retour petite gazette
 Poèmes



    Jacques Herman

 

 

 

 


Atalanta Fugiens

 

Ces poèmes relatifs à la symbolique alchimique traditionnelle constitue la version web du recueil de 1989. L’édition originale (aujourd’hui épuisée) était accompagnée d’illustrations de Victor Agapiescu.

Editions Tetrasomia Oubesk

 

   

 


De la Pierre Philosophale

 

 

Propos liminaires

Bernard, comte de la Marche Trévisane, entame ainsi le fameux Verbum Demissum qui est proprement le traité de la parole perdue :

La première chose requise à la science secrète de la transmutation des métaux est la connaissance de la matière, dont se tirent l’argent-vif des philosophes et leur soufre, desquels ils font et constituent leur divine pierre.

Aux propos du Trévisan, joignons ceux de Michael Maier en son XXVIIe emblème de l’Atalanta Fugiens :

Qui Rosarium intrare conatur Philosophicum absque clave, assimilatur homini ambulare volenti absque pedibus (Celui qui tente d’entrer sans clé dans la Roseraie des Philosophes est comparé à un homme qui veut marcher sans pieds).

Achevons ces propos liminaires par les épigraphes de deux caissons du château de Dampierre-sur-Boutonne en Charente Inférieure :

- Accipe Daque Fidem (Reçois ma parole et donne-moi la tienne)
- Modice Fidei Quare Dubitasti (Pourquoi as-tu douté homme de peu de foi)

Dans Les Demeures Philosophales, Fulcanelli note pour la première :

C’est le mystère de la parole cachée, ou verbum demissum, que notre Adepte a reçue de ses prédécesseurs, qu’il nous transmet sous le voile du symbole, et pour la conservation de laquelle il nous demande la nôtre, c’est-à-dire le serment de ne point découvrir ce qu’il a jugé bon de garder secret : accipe daque fidem.

Pour la seconde, parole de Jésus à Pierre, (Mt 14 :31) :

En vérité, nous ne pouvons rien connaître sans le secours de la foi, et quiconque ne la possède point ne peut rien entreprendre. Nous n’avons jamais vu que le scepticisme et le doute eussent édifié quoique ce soit de stable, de noble, de durable.

 

Poèmes  I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X

I

Qui ne noircit point ne peut blanchir,
Enseigne Artéphius en son Livre Secret :
De qui n’est dépouillé des métaux en effet,
L’âme et l’esprit ne pourront pas s’unir.

Par le feu naturel de notre eau
Qu’on appelle feu contre nature,
Notre pierre subit les laveurs
Qu’inflige la chaleur du fourneau.

Par l’union consacrée du Soufre et du Mercure,
L’enfant surgira en sa toute-puissance,
Résultant de la loi des correspondances,
Archétype de l’humaine progéniture.   

II

Comme l’eau de sainteté
Résulte de deux fontaines
Le rébis homogène
De deux montagnes est né :
Celle de Mercure et celle d’Aphrodite.

Par l’Espérance, la Charité, la Foi,
Un jour, il donnera le roi
- Victoire d’Hermaphrodite !-

Il est partout présent,
C’est un être cosmique,
L’habitant alchimique
De tous les Eléments.   

III

J’ai fait un rêve hermétique
Plein de reines et de rois,
Roses blanches, roses rouges, petit jardin alchimique
Où la licorne à la fontaine boit.
« Change les natures et tu trouveras ce que tu cherches » :
Arnauld de Villeneuve dixit.
Dans notre mer croisent deux perches,
« Salamandra in igne vivit ».
Conformément à la céleste culture,
Au milieu du jardin, un angelot
De la divine horticulture
Urine dans un sabot.
Basile Valentin se dresse
Une balance à bout de bras,
A l’autre bout une prêtresse
Et cætera,
Et cætera.   

IV

« Si tu t’élèves sans échelle
Tu tomberas sur la tête »
Nous enseigne Stolcius en son Jardin Chymique
À propos de Morien en l’état érémitique.

L’autre foule au pied une noire substance
Qu’aucun mystère ne voile :
C’est la terre feuillée, le fumier d’abondance
D’où par la vertu d’un sel
Surgit l’accessible étoile.

Si tu ne peux te passer du laboratoire,
Voulant y maîtriser le feu secret, l’agent salin,
Le Vulcain philosophique,
En quittant l’oratoire,
Visite Jean Beguin
En son œuvre chimique.   

V

Au pied d’un chêne creux, Melchior s’est assis :
Il aperçoit Hermès, sphère armillaire en main,
Le soleil sur la lune, par Vulcain réunis.
Ici Marie la Juive, la Myriam du bain,
Opère la jonction de feu et d’eau de vie.
Là Démocrite face à Vénus devant
Vulcain accroupi, le conum renversant.
Voici devant Calid, l’ermite romain
Découvrant l’art d’Hermès sous le nom de Morien.
Avicenne le Maure et l’aigle au crapaud lié,
Albert le Grand montrant l’hermaphrodite,
Et l’union de Gabric et Beia en un rite
Qu’Arnauld de Villeneuve d’un geste vient consacrer.
C’est sur une montagne qu’un œuvrant italien
Contemple le mercure devant Thomas d’Aquin.
Et voici Raymond Lulle, l’illustre Majorcain.
Il est revêtu d’habits de gentilhomme :
De sa dextre, le futur franciscain
Pointe la nature de l’aurore de l’Homme.
Roger Bacon, grand moine d’Angleterre,
La balance à la main, s’en va équilibrant
L’eau et le feu, l’air et la terre,
Les poids naturels des quatre éléments.
Nicolas Melchior élabore la teinture :
C’est sous forme de messe qu’il rend grâce à Mercure.
Le Morave enfin sous deux arbres apparaît :
Michel Sendivogius ;
A ses côtés, Saturne humecte la terre
Des fleurs d’errante lune et de celles de Phébus.

C’est ici que prend fin la docte réunion
Des adeptes de l’Art des douze nations.   

VI

Dans l’arche du Temple
Est un escargot ;
Art goth,
Que sont amples
Les volutes de l’argot.
Voyeurs et voyants,
Manants et voyous,
« O », voyelle crucifiée, rêve fou,
« O » riant de toutes ses dents,
C’est le gala des chats,
Le grand bal des moustaches,
Sous la lune qui crache :
Ave Maria.   

VII

Vous dissolvez la Pierre par l’art et la nature :
Du noir corbeau la tête se trouve dégagée.
Vers le blanc mercure
L’Œuvre alors vous conduirez.
Vous voilà parvenu au stade lunaire ;
Le cygne blanc s’est envolé;
Aujourd’hui c’est la lumière
Du soleil que vous reflétez.
De la terre à l’air, par l’eau et par le feu
Vous avez accompli les purifications.
Singe de nature, artiste industrieux,
Le soleil en vous demain dardera ses rayons.
Tout est rouge à présent…
En son centre, le Temple illuminé
Dans la joie du cœur attend
Le Mercure sublimé.
Dans la langue des oiseaux, la savante cabale,
Melchior, vous vous exprimerez
Et que la Pierre philosophale
Surgisse de vos traités.   

VIII

Que se croisent en Paris, près de la tour Saint-Jacques,
Vos deux noms en deux rues, gigantesque creuset,
Nicolas Flamel, Dame Perrenelle, androgynat parfait,
Entre taureau et bélier de la candeur orgiaque.

C’est ainsi que se croisent les moustaches du chat,
Les colonnes du Temple que Salomon bâtit,
Les rayons des étoiles dans le cœur de la nuit,
Violets, Rimbaud, comme l’est votre Oméga.

Des saletés, des fèces, une noirceur immonde,
Recouvrent Latone que vous irez blanchir ;
Le Soleil et la Lune vous ne pourrez unir
Que par un sel issu de la crasse des mondes.   

IX

Dans la caverne au cœur de la forêt
À ce jour, aucun Feu ne crépite.
Vous recueillez, Melchior, la rosée de mai
Et le sel de la pierre précipite.
Or donc il faut qu’en la grotte pourrisse
L’espérance des moissons :
La Terre est la nourrice
Du royal rejeton.
De l’arbre de vie, le vent secoue les branches
Sous la voûte étoilée ;
Lune blanche,
Melchior vous présente la matière suppliciée.
Au pied d’un chêne creux, une source jaillit :
La pierre vient s’y laver ;
A fin d’ablutions, Melchior s’est assis,
Privé de tous métaux, nu, dépouillé.
A présent le soleil s’est levé sur un horizon rouge :
Melchior se taira.
La nature ne bouge
Qu’à l’ombre des acacias.   

X

La Nature à ta Nature enseigne à vaincre le Feu,
A le conduire avec diligence :
Dans le Temple de l’innocence
Les enfants vaquent à leurs jeux.
Comme le roi et la reine,
Le soleil à la lune s’est uni,
Comme le chien d’Arménie
A la chienne de Corascène,
Comme la lionne ailée
Au lion privé d’ailes,
Comme Mercure appelle
Le Soufre à le fixer.
Coiffé d’une mitre d’or et ganté de violet,
Des colonnes du Temple, le sel consacre les épousailles.
Longtemps depuis la mort, après mles funérailles
Commencera pour toi la magie du creuset.
Le dragon ne meurt pas
Si le Frère et le Sœur ne le tuent :
Que par la force de leurs massues
Il passe de vie à trépas.