenu depuis le Harris Collège.

Comme dans l'ensemble de l'Europe occidentale, les Britanniques désertent les Eglises

La pratique régulière

 date du sondage
1979
1981
1989
1998
1999
 pratiquants en CEE
36
27
 pratique cultuelle au moins une fois par mois en France
18
12
 en France, pour la génération de 18 à 29 ans
11
5
 pratiquants dominicaux en Grande-Bretagne
11,7
9,9
7,5

On comptait en 1992, 39.000 prêtres ou pasteurs en Grande-Bretagne. A elle seule, l'Eglise anglicane célébrait 300 ordinations par an (contre une centaine seulement dans l'Eglise catholique française).

Bibliographie

Stuart Murray William, 2000, Church planting. Laying fondations, Paternoster

Ce livre décrit la situation en Grande-Bretagne (voir Parvis, n°18, juin 2003, pp. 20-22).
Et nous en France ?
«  Une journée sur « L'Eglise en devenir » s'est déroulée à Paris le 25 octobre 2002, à l'initiative d'Evangile et culture, commission de l'Alliance évangélique française avec la collaboration de Témoins, association chrétienne interconfessionnelle. Le principal intervenant, Stuart Murray William, sociologue et théologien britannique (voir l'analyse de son livre sur le site de Témoins), a confirmé que les formes d'Eglises traditionnelles sont actuellement en perte de vitesse mais que de nouvelles manières de faire Eglise surgissaient actuellement.

On constate aujourd'hui un foisonnement d'expériences et d'innovations dans une grande variété d'approches. Ce courant témoigne d'une conviction de foi et d'une grande créativité. Une Eglise émergente apparaît (voir sur le site emergingchurch, dans la rubrique « réflexions », des contributions très éclairantes) dont l'auteur dégage trois types :
 - a) des « missions » initiées par des Eglises ou des mouvements (ou s'appuyant sur leurs ressources) pour cibler une population spécifique (jeunes, sub-cultures, minorités ethniques), dotées d'une réelle autonomie (petits groupes, rencontres pour les personnes en recherche) et s'installant dans de nouveaux lieux (cafés, lieux de travail, internet, etc.) ;
 - b) des communautés nées d'un processus associatif qui reconfigurent l'Eglise comme par exemple les Eglises de maison regroupant des croyants mécontents ou encore des communautés monastiques ouvertes aux laïcs ;
 - c) des communautés qui proposent un culte alternatif (pratique de l'œcuménisme, groupes interconfessionnels acceptant le pluralisme, etc.). Jean Hassenforder : Parvis n° 20, décembre 2003, p. 13 ; et son article « Une perspective comparative sur l'Eglise émergente. La Grande-Bretagne en mouvement, la France en attente » sur le site de Témoins.

Moynagh Michael, 2001, Changing world, Changing church Monarch Books, traduit en français sous le titre « L'Eglise autrement . Les voies du changement », avec des préfaces de Guy Aurenche et Stéphane Lauzet, octobre 2003, éd. Empreinte / Temps présent

Pasteur anglican, expert en prospective, l'auteur, à partir du constat établi par les sociologues dans les années 90 qui voient une remontée des croyances chrétiennes en Europe occidentale en dépit d'une baisse continue de la pratique, pense qu'il faut une nouvelle manière de « faire Eglise », notamment en s'appuyant sur les divers milieux de vie, notamment là où les gens se rencontrent pour leur travail, leurs consommations, leurs loisirs, etc. ; en épousant les réseaux d'affinité et en constituant des « niches » socioculturelles.

En Grande-Bretagne on constate en effet l'importance du « croire sans appartenir ». « L'Eglise a quitté le terrain de jeu. Elle s'est enfuie du monde du travail, de la société de consommation et des réseaux où les gens en trouvent d'autres comme eux. Au moment où il faudrait établir des liens avec un univers où l'on recherche désormais un rapport personnalisé : « cela doit m'aller », l'Eglise se tient dans un splendide isolement en offrant un produit standardisé qui assure que c'est aux gens de venir à nous. Aujourd'hui ce produit ne peut plus toucher la vie quotidienne des gens. Est-il surprenant que si peu désirent s'impliquer. Mais comme de moins en moins de gens appartiennent, de moins en moins seront également en situation de croire » (p. 79). Il faut s'adapter avec beaucoup de flexibilité à une culture « mosaïque ».

En final, l'auteur  appelle « à la création de communautés chrétiennes épousant la nouvelle dynamique socioculturelle en les invitant à aller jusqu'au bout de leur vocation, c'est-à-dire d'entrer en pleine responsabilité dans une expression collective de la foi. C'est une Eglise hors les murs qui apparaît, l'Eglise locale reliant ces communautés, ces « congrégations » à l'Eglise universelle ».

Voir la présentation de ce livre par Jean Hassenforder, 15 juin 2003, sur le site de Témoins,  « le  site de la culture chrétienne inter confessionnelle ».

Brierley Peter, 2000, The tide in running out (La marée recule au galop), Christians Research Association

L'auteur nous fait part des recherches de la Christian Research Association qui est un observatoire de l'évolution du christianisme en Grande-Bretagne. Cette association travaille en relation étroite avec les Eglises, lesquelles prennent au sérieux les diagnostics qui sont faits. voir leur site www.christian-researchh.org.uk

Ward Pete, 2002, Liquid Church. A bold vision of how to be God's people in worship and mission. A flexible, fluid way of being church. Paternoster Press

Pour l'auteur, qui est théologien, l'Eglise fluide est faite de multiples rencontres occasionnelles lesquelles sont autant de moments forts pour des chrétiens qui considérèrent que c'est dans leur convergence même, informelle, que naît l'Eglise et non dans des hiérarchies et des bâtiments. « Je fais Eglise, nous faisons Eglise ». Il ne s'agit pas de rejeter l'Eglise structurée, « solide », laquelle répond toujours à des besoins et qui va améliorer son fonctionnement, mais de reconnaître, à côté et en symbiose, cette Eglise émergente, en phase avec la « modernité liquide » qui caractérise la culture contemporaine : « Nous avons besoin de plus de diversité dans la vie de l'Eglise ».  extraits du c.r. de Jean Hassendorfer, groupe de recherche de Témoins, novembre 2003.

Davie Grace, 1996 (traduction française) La religion des Britanniques de 1945 à nos jours. Labor et Fides

Pour la période la plus récente, l'auteur constate que la croyance persiste, mais ne s'exprime plus dans la fréquentation des Eglises. C'est la foi sans appartenance.