Rappel de quelques évidences
Toute une part de notre société a des origines « étrangères » plus
ou moins lointaines.
La nouveauté cependant est la masse encore sentie comme « étrangère » d’une
population issue, en grande partie, de régions du sud
de la méditerranée. Le phénomène
est récent, mais à la nouveauté s’ajoute
l’étrangeté : cette population n’a
pas le même héritage fait de références à l’esprit
gréco-latin, aux sources chrétiennes, à la
Renaissance, aux Lumières, aux sciences modernes, à la
rationalité occidentale…
Bien entendu, une histoire différente
n’est pas
moins digne que la nôtre. En son temps, d’ailleurs,
la civilisation musulmane a connu ses heures de gloire. L’Andalousie
en témoigne. Cet âge d’or a été un
sommet d’une civilisation tolérante où musulmans,
juifs et chrétiens vivaient côte à côte.
Les exclusions sont venues plus tard, avec la « reconquête ».
Pour l’heure, les origines de ces nouveaux concitoyens
ne sont pas chrétiennes, certes. Mais il ne s’agit
pourtant pas, aujourd’hui, d’une question proprement
religieuse. Une religion n’est d’ailleurs ni une
simple doctrine, ni une détermination culturelle unique.
Ce n’est pas d’abord une manière de penser,
mais une manière d’être.
Mais de même que l’on n’est pas chrétien
parce qu’on est « d’origine chrétienne »,
de même, ne sont pas musulmans tous ceux qui sont « d’origine
musulmane ». Une religion doit être longuement
apprise, et les usages traditionnels ne sont qu’un support
certes précieux mais, en quelque sorte, indicatif. C’est
le support d’une sensibilité religieuse particulière,
mais non –de soi- une détermination. L’indication
d’un chemin, non le chemin lui-même.
Les origines culturelles ne sont pas davantage
déterminantes.
Ces enfants, même s’ils connaissent la langue de
leurs parents, sont cependant scolarisés dans la langue
du pays d’accueil. Concrètement, la langue arabe
(et la vaste culture qu’elle véhicule) n’est
guère connue. La richesse et la complexité de
cette langue rendraient d’ailleurs nécessaire
un long apprentissage à celui qui voudrait dépasser
le niveau de la langue dialectale.
Dès lors, il ne reste plus que le nom et le prénom
(ainsi, éventuellement, que l’apparence) pour
fonder une discrimination. C’est ainsi que des européens
sont l’objet de discriminations de toutes sortes, par
le simple fait qu’ils perçus comme étant
d’une origine « étrangère ».
C’est là une anomalie que les générations
qui viennent devront impérativement dépasser.
Les islams
Par simplification (les médias aiment les simplifications
rapides, les fameux « à peu près » journalistiques
plutôt que les explications, lesquelles prennent du temps),
on dit : le catholicisme, le protestantisme, le bouddhisme,
etc…
En réalité, il est des catholicismes,
des protestantismes, des bouddhismes, etc.
L’islam n’est pas moins divers. Il y a loin d’un
strict « salafisme » (souvent intégriste) à l’Islam
pacifique de la grande majorité des musulmans européens.
Un retour aux « pieux ancêtres » ou aux « vénérables
anciens » des toutes premières générations
de l’Islam (tel est le sens de l’expression « salaf
us-SâliHîna») est un rêve séoudien –si
du moins l’on s’en tient au wahabisme- mais ce
rigorisme est aujourd’hui répandu non seulement
en Algérie, mais aussi dans nos banlieues.
Une telle « lecture » religieuse se situe donc
dans la mouvance d’une lecture rigoriste des origines
de l’Islam (à l’exclusion de toute innovation).
Le phénomène n’est pas nouveau dans l’histoire
de l’Islam, mais référence est faite habituellement à ‘Abd-el-Wahhab,
dont les partisans, d’ailleurs, ne se nomment pas « wahabites » (nom
d’un homme), mais « salafistes » (nom d’un
retour aux origines).
Fait remarquable, ce ‘Abd-el-wahhab est un contemporain
des Lumières et de la révolution française.
Il est difficile d’imaginer une opposition plus absolue
! Les fils des Lumières contre les descendants du très
conservateur séoudien !
Nos écoles, cependant, tentent d’inculquer
quelque chose de l’esprit des Lumières à des
jeunes en mal d’intégration et à la recherche
d’une identité. Evidemment, ce n’est pas
simple. D’autant que ces jeunes sont souvent en échec
scolaire et connaissent le chômage, le mauvais logement,
les discriminations à l’embauche… Bref,
ils connaissent souvent une situation difficile et précaire
ce qui met souvent hors de leur portée, aujourd’hui,
une intégration réussie.
Dans ce contexte d’intégration
mal vécue,
le communautarisme répond à un besoin d’identité.
On peut comprendre que les jeunes des banlieues ne soient
pas attirés par l’image d’un Islam très
intégré auquel ils ne participent pas. Il y a
loin des banlieues à la grande mosquée de Paris.
Par contre, ils peuvent être réceptifs à la
prédication « fraternelle » de ceux qui
sont présents sur le terrain. Or ceux qui sont présents
sur le terrain des banlieues sont des « salafistes » (parfois
très déconnectés de la réalité européenne)
ou des « frères musulmans » (qui ont une
origine toute différente des « salafistes »,
mais peuvent être présents sur le même terrain).
Dans les deux cas, les paroles entendues peuvent être
violentes. Le succès d’une lecture extrémiste
est d’ailleurs une conséquence de l’exclusion
et du racisme.
Ajoutons à cela une mauvaise image de l’Islam
donnée par les médias. L’ignorance est
parfois colossale et, souvent, nos informations renforcent
les préjugés. De là, ces citations (entendues à la
télévision), tendancieuses, hors contexte, d’un
texte coranique mal connu et non explicité. Les approximations
habituelles sont parfois choquantes pour les croyants.
Pire encore : cet amalgame absurde : Islam-Islamisme-terrorisme.
L’injustice est patente. L’Islam –religion
de paix et de vérité- devient alors, dans l’opinion,
un fanatisme violent. Il importe de dénoncer de tels
amalgames.
La guerre « sainte »
Un usage courant fait du mot « djihad », un synonyme
de « guerre sainte ». De là, le féminin
: « la » djihad. Le mot est masculin en arabe.
Le changement de genre est significatif ! « La » djihad
devient ainsi, par le pouvoir de l’amalgame, le synonyme
de « lutte armée »…
Rappelons cependant que le terme arabe ne
signifie pas cela, mais que la racine du mot suggère l’effort (« djahd » signifie « effort » et « ijtihâd » est « le
fait de s’efforcer » -particulièrement ici
dans l’interprétation des textes sacrés).
D’autre part, s’il est vrai que cet « effort » pour
faire connaître l’Islam, ou pour répandre
l’Islam, peut aller jusqu’à la lutte armée
(surtout jadis -aux temps de l’expansion musulmane),
cela ne correspond pas nécessairement à la situation
actuelle. De sorte que traduire « djihad » par « guerre
sainte » est un amalgame, voire une caricature.
La théologie musulmane a d’ailleurs développé le
thème du djihad spirituel
(« el-djihâd en-nafsî »),
la « guerre sainte » contre soi-même….
Mais, malgré les approches médiatiques qui ignorent
ce vocabulaire religieux, cette « guerre sainte » n’aurait évidemment
rien à voir avec une lutte armée.
Pour une nouvelle Andalousie
C’est une Andalousie inverse qui, peu à peu, difficilement,
se met en place. Mais si, jadis, cette société andalouse,
tolérante, ouverte, à la pointe des connaissances,
se fondait principalement sur un Islam triomphant, aujourd’hui
le moteur est une société occidentale, laïque,
technicienne, etc…
De fait, le multiculturalisme s’appuie, dans nos pays,
sur un monde majoritairement laïque et scientifique. C’est
dans ce cadre qu’un Islam européen est appelé à se
développer. Certes, cela aura lieu, mais les progrès
sont présentement trop lents.
Il n’est pas question de nier l’existence de différences
culturelles. Mais dans le même temps, et quelle que soit
l’origine des étudiants, tous sont formés
aux mêmes exigences scolaires et universitaires. C’est
ainsi qu’une société nouvelle se met en
place et s’enrichit de ses différences.
Laissons ici le vaste sujet de l’incompréhension
de certains hauts responsables politiques qui semblent penser
que le terrorisme est une sorte de continuation de l’ancienne
guerre froide et doit donc être combattu avec les mêmes
armes. Il est vrai que pour certains (surtout dans l’Amérique
profonde) le monde est divisé entre « alignés » et « voyous ».
Et qui n’est pas avec nous est contre nous.
De là, cette erreur massive qui pense pouvoir réaliser
une lutte contre un «
terrorisme » multiforme avec
des armes puissantes, mais inadaptées.
Ainsi, cette
lutte contre une hydre nébuleuse appelée « el
qaida » qui a, en fait, des tentacules dans nos banlieues
(à Paris, comme à Londres ou ailleurs…).
Autant vouloir tuer des fourmis avec une mitrailleuse, ou
détruire
les moustiques avec un marteau !
D’ailleurs, le souci de la vérité invite à se
poser la question de savoir si une telle organisation nommée « el-qâ’ida » existe
en tant qu’organisation centralisée et structurée.
Ou bien si une telle « organisation » diabolique
n’est pas une création de la propagande de ceux
qui voudraient remplacer l’ancienne « subversion
communiste» par un autre démon (à défaut
d’ « empire du mal », un « axe du
mal » et
une organisation subversive unique et, donc, bien repérable….).
Abandonnons cette vision manichéenne, bien que la religion « produit
blanc » de nos médias ignore de telles subtilités.
La vérité finit toujours par triompher. Il arrive
seulement que le chemin soit long.
Jacques Chopineau, Genappe, le 5 janvier 2005
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