CORRESPONDANCE UNITARIENNE    décembre 2002

Ieschoua, né d'une vierge ?

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N° 11

Noël approchant durant l’Avent chrétien, nous autres unitariens ne sommes guère à la fête. Et quoi ! ces anges qui jouent les annonciateurs, Gabriel l’archange et puis ceux qui, autour de la crèche, chantent déjà le Sauveur enfin arrivé. Quel enchantement lorsque nous étions enfants, mais dès lors que nous sommes des adultes dévoués à Dame Raison, c’est autre chose ! Et puis, cette jouvencelle dont le statut social est mal défini – et ce n’est pas le Protoévangile de Jacques attribué à Jacques le Mineur, même retouché sous l’autorité de Saint Jérôme par l’Evangile du pseudo-Matthieu, qui arrange les choses ! (1) – la voilà qui donne naissance à l’enfant Jésus par la seule opération du Saint-Esprit, Joseph se tenant à l’écart tout en endossant la paternité sociale. Nos connaissances en anatomie font que la pilule ne passe plus. Nos historiens en rajoutent en précisant que le dénombrement du gouverneur romain Quirinus, qui aurait motivé le déplacement à Bethléem de Joseph et Marie, s’est fait plus tard. Les savants théologiens de l’époque, lors de conciles dits œcuméniques, quant à eux, surfant sur l’idolâtrie de leurs contemporains vis-à-vis des héros, nous lancèrent, vite fait bien fait, dans l’aventure néo-platonicienne la plus folle qui soit en décrétant que ce n’était pas seulement une naissance miraculeuse, mais que c’était ni plus ni moins Dieu qui s’était incarné en un homme et que Marie était en conséquence Mère du Dieu Très-Haut – comme si la virginité de Marie, à elle seule, ne suffisait pas comme casse-tête chinois. Nous en avons les ailes coupées et nous commençons à douter de Luc lorsqu’il dit avoir enquêté : n’a-t-il pas joué tout simplement aux apprentis sorciers, recueillant pour vérités de simples légendes hagiographiques ? Et si, nous, nous nous mettons à douter, qu’en adviendra-t-il de nos enfants qui eux sont moins crédules que nous avons pu l’être et à qui nous devons malgré tout transmettre notre espérance ?

Fort heureusement, nos exégètes (du moins les plus avancés) nous ont, depuis un certain temps, appris que la Bible n’était nullement un livre d’histoire au sens scientifique du terme, ni d’astronomie, ni de mathématiques, ni d’anatomie, mais qu’il fallait en rechercher le sens spirituel, le dire théologique. Ils ont précisé que ces vieux parchemins avaient bel et bien été écrits par des hommes et que c’étaient des paroles bien humaines avant que d’être, si l’on veut malgré tout, des paroles de Dieu. Merci aux exégètes et pitié aux traditionalistes qui s’accrochent encore à la Bible (sola scriptura) comme l’huître à son rocher au milieu des tempêtes. Quant à nos enfants, avec Harry Potter et les autres trucs de ré-enchantements du monde, on peut espérer qu’ils pourront encore “ croire ” (malheureusement pas forcément à la Bible), du moins pour le temps de leur génération toute illuminée par les baguettes magiques de la société de consommation. 

Alors nous les unitariens ? Allons nous faire grise mine ce jour de fête pour tous ? Certes, les jours de fête ne font pas toujours l’unanimité et c’est dommage ; je pense, chaque 14 juillet, aux descendants des chouans bretons et vendéens dont les ancêtres furent massacrés par la Révolution française et ses colonnes infernales, ou encore aux prêtres noyés par milliers en Loire de Nantes. Mais allons nous bouder une fête qui réjouit les chrétiens, qui réunit les familles, qui déborde dans les rues commerçantes, qui illumine la nuit de multiples lampions, qui fait rêver à la paix entre tous les hommes de bonne volonté et qui, dans l’immédiat, est pleine de bonne gastronomie ?

Pour nous sortir de ce mauvais pas – ou plutôt d’une mauvaise lecture de la Bible – je conseille la lecture attentive de la généalogie de Ieshoua telle qu’elle est établie par l’évangile canonique qui a été attribué à Matthieu. Dans une société fortement patrilinéaire, comme celle des Juifs de l’époque, la généalogie d’une personne s’écrit de père en fils ; mais voilà qu’on y constate des décrochages étonnants, subits, par des femmes. Et quelles femmes ! Thamar qui se prostitua au bord du chemin (certes pour la bonne cause) ; Rahab qui, également prostituée, trahit les siens, on ne sait pour quel profit, en faisant entrer des espions hébreux à l’intérieur de la ville (bonjour la sécurité !) ; Ruth la Moabite, l’Etrangère, à qui sa belle-mère dit de repartir chez les siens, mais qui s’entête, allant jusqu’à se coucher sans vergogne aux pieds du vieux Booz ; la femme d’Urie qui, elle, s’enchanta dans les bras du roi David et qui causa ainsi la perte de son mari patriote qui, pendant ces effusions intimes, combattait vaillamment les ennemis. On arrive ainsi, après cette série moralement peu reluisante, à Marie “ de laquelle naquit Ieshoua ”. 

Que signifie donc cette série, à laquelle on pourrait ajouter Sara la ménopausée qui ricana bêtement lorsque des étrangers, peut-être par courtoisie orientale, promirent une descendance à son mari qui serait aussi nombreuse que les grains de sable, ou encore Anne la stérile qui pleurnichait comme une femme saoule au temple de IHVH – et qui fut néanmoins mère du prophète Samuel ? À chaque fois il y a une impossibilité humaine, que le texte biblique sait dramatiser en y mettant du talent littéraire et en ayant recours à des évènements à caractère historique. Et c’est pourtant à travers ces impossibilités humaines que l’histoire sainte va passer, afin de bien nous montrer que c’est Dieu, et lui seul, qui est maître de l’Histoire. Bossuet avait raison.

Alors la virginité de Marie ? Bien sûr que ce n’est plus une histoire d’anatomie (on peut en cela rassurer nos enfants, ainsi que les rationalistes de notre siècle), ni de détournement des lois de la nature par une toute puissance divine (ce qui un principe explicatif on ne peut plus passe partout). Mais c’est par Marie que l’histoire sainte passe. Du moins c’est ce que les textes veulent nous dire – à nous de comprendre avant de dire si nous y croyons ou pas ! Martin Luther ne disait-il pas que Marie était la mère des croyants ? L’Evangile de Matthieu assurément nous la présente dans cette position : le nouveau lignage est bel et bien issu d’elle. Et ce lignage, le rameau qui a fleuri, c’est nous, les disciples de son fils ! Alléluia. Bonne fête aux croyants que nous sommes !

Jean-Claude Barbier, Correspondance unitarienne, n° 11, décembre 2002, sous le titre "Noël : faisons la fête en lisant la Bible avec attention !"

(1) La revue catholique La Vie présente chaque semaine des textes spirituels réunis dans des cahiers détachables intitulés “ Les Essentiels ”. Dans deux numéros récents, Régis Brunet nous livre ses analyses sur des passages du Protoévangile de Jacques : la présentation de Marie au Temple (supplément de la Vie, 21 novembre 2002, p. X-XIII) et le mariage de Marie (28 novembre 2002, pp. X-XIII). L’auteur a publié, chez Desclée de Brouwer, Pierre, l’apôtre fragile ; Paul, le bretteur de l’Evangile et Petite initiation biblique. Il fait partie des exégètes qui nous sauvent !