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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

 

   

 


Le soldat Tommy a abîmé les affaires du prisonnier Abdul

 

 

Même si cela ne se fait pas, quel journaliste digne de ce nom irait signer un commentaire pareil ?

Par contre, le thème du livre "saint" profané est bien plus porteur et met le monde en émoi. Et pourtant, à y regarder de près, il ne mérite pas davantage d'être épinglé – même en une phrase et demie – car il ne représente pas un élément d'information valable. Ce potin n'interpelle que les fanatiques – en ébullition permanente et prêts à déborder au moindre pet de mouche – et un certain public, voyeur toujours à l'affût d'un scandale et grand consommateur de reality shows. La situation est d'un ridicule consommé et l'attitude de la Maison Blanche qui, avec ses allures de gendarme de guignol, entre dans le jeu de cette comédie surréaliste, est plus que grotesque. Mais sommes-nous étonnés ?

Sommes-nous étonnés d'apprendre, de la bouche du porte-parole du Pentagone, que les militaires sont censés traiter les objets religieux avec le plus grand respect (1) ? Pour les êtres humains… il n'a rien dit.

Sommes-nous surpris de lire dans la presse qu'un mémo, émanant des autorités militaires et relatif au respect de la culture et de la dignité du Coran, "recommande d'enfiler des gants avant de toucher le livre, de le porter à deux mains comme s'ils s'agissait d'un objet d'art et de ne pas le placer dans un endroit proche des toilettes" (1) ? La même presse ne précise pas si la note aborde la question du respect de la dignité des prisonniers, la façon de les traiter, avec ou sans gants ni l'état (des) sanitaire(s) des milieux carcéraux.

" Newsweek a été pris en tenailles entre le gouvernement américain, qui a saisi l'occasion pour afficher sa moralité, et des militants islamistes [des extrémistes de tous bords, me permets-je de corriger] qui ont exploité l'affaire à des fins politiques servant leurs intérêts", estime le quotidien britannique The Independent qui trouve les accusations adressées à Newsweek "tellement absurdes que l'on pourrait en rire" mais qui, à l'instar de ses collègues, semble très inquiet de voir toute la profession égratignée dans l'affaire (2). La liberté de la presse – même lorsqu'elle dit des âneries – serait-elle donc moins importante que sa réputation ?

Nulle part, dans tous ces débats acharnés, la question n'a été posée de savoir pourquoi il faudrait obtempérer aux exigences d'adoration d'un objet sacralisé. Lorsque le sacré ne reste pas à sa place, c'est-à-dire en dehors de la vie quotidienne, lorsqu'il l'envahit et qu'il occupe l'espace du profane, n'importe quel acte – brûler un drapeau, par exemple – n'importe quelle parole – crier "à bas la calotte", par exemple – peuvent devenir sacrilèges et allumer des incendies. Est-il bien raisonnable d'alimenter la flamme ?

Coda : Quelle que soit l'origine de l'offenseur et celle de l'offensé, quel que soit le nom de l'objet, vénéré par l'un et houspillé par l'autre, il y a toujours dans l'air un relent de dérisoire et un constat d'échec de l'humanisation lorsque "le culte devient plus important que l'amour, l'église plus importante que la vie, Dieu plus important que nos semblables" (3), le livre plus important que le message…

Nadine de Vos, le 25 mai 2005

(1) Le Monde, Corine Lesnes, article paru dans l'édition du 19 mai 2005;
(2) Courrier International, revue de presse du 19 mai 2005, Hoda Saliby;
(3) Anthony de Mello, Quand la conscience s'éveille.