Rraduit de Harold Bloom (1),
Genius, Fourth Estate, Londres, 2002, pages 336-344
«
Nous ne pouvons dire comment souffleront les vents, capricieux
et variables. Comment dès lors comprendre la loi
de nos changeantes humeurs et de notre suggestibilité.
Elles diffèrent du tout au rien. À la place
du firmament d’autrefois, dont nos yeux ont besoin,
nous sommes aujourd’hui enfermés dans une
coquille d’œuf
: nous ne pouvons plus voir ce que sont et où sont
les étoiles
de notre destin.
Jour après jour, les réalités
essentielles de la vie restent cachées à nos
yeux. Tout à coup,
le brouillard se lève et les révèle à nos
yeux et nous pensons au temps précieux qui s’est écoulé et
que nous aurions pu utiliser si nous avions eu la moindre
intuition de ces choses. Notre route monte soudain et nous
voyons l’ensemble
des montagnes, avec tous les sommets qui ont été présents
tout le temps, mais pas à nos esprits.
Mais ces changements
ne se font pas dans le désordre,
et nous sommes engagés dans notre destin changeant
(changeante fortune). Si la vie paraît être
une succession de rêves, alors une justice poétique
existe pour les rêves, aussi les visions des hommes
de bien sont bonnes ; c’est le désir incontrôlé qui
est stimulé par les mauvaises pensées et
les infortunes. Quand nous contrevenons aux lois, nous
perdons
notre emprise sur la réalité centrale. Comme
des malades à l’hôpital, nous passons
de lit à lit, d’une folie à une autre
; et ce qui arrive à de tels naufragés – à ces
créatures gémissantes, stupides, proches
du coma – transférées
de lit à lit, du néant de la vie au néant
de la mort, ne peut avoir beaucoup de sens ! » (2)
Mon regretté ami
Angels Bartlett Gramatti me disait toujours avec malice
:
« Emerson est aussi doux
que le fil barbelé ». Certes, le sage
de Concord n’était
pas toujours aussi dur qu’il l’est dans Illusions,
The Conduct of Life, mais cette œuvre la plus
réfléchie
révèle le plus authentique Emerson et est
l’expression
la plus achevée de son immense génie.
Et le
génie d’Emerson reste le génie de
l’Amérique : il a établi notre vraie
religion qui est post-protestante tout en faisant semblant
de ne pas
l’être. La Self-Reliance (confiance en soi)
n’est
pas une doctrine oonfortable ni réconfortante car
elle invite chacun de nous à faire confiance à son
propre génie, faute de quoi, à s’exclure
et tomber.
«
Destin », « Puissance » et « Richesse » s’ajoutent
aux « Illusions » comme les quatre grandes
parties de The Conduct of Life.
«
Richesse » nous enseigne que « aussi longtemps
que ton génie achète, l’investissement
est sûr, même si tu dépenses autant
qu’un
roi ». De nouvelles capacités innées
feront surface.
«
Puissance ». Toute puissance est de même espèce,
et participe à la nature du monde. C’est cette
puissance qu’Emerson appelle « original
action »,
un terme synonyme de Self-Reliance.
Et pourtant, l’action,
pour l’Emerson des années
de maturité, est circonscrite par le sens du destin.
Il retourne à l’idée
pré-socratique que le caractère est le destin,
l’ethos, le daemôn,
et son génie s’apaise
en élevant des autels à la
« Belle
Nécessité ».
«
Pourquoi craignons-nous d’être écrasés
par les éléments furieux,
nous qui sommes
faits de ces mêmes éléments.
Dressons
des autels à la
Belle
Nécessité
qui rend l’homme courageux
quand il croit qu’il ne peut éviter un danger
qui lui est assigné,
ni être menacé par
un autre qui n’est pas pour lui. »
Si Emerson
avait une obsession, c’était bien celle
du génie américain.
«
L’érudit américain », son discours à Harvard
du 3 août 1837 sur l’originalité littéraire
américaine, se transforme en un manifeste pour le
génie
et reste la méditation centrale sur le génie
américain :
La seule chose précieuse au monde
est l’âme
active… En agissant elle est le
génie…
(1) Harold Bloom est
décrit
par le New York Times comme « un colosse
de la critique [qui a] un esprit encyclopédique,
une exubérante
excentricité et
un amour démesuré pour la littérature ».
Harold Bloom est né dans une famille où l’on
parlait yiddish et apprit l’anglais en lisant les poèmes
de William Blake.
(2)Extrait de Illusions, The Conduct of Life
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