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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

 

   

 


« Moi », « je » et « myself » en quête de lucidité

 

 

« Observer sans juger, sans condamner, ne crée pas de division, l'observation lucide se maintient dans l'unité du sentiment. La lucidité n'est pas une forme d'auto-analyse où le moi se diviserait en moi-juge/moi-condamné, ce qui caractérise l'introspection. » (1-a).

Elle me plaît bien cette définition de l'introspection : une auto-observation assortie d'un jugement, une sorte d'auto-critique qui se veut constructive. On est en plein dans le fief de l'ego, le moi étant défini comme « conscience individuelle attentive à ses intérêts et partial en sa faveur » (1-b).

Ego. Moi, je. « On rencontre souvent chez les écrivains ou les philosophes contemporains les mots je et moi opposés l'un à l'autre, mais en des sens très divers, voire même opposés. » nous dit Lalande. De façon générale cependant, l'ego est compris comme le moi c'est-à-dire ce que l'on pense être et que l'on exprime en fonction de caractéristiques illusoires ou non : la lucidité ne présidant pas volontiers à ces débats intérieurs. Le je pense et le moi est pensé, et ce je serait en communication avec son inconscient, il serait « le siège de l'identité spirituelle » (1-c).

Lorsque Simone Weil écrit : « Je suis tout. Mais ce "je" là est Dieu. Et ce n'est pas un je », son discours est assurément non réfutable. Non que ces propos soient vrais ou universels mais ils sont simplement impossibles à contester; tout comme Dieu : le fait de ne pouvoir le nier ne signifie pas qu'il existe ou qu'il soit, ailleurs que dans l'esprit de ceux qui choisissent d'y croire, ou qui s'imaginent le faire.

Les affirmations de cet ordre sont toujours édifiantes dans la mesure où elles donnent une information sur celui qui les profère, comme c'est le cas pour Simone Weil. Mais elles sont quelquefois dangereuses. Par exemple, lorsque Freud nous présente les trois instances de l'appareil psychique – à savoir : moi, ça et surmoi – sa théorie psychanalytique n'est pas loin d'être considérée comme scientifique par le commun des mortels qui perd de vue, ou qui ne sait pas, que la psychanalyse n'est qu'une méthode, qui se dit investigatrice et qui se veut thérapeutique, basée sur une relation
« intersubjective interindividuelle qui interdit l'objectivation » (2) et que l'inconscient – considéré comme le noyau de la psychanalyse – n'est qu'une hypothèse voire un mythe, c'est-à-dire une explication invérifiable pour un phénomène (encore ?) inexplicable.

Expliquer l'inexplicable, produire du sens, définir l'inconnaissable… il semble bien que ce soient là des activités auxquelles les humains aiment à s'adonner, certains allant même jusqu'à tenir pour vrais les résultats de leurs élucubrations interprétatives ou pire, à les généraliser à l'espèce.

Les livres ne manquent pas à ce propos et les médias s'en donnent à cœur joie : astrologie, horoscope, voyance, psychologie populaire, médecines parallèles… toutes les théories et pratiques occultes, divinatoires, pseudo-médicales et parascientifiques ont leur place dans l'information et si quelques journalistes et auteurs s'en inquiètent et s'appliquent à démystifier les impostures, un grand nombre répondent à la demande puisque c'est elle qui fait vendre et qui explose l'audimat.

Mais, objecteront certains, au-delà de ces motivations vénales se manifestent aussi parfois un réel intérêt pour la personne humaine et une volonté sincère de l'aider à mieux se connaître, partant de la supposition que cette démarche ne pourra que lui apporter les éléments nécessaires à son bonheur.

Le fait indéniable est qu'il y a une demande croissante pour ce genre de matière, ce qui dénote un souci grandissant de recherche de bien-être physique, psychique et – peut-être est-ce l'essentiel – d'objets de croyances.

Dieu se fait rare, mais le désir de croire – ou est-ce un besoin d'espérer ? – semble bien enraciné et même jusque dans le travail de connaissance de soi qui ne se limite pas toujours à l'examen, dans un but d'amélioration, de certains comportements. La croyance en l'existence d'une entité qui serait enfouie au-dedans de l'homme fait florès et est bien souvent l'objet d'une quête, et même parfois d'un culte pouvant aller jusqu'au mysticisme, chose éminemment personnelle et intime s'il en est, et donc nullement objectivable.

Faut-il préciser ici qu'une éventuelle cohérence au niveau de certaines propositions n'est évidemment pas une caution de leur véracité : toute analyse en ce domaine relève de l'exégèse et ne peut que se limiter à émettre des présomptions sur l'intervention de supposés processus psychiques inconscients… dont on prendrait conscience ! L'interprétation se fait révélation, le voyage intérieur devient un plongeon dans l'imaginaire et non une prise dans le réel.

La lucidité, nous dit André Comte-Sponville « C'est l'amour de la vérité, quand elle n'est pas aimable. Cela vaut aussi pour soi. Car enfin se connaître comme on est, c'est presque toujours se décevoir. Lucidité bien ordonnée commence par soi-même : tel est le secret de l'humilité. ». C'est mieux se connaître, pour mieux régler sa vie comme le suggère Pascal. Mais, apparemment, pour quelques frères humains, « mieux se connaître » revient à se lancer à la poursuite de l'absolu… un autre nom pour Dieu ou pour un univers chimérique.

Nadine de Vos, Bruxelles le 18 août 2005   

(1) Philosophie et spiritualité, http://sergecar.club.fr/index.htm,

(a) Conscience et connaissance de soi -
(b) La nature du sujet conscient
(c) L'identité personnelle.

(2) Monique Bertaud, Réflexions sur la psychanalyse, in Science et pseudo-sciences n° 261, mars 2004.