CORRESPONDANCE UNITARIENNE    Juillet 2003

Urgent !
des communautés de base, bon dieu ! pour ne pas laisser tomber nos lieux de culte

Actualités
unitariennes


N° 21

"Il est écrit au début de l'évangile de Jean : La Parole est devenue chair.
Il n'est pas dit qu'elle s'est faite pape, ni évêque, ni curé.
Jésus, d'ailleurs, n'était pas prêtre : n'avait-il pas la vocation ?
Il n'est pas dit non plus que la Parole s'est faite livre ou missel,
que ce soit en grec, en latin, ou en quelque autre langue"

Gérard Bessière, préface au hors-série n°9 de Parvis,
"Des chrétiens responsables de leur avenir", 1er semestre 2003

En septembre 2002, le mouvement Jonas (qui s'inscrit dans le réseau des Parvis) avait lancé un appel à rédaction partant du constat suivant : "Jonas, Parvis, des théologiens, des sociologues, etc., ce que vous dites est juste dans les analyses mais quelles décisions aidez-vous à prendre ?". Avec mon "esprit unitarien", je me suis empressé de traduire à ma façon : "et si les chrétiens passaient à l'action sans plus attendre les directives de leur hiérarchie ?" Vous trouverez ci-dessous la réponse que j'avais faite alors et qui vient d'être publiée dans un hors-série de Parvis "Des chrétiens responsables de leur avenir". Je suis persuadé que nous pouvons faire beaucoup, en compagnonnage avec d'autres sensibilités religieuses, pour qu'émergent des communautés de base "chrétiennes" ou, plus largement, "croyantes", ou encore plus largement "spirituelles". Ne restons pas isolés dans notre coin ! Relions nous aux autres ! Mettons-nous en réseaux !

Notamment, mettons à profit tous ces lieux de culte délaissés, toutes ces vieilles pierres saintes de plus en plus abandonnées, pour les faire revivre, mais cette fois-ci tous ensemble, dans un élan de prière, d'œcuménisme, ou tout simplement pour une interrogation sur le destin spirituel de l'homme et de la Création toute entière.

Jean-Claude Barbier, chrétien unitarien, à Jonas, Gradignan, le 24 août 2002

Le mouvement réformateur auquel vous participez est important pour que l’Eglise toute entière soit plus vivante. Les réformateurs catholiques préparent un Vatican III. Nous nous impatientons tous légitimement face au conservatisme affligeant de la Curie romaine. Vous-mêmes, “ Nous sommes aussi l’Eglise ” et autres mouvements ont déjà dit l’essentiel sur ces réformes qui tardent et vous avez parfaitement raison de vouloir passer à l’action. J’ai à dire ceci : s’il est important de passer à l’action “ par en haut ”, il est important, aussi, de passer à l’action “ par le bas ”.

Je pense qu’il nous faut refuser le regroupement des paroisses avec offices dominicaux tournants entre plusieurs lieux de culte. Les paroisses actuelles sont des unités de voisinage, inscrites dans la cité, dans une histoire et une géographie locale. Les lieux de culte, rappelons le, appartiennent aux mairies et sont entretenus par elles. Ils font désormais partie d’un patrimoine collectif. C’est à nous de les faire vivre. C’est de notre responsabilité. S’il n’y a plus assez de prêtres pour les desservir d’une façon cléricale, eh bien c’est aux populations concernées de s’organiser en conséquence. Qu’elles débattent de ce qu’il convient de faire dans cette situation nouvelle ! En appliquant les décisions cléricales de regroupement prises au sein des “ synodes diocésains ” qui ont été mis en place (par en haut) dans les années 90, on ne fait que retarder la prise en main par les laïcs de leurs lieux de culte et de leur responsabilité. Le prêtre moins présent, c’est l’excellente occasion pour que les laïcs prennent enfin le relais, par nécessité – puisqu’il faut parfois des contraintes pour que bouge le peuple !

L’enterrement de ma mère tombant un lundi, il a bien fallu nous organiser avec les laïcs de la paroisse chargés de l’accompagnement des familles en deuil. Cela c’est très bien passé et ma famille a pris ses responsabilités. Dans cette paroisse des environs de Nantes, c’était la première fois qu’un office d’enterrement (sans eucharistie) se faisait avec un officiant laïc ! Celui-ci, en toute humilité, m’a semblé ravi de l’aubaine d’une telle promotion.

Déjà, la plupart de nos paroisses disposent de laïcs compétents qui peuvent animer des cérémonies, assurer le suivi des familles, donner des sacrements (même si c’est pour l’instant par procuration comme pour l’eucharistie), etc. Par ailleurs, nos lieux de culte correspondent à des unités de peuplement à échelle humaine. Les pratiquants se connaissent ou peuvent se connaître, nouer des relations, s’entraider. A eux de gérer leur communauté de base. A eux de mettre leurs compétences au service des autres. Dans la logique de l’Evangile, reconnaissons tout simplement les charismes qui existent et facilitons leur expression au sein de nos communautés. Ils préexistaient en tout cas, au sein de l’Eglise primitive, aux ordinations ecclésiales de toute sorte. Les prêtres connaissent bien leurs ouailles : il est important qu’ils reçoivent le feu vert pour aller solliciter les uns et les autres pour de “ vrais ” responsabilités. Je suis sûr que de nombreux chrétiens répondront présents. Ensuite, les prêtres pourront passer pour encourager les communautés de base sans surcharge de travail, à leur rythme. Théologiquement, que je sache, la présence d’un prêtre n’est pas obligatoire pour un baptême, un mariage ou un enterrement – et nombre de chrétiens pensent aussi qu’il n’est pas obligatoire pour la célébration de la Cène. Mais en s’en tenant aux trois premiers sacrements cités, cela allègerait déjà considérablement le travail de nos prêtres. Les familles qui veulent des cérémonies n’ont qu’à les organiser elles-mêmes. Elles savent d’ailleurs parfaitement le faire chez elles. A l’église, pourquoi auraient-elles besoin d’un prêtre comme faiseur de cérémonies, distributeur de sacré, garant du bon ordre ? Les chrétiens du Tiers-monde sont bien souvent obligés de s’organiser eux-mêmes. Le passage d’un prêtre est toujours une fête, un événement, mais non la quotidienneté. A son passage, il est choyé, bien nourri, bien logé, adulé …

Le maintien des communautés de base est également l’occasion d’ouvrir celles-ci à l’œcuménisme. Si les catholiques d’un village ou d’un quartier ne se sentent plus assez nombreux, eh bien n’est-ce pas là l’occasion de s’ouvrir aux autres chrétiens, de prier ensemble, de fêter conjointement le ou les calendriers liturgiques, de catéchiser en commun leurs progénitures, de s’échanger les prédicateurs, etc. Et puis, dans de plus en plus de villages, des péri urbanisés viennent s’ajouter aux villageois, comme autant de nouvelles ressources pouvant régénérer nos paroisses. L’obstacle majeur est celui de l’inter communion, la hiérarchie catholique refusant pour l’instant la célébration de l’eucharistie avec des non catholiques. Qu’à cela ne tienne, de telles célébrations peuvent se faire dans les maisons, à l’initiative personnelle de laïcs, sous la forme de “ repas chrétiens ” comme dans l’Eglise primitive - mais en l’absence de prêtres catholiques afin que ceux-ci ne se fassent pas “ crosser ” par leur hiérarchie (mais il peut y avoir des pasteurs, des prêtres d’Eglises indépendantes, etc.).

Au Bénin, où je travaille périodiquement, j’ai eu l’occasion d’organiser de tels repas comportant une imitation des gestes cultuels du Christ : le lavement des pieds, le repas pascal juif et la Cène du jeudi saint, le repas dominical des premiers chrétiens avec la fraction du pain, etc. Pour la Cène, il suffit de lire les paroles de l’Evangile pour ne pas heurter les traditions religieuses des uns et des autres : que chacun prenne le corps et le sang de Jésus selon ses propres convictions, selon son rapport personnel et intime à Jésus.

Si un ordonné est présent, il sera bien sûr sollicité ; la communauté ne manquera pas de reconnaître son rôle et de lui confier spontanément certains gestes sacrés – bien que ceux-ci peuvent tout aussi être faits par des laïcs. La liberté religieuse qui préside à ces agapes chrétiennes fait que des non pratiquants, voir des agnostiques peuvent être invités – et découvrir ainsi que le Christ est réellement vivant au sein de nos communautés, que le christianisme n’est pas un encadrement idéologique mais d’abord la liberté de l’Exode, des enfants de Dieu …

Et si les chrétiens de toute confession ne sont plus assez nombreux pour faire vivre les vieilles pierres de leur lieu de culte, eh bien qu’ils apprennent à partager ces lieux avec d’autres croyants d’autres religions : des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des bahaïs, etc. Peut-être que d’autres seront plus doués, plus assidus, plus convaincus pour louer Dieu ! Tant pis pour nos catholiques endormis s’ils ne sont pas dignes des lieux de culte que la République française leur a confiés (après, c’est vrai, leur avoir confisqué !). Le principal n’est-il pas que Dieu le créateur soit loué ? N’abandons pas nos églises ! Sinon, ayons la franchise de les rendre aux mairies pour d’autres usages.

Parallèlement à ces communautés “ paroissiales ”, liées à des lieux de culte de proximité – que nous devons maintenir et régénérer – il existe maintenant une pléiade de groupes de chrétiens “ libres ”, auxquels le réseau des Parvis propose une mise en relation. Au niveau de ces groupes les innovations peuvent être plus rapidement introduites puisque la plupart s’organise selon un mode congrégationaliste et décide de sa propre organisation et de son fonctionnement. La mise en réseau de ces groupes est toutefois très importante de façon que ceux-ci vivent à la fois une communauté fraternelle selon leurs propres convictions, mais aussi savent accepter d’autres communautés pouvant être organisées différemment et mettant en avant d’autres sensibilités religieuses, voir d’autres croyances. Le christianisme arc-en-ciel, porteur de toutes les couleurs de l’humanité ; un christianisme enfin inculturé où chacun peut y puiser inspiration et expression.

Ces deux types de communauté chrétienne doivent pouvoir se rencontrer lors de grands regroupements – dont des manifestations à caractère festif. Les hiérarchies ecclésiales des diverses Eglises chrétiennes ont ici un rôle important à jouer lors de ces rencontres qui affirment l’existence du peuple de Dieu. Les communautés conviviales dont nous venons de parler sont comme des familles – familles de voisinage, familles d’esprit. Elles ont à s’inscrire dans l’Eglise avec un grand E. Elles le feront d’autant plus volontiers qu’elles vivent déjà le christianisme à leur façon et n’attendent pas tout de la hiérarchie !

C’est de la liberté et de la diversité dont nous avons besoin, et non d’un même moule – même s’il est très bien pensé, il le restera pensé par certains (technocrates) pour les autres. Au nom de la pastorale, “ pour ne pas heurter les fidèles ”, la hiérarchie conservatrice amoindrira d’ailleurs très vite les changements, les vidant de leur contenu dynamique, comme elle a su si bien le faire après Vatican II. Les changements “ par le bas ” feront mieux leur chemin, sans clivage entre conservateurs et progressistes, chacun étant libre de fréquenter la communauté de son style. Laissons les gens exprimer leur foi en Dieu et leur adhérence à l’enseignement et à la personne de Iéshoua le Nazaréen, à leur façon, selon leur langage, leur culture, leurs traditions religieuses (même si certains estiment celles-ci parfois obsolètes – qu’importe ! c’est la foi qui compte et non le style). Demandons leur seulement de se prendre en charge et de se coordonner d’une façon positive avec les aux autres communautés religieuses, catholiques, chrétiennes et autres croyants.

Je milite pour un christianisme décentralisé, appliquant le principe de subsidiarité, coordonné au sein de patriarcats (dont celui d’Occident) à la mode orthodoxe et de fédérations à la mode protestante, engagé dans l’unité mais non l’uniformité, international mais non mondialisé, respectueux des cultures et des traditions religieuses de tout horizon dès lors qu’elles respectent l’humain et soient tolérantes. Je milite pour un christianisme de proximité, nourri de convivialité et de charité, à l’imitation de ce que fut le Jésus historique auquel nous nous référons. Il nous faut sortir du moule clérical actuel, qui a tant sclérosé les laïcs occidentaux, pour retrouver une liberté d’action nécessaire. En Afrique noire où je travaille en qualité de sociologue, je constate que les laïcs africains sont bien en avance sur nous, notamment au sein des Eglises indépendantes (les Eglises séparées des missions, les Eglises prophétiques ou de réveil, etc.). Des laïcs fondateurs de nouvelles paroisses, animateurs de leur communauté, parfois statutairement président ou vice-président de leur Eglise, etc.  Que Jésus nous unisse et que nos prêtres ne nous divisent point !

Jean-Claude Barbier