Deux mots d’introduction
Il est habituel que deux pays voisins soient –sur
plusieurs points- différents, voire opposés.
C’est
le cas des autrichiens ou Suisses germanophones parfois anti-allemands.
C’est aussi le cas des belges francophones parfois anti-français.
Ce n’est, certes, pas le cas de tous les belges. On voit
même le contraire, non seulement à Liège
mais aussi dans beaucoup de contrées de la Belgique
wallonne.
Il faut d’ailleurs reconnaître
que certaines habitudes langagières « françaises » sont
difficilement supportables. En même temps, il importe
de relativiser cette apparente dérision. Il en est
des « blagues
belges » comme des blagues suisses, corses, écossaises,
auvergnates etc… D’ailleurs, ces plaisanteries
ne sont guère connues hors de la région parisienne.
Au
surplus, chaque région a son humour particulier et
l’humour belge peut être drôle sans être
moqueur. On ne peut en dire autant d’un certain humour
parisien. Mais ce point n’est pas important.
En tout état
de cause, qu’il soit permis à un
français dont une grande partie de la vie se déroule
en Belgique, d’exprimer –sur le plan politique-
un étonnement. Nulle critique, donc, dans les lignes
qui suivent : seulement un étonnement toujours renouvelé.
Après tout, nous sommes tous des européens.
Les réflexes « nationaux » de jadis sont
appelés à être
remplacés par une liberté de ton qui sied à tous
les démocrates de notre Europe.
En outre, similitude
culturelle et linguistique signifie aussi parenté profonde,
au-delà de clivages politiques –lesquels
ont une histoire récente. Cette histoire n’est
pas à sous-estimer, certes, mais elle n’est
pas non non plus le dernier mot. De fait, les mots suivants
de
cette histoire seront écrits par nos descendants et
par tous ceux qui (quelle que soit leur origine) composeront
la société nouvelle.
Il est clair que la société qui
se construit, peu à peu, n’est pas celle de
nos parents. Et l’Europe qui se met en place n’est
peut-être
pas le projet qu’ils avaient formé pour leurs
enfants. Mais ce vaste sujet n’est pas abordé dans
les lignes qui suivent.
Étonnements
Nombreux sont ces étonnements.
Laissons ce qui relève
d’habitudes langagières et de pensées
habituelles : chacun a les siennes, ici comme là.
Toutes les éducations
supposent des « vérités » apprises
dès l’enfance. Tenons-nous en ici au domaine
politique.
J’ai entendu plusieurs fois défendre
le vote obligatoire comme une obligation nécessaire
parce que démocratique.
Je pense le contraire. Ce vote obligatoire est certainement
bon pour les partis (à la recherche de clientèle électorale),
mais non toujours pour le pays.
D’ailleurs, les pays
voisins ne sont-ils pas des démocraties
? Pourtant, ils ne pratiquent pas cet usage. Seules, en Europe,
la Belgique et la Grèce connaissent une telle obligation.Mais
là n’est pas l’essentiel. Plutôt
cette question : Est-il possible de revendiquer la démocratie
sans faire droit aux voeux des populations ?
A-t-on demandé aux
gens des Fourons à quelle
province ils voulaient être rattachés ? A-t-on
pensé que les habitants de la périphérie
bruxelloise avaient leur mot à dire sur leur rattachement à une
région dont beaucoup ne pratiquent pas la langue ?
Et n’est-ce pas un tour de force que de parler de « minorités
linguistiques », là où la grosse majorité est
naturellement francophone . L’enfermement de Bruxelles
dans les sacro-saintes « dix-neuf communes » relève
du paradoxe.
Il me semble que ces « arrangements » (entre
partis) ouvrent la porte à des incompréhensions
dans le public. Incompréhensions devenues habituelles –sources
d’indifférence aux discours politiques ? C’est
là, en tout cas, qu’un vote obligatoire est
bien utile…
Je me souviens d’un ami belge (jadis,
un résistant émérite)
qui souffrait de cette situation politique. Il avait passé toute
son enfance et sa jeunesse à Bruxelles. Mais malgré son
attachement à la Belgique et à sa ville natale,
il n’a jamais pu donner son avis Pourquoi ? Domicilié –sur
le tard- dans la région de Namur, il n’était
pas consulté sur le sort de Bruxelles –qui pourtant
lui importait.
C’est un peu comme si –me disais-je-
tel monument parisien était l’affaire des seuls
parisiens. Ou tel monument bourguignon ou languedocien ne
pouvait concerner
un parisien. Transposons : Liège aux liégeois
; Anvers aux anversois…..
Il appartient donc à un
gouvernement fédéral
d’exprimer l’unité d’un pays morcelé en
principautés jalouses de leurs particularismes. Bien,
mais : où donc est l’unité d’un
tel pays ? Quand pense-t-on « belge » en premier
lieu ? Bien sûr, cela arrive –au plan individuel-
mais –me
semble-t-il- rarement au niveau des élites dirigeantes.
Ainsi beaucoup de belges ne sont guère amenés à se
prononcer sur la Belgique –sauf si, d’aventure,
tel parti politique met en avant cette préoccupation.
Ou encore lorsque qu’une émission de télévision
met en scène un bouleversement étatique majeur.
Par parenthèse, le fait qu’un large public ait
cru à cette fiction médiatique : cela montre
assez la crédibilité de cet événement
aujourd’hui fictif.
En fait, depuis des années, l’étranger
que je suis assiste à la montée d’une
nation flamande sûre d’elle-même. A l’inverse,
rares sont les signes d’une nation wallone ! Entre
les deux, Bruxelles voudrait oublier qu’elle est à la
fois francophone et capitale de la Flandre.
Autre étonnement
: que les nouveaux riches rechignent à « payer
pour les pauvres » (wallons). Certes, beaucoup de pays
connaissent une région riche et une région
moins riche. Habituellement, les uns payent pour les autres.
Ainsi
fait-on dans toutes les familles.
Le fait de trouver anormal
d’aider telle région
sans donner aussi des « compensations » à une
région qui en a moins besoin : cela est –pour
moi- une idée choquante. Transposons encore : La région
parisienne est beaucoup plus riche que d’autres régions
françaises. Mais si riches et pauvres forment la même
famille, il semble exclu d’avoir à « compenser » une
aide quelconque.
Dans l’ancienne Tchécoslovaquie,
Prague était
plus riche que Bratislava. Le pays a éclaté et
l’on a pas manqué de prédire que seule
la partie la plus riche avait un avenir. La prédiction
s’est avérée fausse. Certes, la Tchéquie
est encore plus riche que la Slovaquie. Mais cette dernière –contrainte
de prendre son destin en main- fait des progrès remarquables.
Il est vrai qu’entre la Tchéquie
et la Slovaquie, il n’y avait pas de région
mixte. Il n’existait
pas de Bruxelles tchécoslovaque –ce qui simplifiait
les choses.
J’ai connu le temps où les francophones
consentaient bien des sacrifices, afin de sauver une Belgique
unitaire –non
fédérale. Puis est venu le temps du fédéralisme.
Viendra, sans doute, demain, un confédéralisme… qui
sera, peut-être, plus une séparation déguisée
qu’une « confédération » à la
manière suisse. Les affirmations contraires et les
dénégations
solennelles ne sont convaincantes que pour les convaincus.
Elles n’ont, d’ailleurs, qu’un temps –celui
des élections ?
Parentés
Ces propos peuvent sembler
extérieurs et –pour
ainsi dire- superficiels. Il est vrai que chacun voit midi à son
balcon. Et l’on ne voit, habituellement, que ce qu’on
a appris à voir.
Pourtant, les ressemblances sont
nombreuses entre France (surtout du Nord) et Belgique (surtout
du Sud). Des ressemblances
qui
sont –malgré l’histoire- des similitudes
pour moi, évidentes.
De fait, tout français
pourrait dire que, dans plusieurs domaines de la civilisation
française, la part belge
est considérable. Rappelons le Verhaeren des anthologies
poétiques françaises, Hergé le créateur
de Tintin, Simenon le créateur de Maigret, le fabuleux
poéte Henri Michaud (naturalisé français,
sur le tard, mais né à Namur), Jacques Brel –un
des maîtres de la chanson française, Folon,
Devos et beaucoup d’autres … connus ou méconnus.
La liste serait longue ! En fait, la Belgique n’est
petite que sur la carte de géographie !
Mais toutes
les sociétés humaines connaissent
aussi leurs particularités –liées à l’histoire-
et, naturellement, leurs pesanteurs. Pourquoi –me disais-je-
la deuxième religion de ce pays n’a-t-elle pas
accès à la
télévision ?
Car tel
est le cas de l’Islam.
Religion, certes, reconnue et subsidiée (comme le
catholicisme, le protestantisme, le judaïsme) mais, à la
différence
des autres religions, sans accès à la télévision.
N’est-ce pas étonnant ?
Souvent, ici ou là,
l’opinion d’un étranger
n’a guère de poids et peut même être
mal perçue. C’est pourquoi ces lignes s’adressent « à mes
amis belges », lesquels connaissent mon attachement à ce
pays.
Pour autant, mes étonnements sont marqués
par une culture politique un peu différente. Mais
l’Europe
sera marquée par une grande diversité de cultures
politiques. Dans ce cadre, les différences ne sont
pas des divisions. Par contre, les rapprochements sont, à terme,
inévitables. Nos identités –loin de nous
enfermer dans le passé- sont devant nous. Saurons-nous
en trouver les formes ?
Jacques Chopineau. Genappe le 18 janvier 2007 |