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 Les chroniques



    Jacques Morlet

 

1) Citons en plus de l'ouvrage traité en ces lignes:
- une étude de l'essence du christianisme de Feuerbach;
- un survol du panthéisme juif, d'Uriel da Costa à Spinoza - une présentation de l'Evangile du Ghetto. L'auteur nous semble choisir ses sujets sous l'influence d'un certain libéralisme juif.

(2) Figure importante et attachante du protestantisme du 19e siècle, André Réville, pasteur de l'Eglise wallonne, entretint des relations avec les facultés des sciences de l'Université d'Utrecht et de théologie de Tübingen. Fondant la chaire d'Histoire des religions au Collège de France, le Ministre Jules Ferry lui en confia le titulariat.

 

 

 

 

 

 

 

3) Mouvement protestant qui, sous des nuances variables, affirme l'unité de Dieu en opposition avec les perspectives trinitaires ou mieux triunitaires de la définition de Nicée - Constantinople. Il constitue de ce fait une sorte de résurgence de l'arianisme. Il a déployé une activité féconde sur le terrain des interventions sociales de la lutte contre l'esclavagisme, de l'amélioration des conditions carcérales. Il a témoigné de la sympathie pour la recherche scientifique. Il a compté des théologiens tels que Lindsey, Channing, Enzinas et Jean Martineau, des penseurs et savants tels que Locke, Newton, Priestly, Tyndal, des poètes comme Emerson et Longfellow.

 

 

 

(4) Conception érigée en credo par certaines églises orientales, dont l'Eglise copte.

 

  

 


Faust Socin ou le christianisme sans sacrifice

 

 

On doit à Jean-Pierre Osier une série d'études et de traductions d'ouvrages consacrés à divers aspects de la philosophie chrétienne et juive; dont un certain nombre figure dans notre bibliothèque (1). Son analyse de l'œuvre du théologien et légiste Faust Socin (1534-1624) constitue l'objet de ces lignes.

D'origine siennoise, comme son oncle Lelio (1525-1563), dont il a développé les idées, Faust Socin se présente comme anti-trinitaire, s'opposant de ce fait pratiquement à toutes les orthodoxies qui lui sont contemporaines. Selon l'expression synthétique et très judicieuse d'André Réville (2), la théologie socinienne constitue un "rationalisme supranaturaliste", alliant une critique résolument rationnelle des textes testamentaires à une foi profonde dans l'existence d'une révélation biblique surnaturelle, point de vue sur lequel il faut insister. L'Esprit Saint est perçu comme une influence par laquelle Dieu éclaire, guide et soutient l'approche des Ecritures. Le Christ, Fils unique et porteur du Verbe, n'est qu'un homme qui s'élève à travers l'obéissance jusqu'à la sainteté parfaite, d'une ressemblance avec Dieu (loc. cit.). Le passage de Jean XIV : 13-14 étant pris dans le sens de la dépendance absolue. Sous forme unique, mais doué de deux natures personnelles, le Christ socinien, à la fois parfait et imparfait, impassible et souffrant, prié et priant, répond à l'image qu'en évoque l'épisode déchirant du Jardin de Gethsémané.

Faust Socin relativise par ailleurs la portée des rites du baptême et de la Cène, et développe l'idée d'un christianisme sans sacrifice, du moins sous l'angle expiatoire classique. Celui-ci est accompli non pas sur la croix, mais au ciel, par le Christ de la Résurrection, qui se présente devant Dieu en faveur de l'humanité tout entière. Corrélativement, l'athée qui se conforme à une éthique chrétienne, n'est pas écarté de la justification (loc. cit.).

Tout ce contexte d'idées a baigné dans le climat religieux contestataire de la Renaissance italienne. Socin cite d'ailleurs explicitement Dante. Rappelons à cette occasion que Giordano Bruno et Michel Savonarole étaient des moines dominicains et qu'il existe à l'époque un mouvement critique juif ou judaïsant, anti-talmudique, d'esprit parallèle.

La théologie socinienne, dont le catéchisme n'était pas entièrement rédigé au décès de son fondateur, a néanmoins retenu l'attention d'un monde d'érudits, de pasteurs et de théologiens appartenant aux grandes églises institutionnalisées. Sauf d'éphémères périodes, dont témoignent en particulier la Lituanie et la Pologne du 16e siècle, où elle fut florissante, l'église socinienne a été l'objet de persécutions de la part de toutes les orthodoxies, mais elle a survécu sous forme sui generis, en Transylvanie jusqu'à nos jours.

Dans le monde anglo-saxon, son influence diffuse se fond dans le mouvement unitarien, beaucoup plus général (3).

Dans les Pays-Bas du nord, des traductions en néerlandais d'ouvrages de Socin témoignent de leur audience dans les milieux arminiens et même baptistes de la première période.

L'hypothèse d'une incidence sur le mouvement déiste français des "lumières", est fragilisée par la distance qui sépare une foi fondamentale dans le Dieu de la Révélation des perspectives à dominante projective et philosophique. Le dieu d'un Voltaire est le gardien des privilèges d'une société bourgeoise nantie. Celui du pseudo-piétisme d'un Rousseau ne retrouve une dimension chrétienne évidente que dans les développements romantiques tels que le catholicisme grandiloquent de Chateaubriand, ou les tendances socialisantes de Lamennais. Remarquons qu'un Robespierre et ses émules eussent été plus heureusement inspirés par le dieu voltairien que par celui de Rousseau.

La dialectique socinienne participe d'une logique aristotélicienne scolastique et des moyens forcément limités d'une philologie naissante. Leur articulation se révèle en particulier dans le commentaire de notions telles que le "rachat", traité sous un angle spécifiquement légaliste. L'expression biblique 'au commencement' étant prise dans un sens historique pour Genèse I, et métaphorique, peu convaincant, dans le Prologue de Jean, dont sont d'ailleurs absentes toutes lectures métaphysiques ou mystiques.

La diffusion et la généralisation des idées développées par cette doctrine, à la fois originale et prosaïque, doivent peu de choses à un commentaire rationnel mais souvent philosophiquement fragile. Sans qu'on puisse parler d'influence directe, les acceptions unitariennes sont certes avalisées d'une manière plus ou moins avouée et plus ou moins consciente par la théologie personnelle de fidèles de confessions chrétiennes diverses. Mais il faut souligner qu'une même conviction monothéiste peut se tourner tout aussi instinctivement vers la perspective opposée d'une résorption de la nature humaine de Jésus dans l'essence divine du Christ, selon une optique monophysite (4).

Nous limiterons donc notre critique en soulignant que, selon la perspective du libéralisme protestant, aucune structure théologique ne peut prétendre épuiser les ressources d'une foi dans la Révélation, ni orienter par un biais liturgique étroit l'approche et le vécu de Celle-ci dans un cadre cultuel.

Jacques Morlet
(article paru dans "Le Lien", bulletin de l'église du Musée)