Brèches dans la démocratie
Sait-on
que les dictatures peuvent, aujourd’hui, se réjouir
? La grande démocratie américaine vient d’incorporer à sa
législation, des mesures liberticides qui justifient –après
coup- Guantanamo, les prisons secrètes, les interrogatoires
musclés…
Et ceci, bien entendu, sans qu’intervienne
un avocat, ni qu’une instruction soit ouverte. Il suffit
pour cela d’être présumé terroriste.
Présumé,
donc soupçonné. Quasi coupable –au moins
en intention. D’ailleurs, personne ne pourra officiellement
mettre en doute ce pré-jugement.
Les démocrates
ne s’en réjouirons pas.
Par contre, les dictatures peuvent se réjouir. Leur
mépris des droits de l’homme pourra toujours
s’appuyer
sur l’exemple de la grande démocratie américaine.
Ces horreurs ne peuvent-elles être une
réalité en
Europe ? On ne peut en douter. Reste à savoir dans
combien de temps. L’alignement sur Washington est un
réflexe
acquis. Jamais les déviations de l’administration
américaine ne seront contestées, ni évidemment
censurées par la commission bruxelloise. L’Europe
de l’OTAN ne saurait manifester durablement un quelconque
désaccord officiel. Et les gouvernements européens,
d’ailleurs, ne connaîtront rien de semblable.
D’autre part, on sait que le tribunal pénal
dit « internationnal » n’est
pas internationnal pour tout le monde. Jamais ce tribunal
n’aura à juger
Abou ghraïb, ni Guantanamo, ni les prisons secrètes
américano-européennes.
La lutte contre le terrorisme est le prétexte vertueux,
régulièrement invoqué. Même si,
dans les faits, cette attitude américaine –fidèlement
appuyée par l’Europe de l’OTAN et ses
supplétifs-
crée des « terroristes » par milliers
(en Irak, en Afghanistan et ailleurs…).
Cette même « Europe » a
d’ailleurs
concédé à la vertueuse Amérique
le droit de contrôler en profondeur tous les européens
qui voyageraient vers la grande démocratie. Malheur à qui
serait suspect d’être un terroriste ou complice
de terroriste ! Il n’aurait droit à aucun avocat.
Par contre, il pourrait disparaître, légalement,
dans les oubliettes de Guantanamo ou d’ailleurs.
Vous
avez dit : Terrorisme ?
Voilà bien un terme fourre-tout
: « terrorisme ».
On sait que toute situation sentie comme inacceptablement
injuste suscite, toujours, des résistances –violentes
ou non, selon les cas.
De même, toute occupation suscite
une résistance.
Et ces résistants sont habituellement appelés « terroristes » par
l’occupant, mais « résistants » par
les occupés. Question de point de vue.
Rappelons que
pendant l’occupation nazie, les résistants étaient
appelés « terroristes ». De même,
ces algériens qui luttaient contre l’armée
française, étaient des terroristes. Aujourd’hui,
palestiniens ou tchétchènes sont de dangereux
terroristes, pour peu qu’ils s’opposent à l’occupant.
Evidemment, toute résistance entraîne
des violences. L’occupation aussi ! C’est donc
violence contre violence. Que le meilleur gagne –c'est-à-dire
: le plus fort. Question : Pour combien de temps ?
Tragiquement,
c’est la population locale qui se trouve prise en otage.
A la fois occupée et suspecte d’être complice du terrorisme.
Or, les « terroristes » aussi ont des enfants. Un dit de sagesse
du grand Gibran Khalil Gibran le disait, bien plus tôt, à sa manière
:
«
Une femme dit : Comment est-ce que la guerre ne serait pas sainte ? Mon fils
y est mort » (1)
Au malheureux peuple palestinien, donc, de
se soumettre afin d’avoir la
paix ! Une paix dans la soumission. Et s’il se rebelle : il sera
déclaré terroriste
et combattu comme tel.
En réalité, nous savons bien
qu’aucune
paix ne peut être
fondée sur l’occupation et la spoliation. Le malheur des
personnes ne conduit pas à la paix. Et la force ne construit rien
de durable.
Les historiens de l’avenir se poseront
sans doute des questions au sujet de cette Europe silencieuse.
Eventuellement indignée
par le drame du Darfour, mais étrangement (ou hypocritement)
muette sur le drame Palestinien. Le moins qu’on puisse dire est
que cette Europe a l’indignation sélective.
Il ne suffit
pas de condamner la violence. Il faut le faire –bien sûr-
mais il faut aussi, concrètement, en combattre la cause. Il
serait absurde de penser que l’on combat l’incendie en
proclamant que l’on
est contre le feu. Les pompiers combattent concrètement –ce
qui n’est pas sans travail, ni sans risques…
D’un autre point de vue cependant, le terrorisme vient à point
pour remplacer l’ancienne subversion communiste –au temps
de l’ »empire
du mal ». Les nations civilisées (autrefois : « le
monde libre »)
doivent aujourd’hui s’unir contre le mal que constitue
le terrorisme. S’unir derrière la grande démocratie
qui lutte contre le mal.
En tout cas : s’unir et suivre. Tel
semble être le maître mot
de l’Europe-protectorat. Pas de contestation ! Restez groupés
! La lutte contre le terrorisme l’exige. La grande démocratie
inspirée
de Dieu l’exige aussi. Le Bien vaincra ! Nos intérêts
aussi (ils sont dans le camp du Bien).
Pour l’heure, il est
bien d’autres malheurs du monde
qui remplissent les actualités. Il est deux sortes de malheurs
: ceux dont on parle et ceux dont on ne parle pas. La besace de
l’information a deux poches : la
poche de devant (pour les malheurs dont on parle) et la poche de
derrière.
(pour ceux dont on ne parle pas). L’actualité commande.
Non la sagesse… Jacques Chopineau, Genappe le 5 novembre
2006
(1) Dans le texte arabe,
le mot « Djihâd » n’est
pas employé. Il aurait d’ailleurs un tout autre
sens. Il s’agit
bien de « guerre sainte » (« Harb muqaddasa »).
C’est
d’un terrible réflexe humain fondamental qu’il
s’agit
: non d’une détermination religieuse… |