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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Pour illustrer cette tendance, voir l’article Les [sic] scientifiques ukrainiens ne croient pas à la théorie de l’évolution de Darwin

(2) À ce sujet, Michel Virard de l’Association Humaniste du Québec, relayant un article du Scientific American, écrit : « Mais comment font les gens absolument convaincus de leur opinion politique, religieuse, etc... pour absorber sans problème des faits qui contredisent radicalement leur opinion et même les utiliser pour confirmer leur opinion ? (…) Drew Western, de l'université Emory, a réellement cherché à savoir en observant directement le cerveau de 30 sujets de type "convaincus"(…) La réponse est claire : les parties du cerveau normalement associées au raisonnement sont restées étonnamment sans réaction visible. Par contre, les processeurs d'émotions et les circuits connus comme actifs durant la résolution de conflit se sont montrés actifs. De plus, les circuits de récompense de comportement sélectif se sont trouvés aussi activés, ce qui implique un renforcement de la conviction initiale. »

(3) Voir le site Automates intelligents

(4) Ib.

(5) André Maurois

(6) Il ne saurait être non plus question ici de foi, subjectivité incompréhensible par ceux qui n’ont pas cet « organe supplémentaire » dont semblent être pourvus les (ou certains) croyants en Dieu. 

 

 


Coexistence pacifique

 

 

« Tout le monde croit en quelque chose ! » Cette affirmation, répandue comme un slogan, semble faire l’unanimité chez croyants et non-croyants, crédules et non-crédules, certains ajoutant même qu’il faut soigneusement distinguer les croyances scientifiques des autres, comme si, parmi les objets de croyances, il en était de peu fréquentables.

Mais, de fait, on peut ici s’interroger sur l’opportunité de parler de croyances en matière scientifique et cela nous amène à essayer de comprendre ce que signifie croire.

Lorsque l’on affirme, en généralisant abusivement, que tout le monde croit en quelque chose, que, pour les besoins de la démonstration, on utilise indifféremment plusieurs acceptions du verbe, que l’on amalgame contorsions métaphysiques et sens commun, on crée – sciemment ou non – une ambiguïté qui va au-delà de la confusion sémantique et de l’approximation.
Si croire c’est avoir le sentiment ou l’impression, estimer, imaginer, poser ou supposer, avoir l’habitude de ou se fonder sur… alors oui, tout le monde croit en quelque chose ! Toutefois cela ne valait pas la peine de le dire et encore moins de l’écrire. Formuler cette proposition va plus loin que le simple énoncé d’une banalité.

Dans le cas qui nous occupe, croire c’est « prendre pour vrai ce qui ne peut être observé ou démontré ». Ainsi, pêle-mêle, croit-on en Dieu, au Diable, aux ancêtres, aux présages célestes, au Père Noël, à la mémoire de l’eau, à la sourcellerie… la liste est longue. Néanmoins, la vérifiabilité d’une hypothèse ne la transforme pas ipso facto en vérité universelle et le fait de savoir que notre observation est limitée et que nos démonstrations ne sont pas absolues, n’autorise pas de croire, dans ce sens précis : le doute ou au moins la vigilance et la suspension de jugement restent toujours de mise, même s’ « il n’est pas certain que tout soit incertain », comme le disait si bien Pascal pour mieux brouiller Descartes…

On peut constater que si beaucoup d’agnostiques et d’athées colportent l’idée uniformisante et donc rassurante que tout le monde croit en quelque chose, peu importe en quoi, cette démarche est plutôt observée chez les croyants en Dieu et, parmi eux, chez certains hommes de science, mal à l’aise devant un dilemme qu’ils vivent comme une double contrainte. Le matérialisme, lié à la démarche scientifique, ne fait en effet pas bon ménage avec la quête de transcendant ou de surnaturel. Partagés entre deux volontés contradictoires et assis entre deux chaises, ils ne ressentent pas toujours cette ambivalence et cette position de façon harmonieuse et se mettent parfois à chercher la quadrature du cercle.

Il arrive ainsi que la religion soit dépouillée de tous les aspects devenus irrecevables aux yeux des croyants dont la discipline professionnelle révoque le surnaturel et la superstition, et qui optent alors pour un déisme flou et un discours apophatique taillés sur mesure. Cette approche, si elle est conciliable avec la science, ne semble cependant pas acceptable par la masse des fidèles qui attendent de leur religion qu’elle ait des implications pratiques et qu’elle leur donne des réponses aux questions importantes et ultimes. Les dieux qui sont hors de la Cité et qui ne se préoccupent pas des hommes n’intéressent pas le bon peuple.

Bien que les scientifiques spiritualistes opèrent en général une partition rigoureuse entre leur travail et leurs croyances – comme ce prêtre astrophysicien qui déclarait laisser sa soutane au vestiaire quand il arrivait au labo – il est quand même pertinent de s’interroger sur le risque de contamination de la démarche scientifique par les convictions philosophico-religieuses et sur la tentation de se contenter de pseudo-explications ou d’interprétations d’ordre métaphysique devant les problèmes non résolus (1).

La doctrine spiritualiste va en effet à l’encontre, de l’empirisme inhérent à la démarche scientifique, qui refuse, par définition, tout dogmatisme. L’empirisme est un scepticisme sans favoritisme.

Paradoxalement pourtant, les plans scientifique et religieux, pour hétérogènes et incompatibles qu’ils sont, peuvent très bien cohabiter (2) s’ils gardent leurs distances. Pourquoi ne le pourraient-ils pas ? Le tout est de ne pas prétendre les syncrétiser. Cependant, avancer que « la science répond à la question du “comment” et la religion à celle du “pourquoi” » ne représente qu’une croyance supplémentaire qui induit que l’une et l’autre se situent au même niveau de considération et sont complémentaires, ce qui n’est pas le cas.

Quelle que soit la doctrine à laquelle il souscrit – matérialisme ou spiritualisme – le scientifique qui s’efforce de comprendre comment fonctionne le monde, s’engage toujours à « soumettre ses hypothèses au contrôle apporté par la méthode expérimentale, ceci dans le cadre de processus reconnus par l'ensemble de la communauté scientifique. Ceci signifie le rejet des hypothèses et a fortiori des affirmations non vérifiables par l'expérimentation collective au sein de la communauté scientifique tout entière. »(3)

D’autre part, il est animé par « une volonté indomptable de compléter le corpus des connaissances de son époque ou, tout au moins, de faire en sorte que d'autres puissent le faire, (ce qui) signifie aussi [qu’il renonce] aux pseudo-réponses s'appuyant sur des arguments non scientifiques lesquelles de fait équivalent à une renonciation à comprendre. ([4) « La science ? Après tout, qu’est-elle, sinon une longue et systématique curiosité ? » (5)
Cette démarche est évidemment étrangère à la croyance (6) selon laquelle les religions, à un moment quelconque de leur existence, ont donné ou donneront des réponses valables, universelles et objectives, à la question du pourquoi.

Il faut accepter ne pas pouvoir répondre à toutes les questions sans pour autant renoncer à chercher ni sombrer dans un relativisme forcené. Entre le classement définitif, quel qu’il soit, et le scepticisme radical, il existe une très large voie : celle de la recherche de la vérité inaccessible absolument. Nul besoin d’y croire pour y avoir accès, la curiosité suffit : tant pis – et dommage – pour ceux qui prétendent encore, dans le sillage de Bernard de Clairvaux, que « la curiosité est le commencement de tout péché ».

Nadine de Vos, le 29 août 2006