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 Les chroniques



    Jean-Claude Barbier

 

 

 

   

 


Du culte communautaire
aux festivités pour tous

 

 

L’Europe féodale, morcelée en petites unités politiques s’emboîtant comme des poupées gigognes selon les règles de la vassalité et des alliances matrimoniales entre aristocrates, a été accusée d’avoir élevée des barrières pour la libre circulation des hommes et des marchandises (les péages). Cette accusation semble excessive car elle n’a pas empêché la diffusion des arts, de l’architecture, des grands ordres monastiques, des alliances dynastiques, de la vie mondaine des cours, des nouvelles idées, etc., ainsi que des courants commerciaux sur toute une Europe chrétienne. D’autre part, cette Europe a été préservatrice d’une culture de terroir. En fait, elle a dessiné une vaste mosaïque où les relations se faisaient de proche en proche, chaque unité de base ayant à proposer aux voisines des spécificités économiques, gastronomiques, culturelles, etc., qu’elle entretenait très soigneusement voire qu’elle inventait. Les marchés locaux et les fêtes étaient autant de lieux d’échange.

Dans nos sociétés modernes, l’accent a été mis sur les grands ensembles politiques (les nations-Etat) assimilateurs des particularismes locaux ou encore purificateurs religieux et ethniques en exilant leurs composantes “ étrangères ”, et, de plus en plus sur des communautés régionales intégrationnistes dont l’Europe est le modèle le plus actuel, venant après les fédéralismes Nord-américain et soviétique. Les communautarismes culturelles et religieux ont suivi cette amplification, d’où la naissance d’impérialismes culturels : le progressisme lié à une évolution inéluctable, la colonisation des peuples non industrialisés, la race aryenne, la grande nation serbe, la conquête de l’Europe prônée par les islamistes, la défense réactionnaire d’une Europe dite “ chrétienne ”, etc.

Le religieux est vécu à la fois localement par la fréquentation d’un lieu de culte et à la fois, et ceci de plus en plus, au niveau mondial par une forte solidarité psychologique et idéologique faisant craindre un “ heurt des cultures ”. Le niveau national s’interpose toutefois avec ses organisations ecclésiales (Eglises, fédérations, consistoires, mouvements, etc.) et, encore timidement, le niveau régional.

Est-il possible de retrouver une dynamique locale où les communautarismes culturels et religieux pourraient dialoguer et échanger ? Les fêtes de quartier, de village, de ville essaient de revaloriser les ressources locales. Les associations d’émigrés y sont souvent invitées. En été, les festivals exotiques connaissent du succès. Au niveau commercial, des foires présentent les produits de tel ou tel pays. Alors, pourquoi ne pas essayer de lutter contre cette désertion du local au profit des grandes villes ou de regroupements artificiels ? L’abandon, la mise en veilleuse ou l’ouverture seulement occasionnelle de nombreux lieux de culte, va de pair avec la suppression de nombreux services et équipements publics.

Le religieux confessionnel définit le culte pour des initiés (des baptisés et des catéchisés pour les chrétiens, des purifiés pour les musulmans), ce qui écarte d’emblée les autres. Les sacrements et autres bénédictions sont conditionnés à l’adhésion à un système de croyances, à des credo. Par contre, les fêtes religieuses extra cultuelles (pardons bretons, pèlerinages, la fête du mouton, etc.) donnent lieu à des manifestations populaires et sont ouvertes à tous, les non-initiés pouvant soit s’y mêler, soit en être les spectateurs. Elles font partie d’un patrimoine admis par tous.

Peut-on aller plus loin, jusqu’aux cultes eux-mêmes ? La plupart des lieux de culte sont ouverts et les religieux acceptent bien volontiers que d’autres croyants et des non croyants assistent aux cérémonies. Par ailleurs, le culte chrétien qui met l’accent sur la communion comme repas cultuel, retrouve le sens originel qui est de créer du lien social en référence à une entité surnaturelle (ancêtre, naguère un empereur divinisé, un dieu, etc.). L’inter-communion entre chrétiens est dès lors de plus en plus souhaitée et les barrières confessionnelles sont perçues désormais comme anachroniques. Il en est de même pour la validité des baptêmes d’une Eglise à une autre. Les travaux d’exégèse des textes dits sacrés sont menés par des spécialistes de tout bord, selon l’éthique scientifique et en interrelation. Il en résulte un net décloisonnement interconfessionnel, très large au niveau des aspirations en dépit de certaines crispations réactionnelles. Enfin, des célébrations libres entre chrétiens de divers horizons présentent un partage du pain et du vin au nom de Jésus, si bien que cette référence à Jésus peut fort bien concerner d’autres croyants, voir des agnostiques et des athées qui s’intéressent à la dimension humaine du personnage. Ceci pour dire que les activités cultuelles peuvent être vécues d’une façon ouverte, loin du confinement d’antan.

L’évolution du culte lié à la fête de Noël est en ce sens significative. À cette occasion, les églises et les temples deviennent trop exiguës ! Aux pratiquants habituels s’ajoutent en effet les pratiquants annuels (qui vont au culte lors des grandes fêtes – ce qui se fait depuis belle lurette), et puis, fait nouveau, des familles non pratiquantes mais qui souhaitent que les fêtes religieuses conservent une dimension spirituelle, ne soient plus accaparées par le commerce mercantile, ne donnent plus seulement l’occasion d’une distribution massive et exorbitantes de cadeaux, qu’elles restent des fêtes traditionnelles au sens large du terme. À Noël, l’accent est maintenant volontiers mis sur le regroupement familial, ou encore sur l’accueil des isolés et des déshérités.

Il est également admis que les enterrements et les mariages réunissent au sein des lieux de culte des populations les plus diverses, souvent loin de la foi personnelle du défunt ou des mariés. La parole y est de plus en plus donnée aux laïcs et aux proches.

Le culte peut-il donc s’élargir au-delà des seuls initiés, sortir sur les parvis, faire fête à tous ? Nous retrouverions alors les exhibitions publiques des confréries coutumières de nos sociétés anciennes qui savaient gérer le religieux d’une façon festive, à la fois pour se montrer et pour le plus grand bonheur de tous. Toutes les grandes dates “ païennes ”, chrétiennes, musulmanes, pourraient alors être l’occasion de festivités publiques – à ne pas confondre bien entendu avec des prêches sur la voie publique !

Jean-Claude Barbier, Bordeaux le 8 janvier 2007