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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

 

 

   


Genèse.
Les premiers chapitres de la Bible…

 

 

3. Récit de la « Chute »

Ce récit de Genèse 3 a marqué l’histoire de notre occident. Terriblement. Pendant des siècles, on a voulu y voir l’irruption du péché dans le monde. Un péché pour ainsi dire « héréditaire » puisque par la faute d’Adam, tous les humains sont pécheurs. En lui « tous ont péché » et seul le baptême avait le pouvoir d’effacer cette « faute » originelle. Une « faute » sexuelle en premier lieu.

C’est ce qu’on a enseigné pendant des siècles et qui est répété encore, de nos jours. Mais un enseignement ancien n’est pas une « vérité » intelligible aujourd’hui. Certes, pour qu’il y ait un « salut », il faut bien qu’une « faute » soit pardonnée. Une religion sans « salut » serait un non-sens. De là, l’importance  doctrinale essentielle de ces lectures. Mais le texte de Genèse 3 parle-t-il de cela ?

Notre propos n’est pas de polémiquer. L’histoire de ces lectures « traditionnelles » en Occident a d’ailleurs largement été faite (1). Il importe de se demander ce que dit ce texte qui ne parle ni de « péché », ni de « chute », ni de « pomme » (mots absents du texte). 

Deux mots sur la « pomme » qu’on a voulu trouver ici. Il faut se souvenir que la Bible chrétienne a été - pendant des siècles -  sa traduction latine seule. Le petit peuple n’entendait pas le latin, mais les clercs l’avaient appris. Or en latin, « le mal » se dit "malum" (a long) ; tandis que "malum"  (a bref) signifie « le pommier ».  Les accents n’étant pas notés, le passage de l’un à l’autre était facilement fait.

D’autant que la prière du Notre Père se terminait par « libera nos a malo » (délivre-nous du mal). Et que dans la traduction de l’ancienne Vulgate, le texte de Cantique des cantiques 8,5 était : « sub arbore malo »

Le texte hébreu de ce verset du Cantique est parfaitement clair : « sous le pommier ». La traduction latine est en soi correcte, mais il faut lire justement un a bref, sans quoi l’on va voir dans ce pommier, l’arbre du mal….. C’est ce qui a été fait et qui a fini par passer dans la langue courante. Adam a croqué la pomme ! Malheur à nous… Laissons ce calembour fondé sur une particularité lexicale propre au latin.                                      

Il importe de rappeler que ces textes concernent tout homme. « Adam » signifie « genre humain ». Bibliquement, il n’existe qu’une seule race humaine. Parler encore de « races » est une absurdité. Des cultures diverses, des langues différentes, des différences dans la pigmentation de la peau…. ne créent pas des « races » ! Les racismes existent, certes, mais les « races » humaines n’existent pas.

Ce texte de Genèse 3 contient beaucoup d’enseignements. Bornons nous ici à un élément fondamental qui est la clé de la compréhension de l’ensemble du texte. Il est écrit :
… Leurs yeux s'ouvrirent et ils surent qu'ils étaient nus… Genèse 3,7

Le grand commentateur Rachi fait observer que même des aveugles savent qu’ils sont nus. L’ouverture des yeux n’a rien à faire avec la prise de conscience d’une telle nudité. D’ailleurs, le texte ne dit pas : « et ils virent qu’ils étaient nus », mais « ils surent ». Il est question, non d’une nouvelle vision, mais d’une nouvelle connaissance…

Tout le texte porte sur la connaissance. Il y aura d’ailleurs - dans la suite du récit - un arbre pour cela. Et chaque saison portera ses fruits nouveaux, sans fin. Manger un fruit est le début inévitable d’une consommation qui ne prendra jamais fin. Situation de tous les temps. Et comme le remarquait l’Ecclésiaste (le terrible Qohelet) :
Qui augmente la science augmente la souffrance. Ecclésiaste 1,18

Mais il est clair que le chemin de tout homme est de savoir toujours plus. Il n’est pas d’échappatoire à cette montée du savoir, facilement ou difficilement, pour le bien comme pour le mal. Et de même que chaque saison produit de nouveaux fruits, chacun, en son temps, mangera son premier fruit.

Remarquons que l’arbre de la science ne donne pas la connaissance « du bien (d’une part) et du mal (d’autre part)», mais de « tout ». Il est courant en hébreu de désigner la totalité par ses deux extrêmes. « Le jour et la nuit » signifie le jour complet. De même, si j’ai vu quelqu’un et que je ne lui ai dit « ni bien, ni mal », cela signifie que je ne lui ai rien dit du tout. Connaître tout est le but - lointain mais normal - de toute science humaine.

Il n’est pas de limite à la connaissance -pour le meilleur et pour le pire. Et la connaissance sexuelle n’est qu’une petite partie de cette démarche. On dit « Adam connut sa femme ». Le même verbe est utilisé en hébreu pour dire « connaître Dieu ». Dans tous les cas, ce savoir est expérimental ou bien n’est pas.

La connaissance n’est évidemment pas maudite ! Simplement, il est possible d’en faire un bon ou un mauvais usage. On reconnaît l’arbre à ses fruits. C’est là le problème de tout homme. Et plus les fruits seront nombreux, plus il sera difficile d’en faire un bon usage. Le choix est l’attitude religieuse fondamentale.

Jacques Chopineau, Genappe 14 juin 2003  

(1) Une image saisissante est donnée - pour les relectures, en Occident, du 13ème au 18ème siècles - dans ce gros travail d’historien : J. Delumeau : Le péché et la peur, La culpabilisation en Occident, Paris 1983.