Je suis très fatigué.
Stressé.
J’éprouve
le besoin de me ressourcer. Un séjour à la
campagne me ferait le plus grand bien. Tiens, voilà précisément
un encart publicitaire qui me suggère deux semaines
de vie à la ferme. Je vais traire des vaches, fabriquer
du fromage de chèvre, manger plus sainement, vivre
enfin au rythme des gallinacés. A moins que la nécessité de
recharger mes batteries ne m’incite à une retraite
dans un monastère tibétain. Ridicule, direz-vous
si je ne suis pas plus bouddhiste que le pape n’est
libertaire. Soit. Alors, pourquoi ne pas me décider à m’inscrire à ce
séjour sportif (un peu de graisse fondue allège
aussi l’esprit, par mimétisme en quelque sorte)
? Cette croisière dans les mers australes me tente
aussi, ainsi que cette traversée du Sahara avec un
seul dollar en poche. Je pourrais même, comme me le
conseille un ami qui ne me veut sans doute pas que du bien,
consacrer quelques jours d’été à l’étude
de la patristique en compagnie de vieux moines dominicains.
À moins que je ne choisisse de m’évader
in situ dans l’apprentissage d’une langue exotique
africaine ? J’avoue n’avoir que l’embarras
du choix. Jusqu’à la cure de sommeil, si réparatrice à ce
que l’on rapporte mais qui, selon des avis compétents,
se révèle parfois douloureuse au réveil.
Quelle palette de solutions s’offre aujourd’hui à mon
appétit d’évasion, de changement, de
reconstruction de ma personnalité ! Quelle diversité de
moyens à l’horizon de mon quotidien ! Je veux
me ressourcer ! J’en ai les moyens ! En fait, ce que
je souhaite, se résume en deux mots
: fuir et espérer.
Fuir le monde dans lequel je vis,
fuir ces gens qui me cassent les pieds, fuir ces objets qui
me tuent à petit feu
: cette télévision qui distille des niaiseries,
ce téléphone qui me crispe au point qu’il
serait dangereux pour Graham Bell de me croiser dans l’au-delà,
cette radio qui se complait dans l’annonce de mauvaises
nouvelles.
Fuir l’hypocrisie du monde, l’hyposensibilité de
mes congénères et l’arrogance des ignorants.
Fuir l’horreur des champs de bataille et des mouroirs.
Fuir comme la peste les dictatures intellectuelles, religieuses,
culturelles et politiques. Fuir et espérer.
Espérer
découvrir l’innocence
originelle, la bonté naturelle des bipèdes
humains que les vertes campagnes, les murs du couvent, la
forêt tropicale, auraient préservées
des misères qui résultent de la sophistication
outrancière de la civilisation occidentale.
Espérer
rencontrer un monde meilleur, plus simple, comme épuré,
qui sentirait la fraîcheur
d’un matin de printemps et chanterait un hymne à la
fraternité.
Espérer se débarrasser des
scories qui se sont accumulées en moi et autour de
moi. Prendre des douches de bon sens et des bains de sérénité.
Fuir et espérer. Peut-être même
ne rien trouver qui ne soit extraordinaire. Mais acquérir à travers
la quête elle-même la certitude que la chose
espérée vaut bien davantage que la chose détenue.
Un peu comme la lumière de Compostelle à la
jonction du feu solaire et de l’océan récompense à peu
de frais le pèlerin persévérant.
Me
ressourcer, ce n’est pas écarquiller les
yeux pour voir mieux. C’est au contraire les fermer
légèrement jusqu’à ce que la lumière,
flamme de bougie, étoile ou lampadaire, épouse
la forme d’une croix.
Le ressourcement, c’est
la volonté d’une
renaissance à soi-même. La quête d’une
parcelle de lumière que l’on peu croire perdue,
et qu’on finit par retrouver souvent plus près
de soi qu’on ne se l’imaginait.
Jacques Herman,
le 18 mars 2006
Jacques Herman vient
de publier au éditions Guy Bouliane
un ouvrage de poésie : Les Gerfauts
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