L’Europe féodale,
morcelée en petites unités
politiques s’emboîtant comme des poupées
gigognes selon les règles de la vassalité et
des alliances matrimoniales entre aristocrates, a été accusée
d’avoir élevée des barrières pour
la libre circulation des hommes et des marchandises (les péages).
Cette accusation semble excessive car elle n’a pas empêché la
diffusion des arts, de l’architecture, des grands ordres
monastiques, des alliances dynastiques, de la vie mondaine
des cours, des nouvelles idées, etc., ainsi que des
courants commerciaux sur toute une Europe chrétienne.
D’autre part, cette Europe a été préservatrice
d’une culture de terroir. En fait, elle a dessiné une
vaste mosaïque où les relations se faisaient de
proche en proche, chaque unité de base ayant à proposer
aux voisines des spécificités économiques,
gastronomiques, culturelles, etc., qu’elle entretenait
très soigneusement voire qu’elle inventait. Les
marchés locaux et les fêtes étaient autant
de lieux d’échange.
Dans nos sociétés
modernes, l’accent a été mis
sur les grands ensembles politiques (les nations-Etat) assimilateurs
des particularismes locaux ou encore purificateurs religieux
et ethniques en exilant leurs composantes “ étrangères ”,
et, de plus en plus sur des communautés régionales
intégrationnistes dont l’Europe est le modèle
le plus actuel, venant après les fédéralismes
Nord-américain et soviétique. Les communautarismes
culturelles et religieux ont suivi cette amplification, d’où la
naissance d’impérialismes culturels : le
progressisme lié à une évolution inéluctable,
la colonisation des peuples non industrialisés, la
race aryenne, la grande nation serbe, la conquête de
l’Europe
prônée par les islamistes, la défense
réactionnaire
d’une Europe dite “ chrétienne ”,
etc.
Le religieux est vécu à la fois
localement par la fréquentation d’un lieu de
culte et à la
fois, et ceci de plus en plus, au niveau mondial par une
forte solidarité psychologique et idéologique
faisant craindre un “ heurt des cultures ”.
Le niveau national s’interpose toutefois avec ses organisations
ecclésiales (Eglises, fédérations, consistoires,
mouvements, etc.) et, encore timidement, le niveau régional.
Est-il
possible de retrouver une dynamique locale où les
communautarismes culturels et religieux pourraient dialoguer
et échanger ? Les fêtes de quartier, de
village, de ville essaient de revaloriser les ressources
locales. Les
associations d’émigrés y sont souvent
invitées.
En été, les festivals exotiques connaissent
du succès. Au niveau commercial, des foires présentent
les produits de tel ou tel pays. Alors, pourquoi ne pas essayer
de lutter contre cette désertion du local au
profit des grandes villes ou de regroupements artificiels
? L’abandon,
la mise en veilleuse ou l’ouverture seulement occasionnelle
de nombreux lieux de culte, va de pair avec la suppression
de nombreux services et équipements publics.
Le religieux
confessionnel définit le culte pour des
initiés (des baptisés et des catéchisés
pour les chrétiens, des purifiés pour les musulmans),
ce qui écarte d’emblée les autres. Les
sacrements et autres bénédictions sont conditionnés à l’adhésion à un
système de croyances, à des credo. Par contre,
les fêtes religieuses extra cultuelles (pardons bretons,
pèlerinages, la fête du mouton, etc.) donnent
lieu à des manifestations populaires et sont ouvertes à tous,
les non-initiés pouvant soit s’y mêler,
soit en être les spectateurs. Elles font partie d’un
patrimoine admis par tous.
Peut-on aller plus loin, jusqu’aux
cultes eux-mêmes ?
La plupart des lieux de culte sont ouverts et les religieux
acceptent bien volontiers que d’autres croyants et
des non croyants assistent aux cérémonies.
Par ailleurs, le culte chrétien qui met l’accent
sur la communion comme repas cultuel, retrouve le sens originel
qui est de créer
du lien social en référence à une entité surnaturelle
(ancêtre, naguère un empereur divinisé,
un dieu, etc.). L’inter-communion entre chrétiens
est dès lors de plus en plus souhaitée et les
barrières confessionnelles sont perçues désormais
comme anachroniques. Il en est de même pour la validité des
baptêmes d’une Eglise à une autre. Les
travaux d’exégèse des textes dits sacrés
sont menés par des spécialistes de tout bord,
selon l’éthique scientifique et en interrelation.
Il en résulte un net décloisonnement interconfessionnel,
très large au niveau des aspirations en dépit
de certaines crispations réactionnelles. Enfin, des
célébrations libres entre chrétiens
de divers horizons présentent un partage du pain et
du vin au nom de Jésus, si bien que cette référence à Jésus
peut fort bien concerner d’autres croyants, voir des
agnostiques et des athées qui s’intéressent à la
dimension humaine du personnage. Ceci pour dire que les activités
cultuelles peuvent être vécues d’une façon
ouverte, loin du confinement d’antan.
L’évolution
du culte lié à la fête
de Noël est en ce sens significative. À cette occasion,
les églises et les temples deviennent trop exiguës !
Aux pratiquants habituels s’ajoutent en effet les pratiquants
annuels (qui vont au culte lors des grandes fêtes – ce
qui se fait depuis belle lurette), et puis, fait nouveau,
des familles non pratiquantes mais qui souhaitent que les
fêtes
religieuses conservent une dimension spirituelle, ne soient
plus accaparées par le commerce mercantile, ne donnent
plus seulement l’occasion d’une distribution
massive et exorbitantes de cadeaux, qu’elles restent
des fêtes
traditionnelles au sens large du terme. À Noël,
l’accent
est maintenant volontiers mis sur le regroupement familial,
ou encore sur l’accueil des isolés et des déshérités.
Il est également admis que les enterrements et les
mariages réunissent au sein des lieux de culte des
populations les plus diverses, souvent loin de la foi personnelle
du défunt
ou des mariés. La parole y est de plus en plus donnée
aux laïcs et aux proches.
Le culte peut-il donc s’élargir
au-delà des
seuls initiés, sortir sur les parvis, faire fête à tous ?
Nous retrouverions alors les exhibitions publiques des confréries
coutumières de nos sociétés anciennes
qui savaient gérer le religieux d’une façon
festive, à la fois pour se montrer et pour le plus
grand bonheur de tous. Toutes les grandes dates “ païennes ”,
chrétiennes, musulmanes, pourraient alors être
l’occasion de festivités publiques – à ne
pas confondre bien entendu avec des prêches sur la
voie publique !
Jean-Claude Barbier, Bordeaux
le 8 janvier 2007 |
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