LIBRE PENSÉE CHRÉTIENNE
   mars 2007

Des images de notre enfance à une interprétation d’adulte


Je rejoins P.de Locht, G.Ringlet et G.Fourez (LPC n°20 février 2007 pages 4, 5) lorsqu’ils parlent d’une foi libre et personnelle qui dépasse les images de notre enfance pour s’exprimer dans un langage d’adulte réactualisé dans notre culture contemporaine.

Ce travail n’est pas facile et même impossible pour beaucoup, d’après les confidences qui me sont faites ! Je voudrais vous partager avec vous, bien simplement, mon itinéraire.

Lorsque j’étais enfant (née en 1945), l’enseignement que j’ai reçu était envahi par le merveilleux et le mystère. Chacun sait combien ces deux composantes captivent tous les enfants du monde et font d’eux un public acquis d’avance. Jésus était le Super hérosde mon enfance. Il était tout puissant, car il pouvait miraculeusement guérir, rendre à la vie, multiplier la nourriture, arrêter les tempêtes, marcher sur l’eau…

Quel enfant ne rêve d’avoir un pareil ami ? Quel enfant ne rêve de lui ressembler ? Dans ma foi enfantine, mon adhésion à Jésus était totale et inconditionnelle mais basée sur la toute puissance de Jésus. (aujourd’hui, elle l’est toujours mais basée sur le message d’amour de Jésus).
Cependant, à mesure qu’on grandit, petit à petit par la réflexion, des questions surgissent, des doutes s’installent. L’évangile est Bonne Nouvelle, mais en quoi est-il Bonne Nouvelle pour moi, pour mes proches, pour ceux qui sont derrière le Rideau de Fer, pour les petits Congolais…me demandais-je ? Malgré mes ferventes prières journalières, je constatais que les problèmes familiaux et les problèmes du monde,

Eh bien! Jésus ne les résolvait pas!

Commence alors pour moi, le temps de l’information, d’abord auprès de mes professeurs de religion, de mon aumônier de patro, de la religieuse responsable de notre préparation à la communion solennelle, des prédicateurs de mes retraites…

Je ne recevais pas de réponses qui me conviennent, au contraire, cela engendra en moi un sentiment de culpabilité. On me disait que si j’osais poser pareille question, c’est que je n’avais plus la foi, (on me le dit encore parfois aujourd’hui, mais peu importe, car aujourd’hui je sais que personne ne peut mesurer la foi d’un autre. La foi est une relation personnelle entre Dieu et l’homme) qu’il fallait croire en bloc tout ce que l’on m’enseignait et que ce que je ne comprenais pas, c’était le MYSTERE DE DIEU, qui me serait révélé à ma mort, à condition d’aller au Paradis, ce qui ne serait peut-être pas mon cas! Il n’était pas question, sous peine de péché, d’oser remettre en question l’enseignement du magistère et c’est ainsi que mes éducateurs forgèrent en moi une conscience scrupuleuse qui m’empoisonna la vie.
Le temps passe. Jeune ado, je rencontre celui qui devait devenir mon mari. Tous les deux, nous sommes passionnés de Dieu, de Jésus. Nous en parlons librement, Herman achète (1962) une Bible, nous partageons nos questions et essayons ensemble de trouver des réponses par une mise en commun de nos lectures.

Plus tard, vers les années 1974, c’est avec J.P. Charlier que mon ciel va s’éclairer. Voilà quelqu’un qui m’ouvre tout grand une porte, qui fait reculer mes peurs en disant parfois des choses que j’avais ressenties sans oser les exprimer à haute voix, car je m’en sentais coupable. Voilà quelqu’un qui me pousse à prendre des libertés par rapport à l’enseignement que j’ai reçu, quelqu’un qui me déculpabilise, quelqu’un qui me communique un enthousiasme fou à vouloir aller toujours plus loin dans la compréhension des textes.

Et, c’est le début d’une nouvelle aventure. En premier lieu, il s’agira de se documenter pour découvrir les exégètes qui ont un langage crédible pour notre temps, ensuite lire, suivre des conférences et des cours. Recevoir leurs paroles, les manger, les digérer pour se les réapproprier afin qu’elles deviennent porteuses de sens dans ma vie, pour qu’elles me fassent vivre de l’amour de Jésus. L’évangile va devenir

une Bonne Nouvelle compréhensible pour moi aujourd’hui. Quelle libération ! Quel bonheur !

Pour illustrer cela, je prendrai dans l’évangile de Matthieu 14,22-32, l’histoire de Jésus marchant sur le lac pour essayer de montrer comment petit à petit ce texte est vraiment devenu une Bonne Nouvelle.
Quel enfant ne serait pas émerveillé par ce récit ? Ce texte suscite en lui une admiration sans borne pour ce Jésus qui a la toute puissance de marcher sur l’eau sans couler. C’est bien une preuve, nous dit-on, que Jésus est Dieu, qui d’autre que Dieu pourrait faire cela? En plus, on nous enseigne que comme Pierre, si nous avions vraiment la foi, mais nous ne l’avons pas, on pourrait en faire autant. Tout est dit. Et c’est, ajoute t-on une Bonne Nouvelle !

Petite fille, je pensais qu’étant l’amie de Jésus-Dieu, qui était si puissant, je ne devais avoir peur de rien. Puisque je croyais en lui, comme toute ma famille, nous étions protégés et cela me rassurait, c’était une Bonne Nouvelle. Cependant, très vite, je me demande pourquoi les grands Saints dont on m’a parlé, n’ont pas marché sur l’eau, car si nous n’avons pas vraiment la foi, eux devaient l’avoir puisqu’ils sont Saints. A quoi ça sert que Jésus vienne nous montrer qu’il marche sur l’eau, si jamais personne d’autre ne pourra faire de même? En quoi est-ce une Bonne Nouvelle ? À ces questions, la religieuse qui donne le cours de religion me met à la porte en disant que je suis un élément perturba-teur. Moi, à la porte, je pleure d’être incomprise et de me sentir punie injustement!

En grandissant, plein de nouvelles questions sur cette interprétation se bousculent dans ma tête. Mais les réponses qu’on me donne se cachent derrière l’assurance de mon enseignant que ma foi est petite et que j’ai douté (MT 14,31.) Ces réponses, auxquelles je crois, ne me font pas grandir dans la foi, elles me culpabilisent et me rendent malheureuse.

Contrairement à certains d’entre-nous, je ne pense pas qu’être en recherche, qu’avoir des doutes est un état de crise, je pense au contraire que le doute et la recherche sont les marques d’un grand intérêt et des moteurs qui font avancer les choses.

Devenue adulte, j’apprendrai enfin, entre mille autres choses, que les miracles sur la nature ne sont pas historiques Que les auteurs les utilisent pour faire passer un message. Que nous devons en avoir une lecture symbolique. Quelle libération pour moi ! Quel travail aussi, dépasser ma culpabilité pour oser avoir une foi libre et personnelle. Mais pour cela, il me faudra sérieusement me mettre à l’étude. J’apprendrai que Matthieu qui écrit son évangile vers les années 80 pour la communauté juive veut convaincre celle-ci que Jésus est le nouveau Moïse et qu’avec lui, c’est toute l’histoire d’Israël qui recommence. En effet, dés le début on peut y découvrir de très nombreux passages où il y a un parallèle entre la vie de Jésus et celle de Moïse. Dans le passage qui nous occupe (MT 14,22-32), nous pouvons aussi remarquer le parallèle que devaient certainement comprendre les contemporains de Jésus.

Dans un commentaire d’évangile (1987), Hyacinthe Vulliez disait à peu près ceci :

Sachant que les Israélites pensaient que la mer était l’endroit redoutable de la demeure des puissances maléfiques et sataniques que Dieu devait vaincre pour que s’accomplisse son dessein sur le monde, par son avancée paisible sur les flots déchaînés, Jésus révèle et affirme son pouvoir sur le mal. Comme Moïse, quand il ouvrit la mer pour faire passer les hébreux à pied sec. Pour Mt, Jésus est le nouveau Moïse, le libérateur. Un Jésus que les disciples eux-mêmes ont quelque peine à reconnaître et, sans doute, à admettre, ils le prennent pour un fantôme. Pierre l’enthousiaste au caractère bien trempé, va demander à Jésus d’en faire autant. Mais pour ce faire, il ne lui est pas donné de pouvoir magique, c’est une invitation à la foi qu’il reçoit. Quand il croit, il domine les flots, quand il se laisse dominer par la peur, il est submergé. Ce récit s’achève par le cri unanime de la foi des disciples : Vraiment, tu es fils de Dieu.

Cette interprétation est beaucoup plus riche que celle qui me fut enseignée étant enfant et, on peut comprendre qu’elle était parlante et porteuse de sens pour la communauté juive contemporaine de Matthieu. L’auteur leur démontrait en s’appuyant sur leur tradition biblique que Jésus était bien le nouveau Moïse, le fils de Dieu. Il voulait déculpabiliser les juifs qui avaient quitté le judaïsme orthodoxe pour devenir disciples de La Voie de Jésuset convaincre les sceptiques de rejoindre la nouvelle communauté. En effet, il leur fallait une grande foi pour remettre en question toutes leurs traditions et affronter les persécutions dues à leur choix.

Une autre interprétation est de "dire l’importance de la foi en Jésus, ainsi que la difficulté de s’y maintenir. Sans une foi à toute épreuve, plus forte que tous les vents contraires, même le chef des apôtres ne pouvait poursuivre sa marche." (Evangiles de l’Acébac) La barque représentant l’Eglise qui devra subir des persécutions, des mésententes, des schismes, …mais qui grâce à la foi de ses fidèles traversera les temps sans encombre jusqu’à l’autre rive (la fin des temps.).

Ces interprétations, ne me sont pas suffisantes pour être Bonne Nouvelle pour moi aujourd’hui et ici. Elles ne me semblent pas non plus porteuses de sens pour les enfants d’aujourd’hui.

En lisant le texte, toute une série de questions surgissent :

Les disciples sont invités à passer sur l’autre rive.
Quelles sont pour moi l’une et l’autre rive ?
Ma naissance, ma mort.

Les disciples sont invités à monter dans la barque.
Quelle est ma barque ?
Tous ceux qui traversent ma vie, qui sont en relation avec moi de loin ou de près.

Il leur faudra traverser la mer, combattre les vents mauvais.
Quels sont mes vents mauvais ?
Tout ce qui engendre le non-amour, mais aussi les malheurs indépendants de ma volonté ( guerre, mort…)

Vers la fin de la nuit, autrement dit au petit matin Jésus apparaît.
Quand est ce pour moi la fin de la nuit ?
Quand enfin, les textes évangéliques deviennent Bonne Nouvelle, lumière dans ma vie.

Les disciples prennent Jésus pour un fantôme.
Quand Jésus est-il un fantôme pour moi ?
Quand je ne reconnais pas dans un texte le chemin qu’il veut me montrer.

Pierre est capable de marcher sur l’eau.
Quand puis-je marcher sur l’eau ?
Quand je vis les valeurs évangéliques autour de moi.

Pierre s’enfonce dans l’eau.
Quand suis-je en train de me noyer ?
Quand je me laisse submerger par mon égoïsme, par mon orgueil.  

Pierre crie.
Quand puis je crier ?
Quand je fais confiance aux autres, quand je suis humble et sans artifice.

Jésus étendit la main et le saisit.
Quand Jésus me prend-il la main ?
Quand je prends le temps de lui donner du temps, quand j’apprends à mieux le connaître par la méditation ou la prière.

Les disciples disent : « Tu es vraiment le Fils de Dieu.
Quand puis-je proclamer cela ? Quand j’expérimente l’amour fraternel.

Jésus qui marche sur l’eau est comme un guide qui montre le chemin aux hommes pour traverser la vie, d’une rive à l’autre, de la naissance à la mort. La mer et les vents mauvais vont nous harceler, comme tous les malheurs qui assaillent les hommes ; guerre, pauvreté, injustices, violences, indifférences…

Tous nous seront confrontés un jour ou l’autre avec la souffrance. Face à elle, si nous sommes en demande, la foi dans les valeurs évangéliques va nous permettre de sortir la tête hors de l’eau. Si l’on crie, quelqu’un d’autre pétri de ces valeurs va nous tendre la main en nous donnant une parole de réconfort, un geste de tendresse, une écoute attentive, une présence chaleureuse, voire une aide matérielle.

Mais nous-mêmes, si nous sommes remplis de Jésus, à notre tour, nous entendrons le cri de celui qui se noie et nous pourrons lui saisir la main.

Ce texte m’apprend que d’une rive à l’autre, tout au long de ma vie, je serai tour à tour le demandeur et le donneur. Aux soirs d’incertitude, j’espèrerai des bras accueillants qui veillent sur mes pas, mais aux jours de clarté, je pourrai être lumière, chaleur et sens sur la route où cheminent tous ceux de ma barque. Et cela, en proclamant que Jésus est le chemin du Royaume de Dieu ici et maintenant.

C’est pour moi, compris ainsi, un évangile Bonne Nouvelle.

Christiane Van den Meersschaut-Janssens