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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

 

   

 


Tâche ardue et prophétique

 

 

Le rappel, ce 20 janvier 2007, sous la rubrique « Éthique », du texte de la 24ème Assemblée Générale de l’Alliance Réformée Mondiale (10/08/2004) et intitulé « Alliance pour la justice économique et écologique » a été le point de départ d’une réflexion que j’aimerais partager.

Loin de moi l’idée de faire ici l’apologie de l’ultralibéralisme, appelé communément et assez improprement aujourd’hui « néolibéralisme », ni de nier les injustices et les abus évidents d’un système. Les éminents experts qui ont éclairé les membres de l’Alliance sont certainement mieux placés que moi pour donner leurs avis en matière d’économie politique et de politique économique. Il est à espérer qu’ils ne font pas partie de la gauche caviar ou de la droite boudin.

En guise de préambule, je tiens à signaler que je m’oppose farouchement à l’exploitation de l’homme par l’homme ainsi qu’à la destruction intempestive de notre patrimoine planétaire. De la même manière, je combats les jeux d’influence et les pressions exercées sur les consciences par les religions, notamment et principalement. Je m’insurge également avec force contre la désinformation systématique et, en l’occurrence, contre les amalgames réalisés par l’Alliance mondiale des Églises qui mêle évaluations économiques discutables, critiques politiques équivoques, considérations confessionnelles enflammées, conseils éthiques et proclamations fidéistes grandiloquents. Le tout relayé sans aucun commentaire.

Il m’est impossible de reprendre point par point l’ensemble du document. Je me contenterai seulement d’épingler quelques paragraphes et de donner mon opinion.

Le point 5 est le début d’une prise de conscience soudaine et pathétique semblant faire table rase du passé même très récent des Églises. Il est choquant, pour l’athée que je suis, de constater avec quel aplomb les nouveaux coupables et les pécheurs sont montrés du doigt, de quelle façon holistique les décisionnaires économiques sont diabolisés par des accusateurs subitement blanchis – mais non disculpés – de leurs propres et lourdes responsabilités via un passage à confesse ou l’adhésion à un manifeste. Tout aussi incongrus sont les engagements solennels sans suite et les « y a qu’à, faut qu’on »…
Et si chacun assumait ses responsabilités au lieu de se refiler la patate chaude ?

Dans le point 6, les « signes du temps » sont interprétés et les menaces précisées. Elles seraient « le résultat d’un système économique injuste défendu et protégé par de puissants moyens politiques et militaires »… eux-mêmes mis en place, faut-il préciser, par des hommes politiques soutenus pour la plupart par les Églises. Ne prenons qu’un exemple flagrant et suffisant : le « poulain de la droite religieuse américaine », starring : G.W. Bush as himself.

Point 7. Sans m’appesantir sur la responsabilité de certains responsables religieux concernant la prolifération du virus HIV, j’aimerais ajouter ici que l’interdiction de l’irrévérencieuse capote a grandement favorisé le sous-emploi et l’exploitation des plus pauvres tout en les maintenant en état de sous-pauvreté. Pensons aux familles plus que nombreuses interdites de contraception, incapables de se sous-nourrir et, a fortiori, de s’instruire. Rappelons-nous comment des enfants sont livrés à la prostitution, à l’exploitation, à la rue et à ses monstres. Chaque jour est une lutte à la vie à la mort. Et lorsque l’un d’entre eux arrive à être sous-payé pour exécuter un sous-travail, toute la famille est dans la joie : ils vont pouvoir survivre.
Bien sûr, la situation est bancale, scandaleuse et indécente. Mais c’est moins horrible quand même que le grand « rien » tout vide dans lequel sont plongés les brebis dociles et dominées, les esclaves d’un autre temps, ceux qui hier encore n’étaient pas des êtres humains aux yeux des Églises conquérantes et mercantiles.

J’aimerais citer un autre article paru récemment dans ces colonnes : « Vertigineuse chute démographique » où l’auteur s’inquiète de la baisse « dramatique » de la fécondité, non seulement en Occident, mais aussi dans la majeure partie de la planète.

Et dire que mon bon sens basique me faisait me réjouir, pensant que le Nobel de médecine avait été écouté. Voici ce qu’il écrivait, il y a à peine quatre ans :

«  Tous nos efforts doivent tendre à limiter cette expansion [démographique planétaire] le plus rapidement possible. Si nous ne le faisons pas, la sélection naturelle le fera pour nous, avec des conséquences dramatiques dont des signes prémonitoires se laissent déjà discerner dans diverses parties du globe. Famines, épidémies, conflits, expulsions de masse, génocides, purifications ethniques, attentats terroristes, hostilité croissante envers les immigrants, milieux urbains déshumanisants se multiplient de par le monde.  Encore qu’il serait simpliste d’imputer tous ces maux à la seule expansion démographique, ce phénomène y joue certainement un rôle dominant. » (1).

Évidemment, ce n’est pas l’avis d’un éminent expert économique, de quelque tendance qu’il soit.

Dans le point 10, est affirmé que l’ultralibéralisme se prétend être la seule solution possible pour « sauver le monde ». Je n’ai lu cela nulle part ailleurs. Par contre, certains de mes professeurs, parlant du libéralisme-tout-court, soulignaient qu’aucun autre système n’avait jusqu’ici pu faire ses preuves, même aussi insuffisantes, et résister au temps. Ce point 10 mériterait d’être cité comme exemple de l’approximation générale et de la confusion du document de l’Alliance qui semble confondre doctrine économique et dogmatisme religieux.

Plus loin, je lis beaucoup de phrases qui commencent par « nous croyons » et « nous rejetons ». Que ces « affirmations positives suivies d’affirmations négatives [qui donnent] à l’ensemble un ton très manichéen et quelque peu incantatoire » constituent « une réelle confession doctrinale » ou « une simple déclaration » (2), notions entre lesquelles l’AG n’a pas tranché, cela ne me concerne pas. Mais j’interroge : après avoir bien cru et rejeté, que proposent les « Alliés » ? Ils proposent de s’engager à « rechercher une alliance universelle pour la justice économique et écologique dans la maison de Dieu » et, enfin, citant une fois de plus l’Ancien Testament (celui du « peuple élu ») proclament qu’ils comptent s’engager, eux-mêmes, leur temps et leur énergie « en vue de changer, de renouveler et de restaurer l’économie et la terre, en choisissant la vie afin que nos descendants et nous puissions vivre ». Ils s’exhortent mutuellement à « aller plus loin, au moyen de l’éducation, de la confession et de l’action » : cela signifie qu’ils vont inculquer leurs propres idées comme autant de vérités indiscutables aux futures générations et qu’ils vont se soulager la conscience – et effacer leur ardoise ? – grâce à la confession. Mais pour ce qui concerne l’action, ils ne précisent rien.

Je déplore également que, d’une manière générale, les responsables religieux n’aient pas regardé plus tôt « à travers les yeux des personnes qui sont pauvres et qui souffrent » et je suis étonnée de lire que la vue à travers ces yeux-là leur permet d’affirmer que « le désordre mondial actuel a ses racines dans un système économique complexe et immoral qui est défendu par un empire »… Je suppose qu’ils veulent dire « un autre empire » ?
En conclusion, je dirais que ce texte de la 24ème Assemblée Générale de l’Alliance Réformée Mondiale qui fut pour moi une opportunité supplémentaire de m’exprimer, résonne à mes oreilles comme de la prédication emphatique qui ne me sied pas davantage que les discours incandescents de certains intégristes sous d’autres cieux.

Mais comme l’explique un pasteur français :
«  Tous ces documents sont marqués par le contexte et l’expérience des chrétiens du Sud de la planète, majoritaires au sein de l’ARM (…)
Au bout du compte, même si certains de ces textes peuvent apparaître aux chrétiens d’Europe sans nuances, même si certaines analyses économiques semblent trop rapides, même si les soubassements théologiques peuvent être discutés, il faut entendre l’appel qui traverse l’ensemble des documents : appel à la vie plus forte que la mort, appel à l’engagement des chrétiens pour rendre habitable la terre habitée (…) » (2)
Amen ! Puisse cette compréhension et cette tolérance des chrétiens d’Europe envers ceux d’Afrique, cette volonté d’aller au-delà des mots et d’entendre l’appel qui se cache au cœur du message, s’exercer aussi envers tous ceux qui se trouvent en-dehors du christianisme et de la chrétienté.

Nadine de Vos, le 21 janvier 2007   

(1) Christian de Duve, À l’écoute du vivant, Odile Jacob (Sciences), Paris, septembre 2002, p. 314.
(2) Pasteur Didier Crouzet, Église réformée de France, Synthèse des documents issus de l’Assemblée générale de l’Alliance Réformée Mondiale Accra , Ghana, 30 juillet – 13 août 2004.