«
Tout le monde croit en quelque chose ! » Cette affirmation,
répandue comme un slogan, semble faire l’unanimité chez
croyants et non-croyants, crédules et non-crédules,
certains ajoutant même qu’il faut soigneusement
distinguer les croyances scientifiques des autres, comme si,
parmi les objets de croyances, il en était de peu fréquentables.
Mais, de fait, on peut ici s’interroger
sur l’opportunité de
parler de croyances en matière scientifique et cela
nous amène à essayer de comprendre ce que signifie
croire.
Lorsque l’on affirme, en généralisant
abusivement, que tout le monde croit en quelque chose, que,
pour les besoins
de la démonstration, on utilise indifféremment
plusieurs acceptions du verbe, que l’on amalgame contorsions
métaphysiques et sens commun, on crée – sciemment
ou non – une ambiguïté qui va au-delà de
la confusion sémantique et de l’approximation.
Si croire c’est avoir le sentiment ou l’impression,
estimer, imaginer, poser ou supposer, avoir l’habitude
de ou se fonder sur… alors oui, tout le monde croit
en quelque chose ! Toutefois cela ne valait pas la peine
de le
dire et encore moins de l’écrire. Formuler cette
proposition va plus loin que le simple énoncé d’une
banalité.
Dans le cas qui nous occupe, croire c’est « prendre
pour vrai ce qui ne peut être observé ou démontré ».
Ainsi, pêle-mêle, croit-on en Dieu, au Diable,
aux ancêtres, aux présages célestes,
au Père Noël, à la mémoire de l’eau, à la
sourcellerie… la liste est longue. Néanmoins,
la vérifiabilité d’une hypothèse
ne la transforme pas ipso facto en vérité universelle
et le fait de savoir que notre observation est limitée
et que nos démonstrations ne sont pas absolues, n’autorise
pas de croire, dans ce sens précis : le doute ou au
moins la vigilance et la suspension de jugement restent toujours
de mise, même s’ « il n’est pas certain
que tout soit incertain », comme le disait si bien
Pascal pour mieux brouiller Descartes…
On peut constater
que si beaucoup d’agnostiques et d’athées
colportent l’idée uniformisante et donc rassurante
que tout le monde croit en quelque chose, peu importe en
quoi, cette démarche est plutôt observée
chez les croyants en Dieu et, parmi eux, chez certains hommes
de
science, mal à l’aise devant un dilemme qu’ils
vivent comme une double contrainte. Le matérialisme,
lié à la démarche scientifique, ne fait
en effet pas bon ménage avec la quête de transcendant
ou de surnaturel. Partagés entre deux volontés
contradictoires et assis entre deux chaises, ils ne ressentent
pas toujours cette ambivalence et cette position de façon
harmonieuse et se mettent parfois à chercher la quadrature
du cercle.
Il arrive ainsi que la religion soit dépouillée
de tous les aspects devenus irrecevables aux yeux des croyants
dont la discipline professionnelle révoque le surnaturel
et la superstition, et qui optent alors pour un déisme
flou et un discours apophatique taillés sur mesure.
Cette approche, si elle est conciliable avec la science,
ne semble cependant pas acceptable par la masse des fidèles
qui attendent de leur religion qu’elle ait des implications
pratiques et qu’elle leur donne des réponses
aux questions importantes et ultimes. Les dieux qui sont
hors de
la Cité et qui ne se préoccupent pas des hommes
n’intéressent pas le bon peuple.
Bien que les
scientifiques spiritualistes opèrent en
général une partition rigoureuse entre leur
travail et leurs croyances – comme ce prêtre
astrophysicien qui déclarait laisser sa soutane au
vestiaire quand il arrivait au labo – il est quand
même pertinent
de s’interroger sur le risque de contamination de la
démarche scientifique par les convictions philosophico-religieuses
et sur la tentation de se contenter de pseudo-explications
ou d’interprétations d’ordre métaphysique
devant les problèmes non résolus (1).
La
doctrine spiritualiste va en effet à l’encontre,
de l’empirisme inhérent à la démarche
scientifique, qui refuse, par définition, tout dogmatisme.
L’empirisme est un scepticisme sans favoritisme.
Paradoxalement
pourtant, les plans scientifique et religieux, pour hétérogènes
et incompatibles qu’ils
sont, peuvent très bien cohabiter (2) s’ils
gardent leurs distances. Pourquoi ne le pourraient-ils pas
? Le tout est de ne pas prétendre les syncrétiser.
Cependant, avancer que « la science répond à la
question du “comment” et la religion à celle
du “pourquoi” » ne représente qu’une
croyance supplémentaire qui induit que l’une
et l’autre se situent au même niveau de considération
et sont complémentaires, ce qui n’est pas le
cas.
Quelle que soit la doctrine à laquelle
il souscrit – matérialisme
ou spiritualisme – le scientifique qui s’efforce
de comprendre comment fonctionne le monde, s’engage
toujours à « soumettre
ses hypothèses au contrôle apporté par
la méthode expérimentale, ceci dans le cadre
de processus reconnus par l'ensemble de la communauté scientifique.
Ceci signifie le rejet des hypothèses et a fortiori
des affirmations non vérifiables par l'expérimentation
collective au sein de la communauté scientifique tout
entière. »(3)
D’autre part,
il est animé par « une volonté indomptable
de compléter le corpus des connaissances de son époque
ou, tout au moins, de faire en sorte que d'autres puissent
le faire, (ce qui) signifie aussi [qu’il renonce] aux
pseudo-réponses s'appuyant sur des arguments non scientifiques
lesquelles de fait équivalent à une renonciation à comprendre.
([4) « La
science ? Après tout, qu’est-elle, sinon une
longue et systématique curiosité ? » (5)
Cette démarche est évidemment étrangère à la
croyance (6) selon laquelle les religions, à un
moment quelconque de leur existence, ont donné ou
donneront des réponses valables, universelles et objectives, à la
question du pourquoi.
Il faut accepter ne pas pouvoir répondre à toutes
les questions sans pour autant renoncer à chercher
ni sombrer dans un relativisme forcené. Entre le classement
définitif, quel qu’il soit, et le scepticisme
radical, il existe une très large voie : celle de
la recherche de la vérité inaccessible absolument.
Nul besoin d’y croire pour y avoir accès, la
curiosité suffit
: tant pis – et dommage – pour ceux qui prétendent
encore, dans le sillage de Bernard de Clairvaux, que « la
curiosité est le commencement de tout péché ». Nadine de Vos, le 29 août 2006
|
|