CORRESPONDANCE UNITARIENNE    janvier 2006

Voyage à Montserrat

Actualités
unitariennes


n° 51

« Quand on se met en route vers le pays de la Certitude,
il faut tourner le dos à la contrée des Croyances.
Ce que ne comprennent pas la majorité des croyants,
qui ont tendance à confondre les deux sous le nom de spiritualité.
C'est pourquoi les gens parlent de "spiritualité chrétienne", ou "musulmane", ou "hindoue", etc.
Mais le développement spirituel est un processus intérieur
qui se poursuit fondamentalement de la même manière dans toute la race humaine
et ne dépend pas de telle ou telle croyance en particulier. »
Michel Guillaume, Carnet de bord, réflexions, énigmes et paradoxes (inédit
)

Voyage à Montserrat
par John Eichrodt (Mulhouse, France),
traduit en français avec l’aide de Fulgence Ndagijimana

Jean-Claude Barbier, chrétien unitarien français, m’a demandé mes impressions personnelles sur ma participation au 10ème anniversaire de l’ICUU à Montserrat en Espagne du 6 au 10 novembre de cette année. Il voulait ces impressions pour son bulletin «Correspondance Unitarienne ». Je ne saurais cependant être clair sur ce que cette expérience a signifié pour moi sans retourner un peu à mon propre parcours unitarien.

Il y a bien des années, lorsque je suis venu en France pour la première fois en 1969, j’ai constaté l’absence totale d’Églises unitariennes en ce pays. Je me suis rendu compte que l’unitarisme existait surtout aux USA, en Grande-Bretagne et en Transylvanie. Durant mes études secondaires puis universitaires aux États-Unis, l’Église unitarienne m’avait aidé à acquérir une solide indépendance d’esprit, une identité personnelle, une conscience du droit mais aussi de l’obligation morale de participer au monde dans lequel je vivais et d’en jouir. Cette Église, en tant qu’institution, m’avait permis d’acquérir un système de croyances, une motivation et une trajectoire qui n’aurait pas été évident autrement. Bref, elle m’a donné un soutien culturel et théologique dans mes pérégrinations vers l’âge adulte. J’ai particulièrement apprécié son esprit de liberté et de tolérance, et ses encouragements à explorer les enseignements chrétiens et humanistes dans une atmosphère de fraternité spirituelle et intellectuelle.

En l’absence d’une telle Église en France, j’ai adhéré au Church of the Larger Fellowship (2) à Boston, d’ailleurs conçue spécialement pour les unitariens isolés, et à l’EUU (3) (essentiellement composé d’Américains expatriés en Europe). J’ai aussi participé à des réunions de l’IARF (4) en Europe. En août 1986, dans le cadre d’une réunion européenne de l’IARF à Montpellier, il fut question de fonder une association unitarienne française. J’ai participé avec enthousiasme à cette première réunion des membres fondateurs. Nous l’avons fondé comme association unitarienne d’orientation essentiellement chrétienne, mais avec une référence spécifique, écrite et claire incluant la possibilité d’y avoir d’autres options unitariennes. Quand cette possibilité fut supprimée lors d’une assemblée agitée à l’Oratoire à Paris en 1992, je fus expulsé pour avoir affirmé vigoureusement les principes unitariens américains, spécialement ceux qui tiennent à la liberté de conscience, une recherche libre et responsable de la vérité et du sens de la vie , le respect du processus démocratique et des droits des minorités dans nos assemblées, cultes et notre éducation religieuse.

Cet événement a posé une question importante pour moi (et sous certains aspects, elle reste toujours d’actualité) : qu’elle était la nature essentielle du « ‘vrai’ unitarisme » ; qu’est ce qui est nécessaire, et essentiel à l’unitarisme et qu’est ce qui est superflu ? Comme il n’y avait pas de référence internationale, la question fut difficile sinon impossible à résoudre. Être expulsé a été une expérience pénible et pleine de confusion. J’étais unitarien en Amérique mais pas en France. Qu’était l’unitarisme en dehors des USA ? Vers quel genre d’Église pouvait-t-on se tourner en France et en Europe à l’avenir lorsqu’on était libéral (au sens anglophone du terme).

C’était donc avec joie, soulagement et bien des espoirs que j’ai appris la nouvelle annonçant la fondation du Conseil international des unitariens et des universalistes (ICUU) en 1995. J’espérais qu’il y aura au moins une sorte d’accord général sur ce qu’est l'unitarisme, donnant ainsi aux unitariens à travers le monde une option inclusive, viable, sérieuse et surtout légitime. Et bien sûr, je me demandais si le jeune ICUU pourrait résoudre avec succès les difficultés qui avaient secoué notre petite association française. Et comme beaucoup à travers le monde, j’ai donc accueilli avec enthousiasme la première affirmation des principes fondateurs qui ont, avec succès, réunis nos communautés à travers le monde.
Je crois qu’il est plus facile à comprendre maintenant pourquoi ma participation au 10ème anniversaire de l’ICUU a été une expérience personnelle et religieuse. Elle m’a rappelé forcément mon expulsion de l’Association unitarienne française en 1992. C’était un pèlerinage vers une sorte de Saint Graal matérialisé par cette rencontre de l’ICUU au sommet de la montagne de Montserrat en Espagne. C’était la réalisation d’une espérance, d’un rêve, de voir enfin a naissance d’une religion unitarienne libre, tolérante, et ouverte à tous les unitariens dans le monde.

Je me suis aussi rendu compte depuis ma venue en France de l’importance des institutions religieuses qui nous sont disponibles. Leur présence ou absence peuvent avoir une influence majeure sur nos vies personnelles. C’est pour cela, qu’à l’occasion de ce 10ème anniversaire de ICUU, j’ai proposé et soutenu avec force et avec l’appui de Tudy McLaines du Canada, la création d’un chapitre au sein de l’ICUU pour accueillir des membres unitariens individuels afin que les unitariens isolés à travers le monde puissent avoir accès à une structure institutionnelle et une identité légitime comme unitariens. Environs 30 participants ont signé la pétition, laquelle a été transmise au président de l’ICUU, le révérend Gordon Oliver.

Le 10ème anniversaire a été aussi cinq jours de célébration. C’était clair que les leaders unitariens venus à Montserrat du monde entier voulaient que leur enfant grandisse bien et qu’ils avaient œuvré dur et discrètement pendant dix ans dans ce sens. J’ai été ému de voir le président de l’UUA (5) marcher fièrement côte à côte avec l’évêque de l’Église de la Transylvanie lors d’une cérémonie. J’ai accueilli avec satisfaction la nouvelle que le catéchisme unitarien international était enfin terminé, et que ce catéchisme qui s’intitule Jardin de l'Unitarisme et de l’Universalisme est maintenant disponible pour tous sur le site web de l’ICUU (6). J’ai participé à l’inauguration des Amis de l’ICUU permettant aux individus d’être associés au travail de l’ICUU et de participer à ses réunions J’ai vu une communauté en mouvement, qui arrive à régler des questions délicates et difficiles d’une manière démocratique. Et, j’ai bien apprécié les nombreuses activités, denses et variés, ainsi que l’amitié et la fraternité des unitariens venant souvent de pays lointains comme l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan, le Brazil, l’Autralie, le Canada, le Burundi et la Roumanie.

Et non le moins important, j’ai rencontré pour la seconde fois Jean-Claude Barbier, que j’avais déjà vu à Paris, en décembre 2003, lors d’un colloque universitaire à la Sorbonne consacré à Michel Servet. Il nous avait rejoint avec sa femme à Villanueva de Sijena pour le culte dominical et la soirée commémorative à Michel Servet. Il nous suivit jusqu’à Montserrat où il assista au culte le lendemain matin. Il me fit part de son regret de mon expulsion de l’AUF et tomba d’accord avec moi sur le fait que le mouvement unitarien devait être effectivement tolérant et qu’il avait besoin pour bien marcher de ses deux jambes, à la fois des humanistes et des théistes. Qu’est-ce que je pouvais attendre de plus ? C’était pour moi le cercle parfait. Cette rencontre de l’ICUU à Montserrat, sous bien des aspects, fut pour moi un véritable Noël.

John Eichrodt

(1) l’International Council of Unitarians and Universalists.
(2) la CLF ; voir la Correspondance unitarienne n° 37, novembre 2004 : « Une Eglise par correspondance aux Etats-Unis », 1 p.
(3) l’European Unitarian Universalist
(4) l’International Association for Religious Freedom, fondée en 1901 par des unitariens et des protestants libéraux.
(5) l’Unitarian Universalist Association of Congregations, (UUA) fondée en 1961 par la fusion de l’Eglise universaliste et des congrégations unitariennes des Etats-Unis.
(6) http://icuu.net/resources/curriculum.html