LIBRE PENSÉE CHRÉTIENNE
   mars 2005

Préalables à un dialogue interreligieux


L'œcuménisme au-delà des belles paroles
Disons de suite que les belles paroles sont précieuses et nécessaires!
Mais nous avons la joie de souligner en outre que le texte qui suit est d'un animateur d'un important groupe « Marcel Legaut » de Nantes. C'est Jean-Claude Barbier, chrétien « unitarien » de Bordeaux, qui nous le transmet en nous invitant à le faire passer sur notre site hébergé par Profils de libertés qui nous fait partie, lui, de la mouvance du libéralisme théologique protestant.
Ca, c'est de l'œcuménisme en action!
LIBRE PENSEE CHRETIENNE

Pour que le dialogue soit autre chose que la simple façade d’une coexistence polie, il exige, me semble-t-il, de la part des religions un accord sur un certain nombre de présupposés.

1 - Chaque religion ou approche spirituelle devrait reconnaître qu’elle n’est qu’un chemin, une voie d’exploration du mystère de l’homme et de cette réalité transcendante au cœur de l’homme que par commodité beaucoup appellent Dieu.

Une voie et non pas la voie, un chemin parmi d’autres. Prétendre, comme l’écrit le jésuite Jacques Dupuis dans son libre publié en 2002 La rencontre du christianisme et des religions ; de l’affrontement au dialogue, que le christianisme catholique détient la vérité ultime (la phrase : “ Jésus-Christ représente le sommet de l’auto-manifestation de Dieu à l’humanité ” ne dit rien d’autre), c’est s’ériger en repère absolu.
Dès lors qu’on se considère comme le nec plus ultra, les autres ne peuvent être qu’à la périphérie et le danger mortel est d’être, sinon totalitaire ou méprisant (on l’a vu en d’autres temps !), du moins condescendant (en son for intérieur), convaincu que l’accomplissement des autres voies spirituelles se trouve dans son propre camp.

Entretenir en soi cette pensée n’est pas moins grave, à mon sens, qu’entretenir un prosélytisme bruyant. Imaginer sa propre tradition religieuse supérieur aux autres, en raison d’un prétendu dessein de Dieu, qui souhaiterait par ailleurs la diversité religieuse, ne peut guère induire des relations vraies et authentiques de respect et d’estime avec les autres, puisqu’il leur manque quelque chose.

Tout autre est l’attitude qui privilégie pour soi sa propre tradition spirituelle puisqu’on ne peut être sur tous les chemins à la fois et qu’on a librement choisi de marcher sur ce chemin-là précisément. On peut aimer légitimement sa religion et y adhérer comme étant sa propre vérité (toujours à découvrir, à approfondir, à réinterpréter), sans pour cela décréter qu’elle est la vérité.

A ma connaissance, mis à part le bouddhisme, je n’ai jamais entendu les grandes religions reconnaître la relativité de leurs approches singulières (une exception cependant : Pierre Claverie, ancien évêque d’Oran, dans une célèbre déclaration de 1996) [ 1 ].

2 - A quelles conséquences conduit l’adoption d’une telle perspective ?

Pour les religions dites révélées, cela demande à coup sûr une clarification des termes de “ révélation ” et de “ parole de Dieu ”. Ces mots désignent encore trop spontanément une intervention divine extrinsèque. Si Dieu parle de son ciel, pourquoi ces paroles sont-elles d’une tradition à une autre pour une part contradictoires ? N’est-il pas temps de reprendre à nouveau frais cette question, en considérant que ce qu’on appelle parole de Dieu n’est en réalité que l’expression du meilleur de la conscience de l’homme répondant à un moment donné aux exigences intimes qui la sollicitaient ? Dieu est alors vu comme source d’inspiration, dans un contexte historique particulier, pour des humains en quête de sens à leur existence personnelle et collective.

Autre conséquence de la relativité de chaque religion (rien à voir avec le relativisme religieux). Cela remet en cause une absolutisation par chacune de ses propres représentations et de ses formulations dogmatiques. Celles-ci sont en effet relatives par rapport à la réalité qu’elles désignent, marquées par le temps et la culture dans lesquelles elles ont pris naissance. Cela oblige les religions, à longueur de siècles, à réinterpréter leur message initial afin qu’il prenne sens dans des contextes culturels nouveaux. N’est-ce pas là que réside la véritable fidélité ?

Enfin, on peut souhaiter que les diverses voies religieuses et spirituelles, débarrassées de la prétention de détenir chacune l’ultime vérité, se questionnent réciproquement avec bienveillance mais sans concession. Ces interrogations mutuelles permettraient à chaque tradition d’approfondir sa voie propre, de la purifier, de la réinterpréter dans le contexte culturel du moment.

Or, j’ai l’impression qu’actuellement, sous couvert de respect (à mon avis mal conçu), elles ne s’autorisent pas à se poser les uns les autres des questions dérangeantes. On assiste ainsi à des monologues juxtaposés. On s’écoute poliment, mais on n’en pense pas moins ! Que serait une amitié qui fonctionnerait de cette manière ?

Après des années d’apprivoisement, le temps n’est-il pas venu d’oser affronter ensemble ces questions de fond sous peine de ronronner et de s’auto-congratuler ?

Jacques Musset, 30 octobre 2004

[ 1 ] « Découvrir l'autre, vivre avec l'autre, entendre l'autre, se laisser façonner par l'autre. Cela ne veut pas dire perdre son identité, rejeter ses valeurs, cela veut dire concevoir une humanité plurielle... Il n'y a d'humanité que plurielle, et dès que nous prétendons -dans l'Église catholique, nous en avons la triste expérience au cours de notre histoire- posséder la vérité et parler au nom de l'humanité, nous tombons dans le totalitarisme et dans l'exclusion. Nul ne possède la vérité, chacun la recherche. On ne possède pas Dieu. On ne possède pas la vérité, et j'ai besoin de la vérité des autres ». Pierre Claverie, évêque d'Oran