«
Observer sans juger, sans condamner, ne crée pas de
division, l'observation lucide se maintient dans
l'unité du
sentiment. La lucidité n'est pas une forme d'auto-analyse
où le moi se diviserait en moi-juge/moi-condamné,
ce qui caractérise l'introspection. » (1-a).
Elle
me plaît bien cette définition de l'introspection
: une auto-observation assortie d'un jugement, une sorte
d'auto-critique qui se veut constructive. On est en plein
dans le fief de l'ego, le moi étant défini
comme « conscience individuelle attentive à ses
intérêts et partial en sa faveur » (1-b).
Ego.
Moi, je. « On rencontre souvent chez les écrivains
ou les philosophes contemporains les mots je et moi
opposés
l'un à l'autre, mais en des sens très divers,
voire même opposés. » nous dit Lalande.
De façon
générale cependant, l'ego est compris comme
le moi c'est-à-dire ce que l'on pense être
et que l'on exprime en fonction de caractéristiques
illusoires ou non : la lucidité ne présidant
pas volontiers à ces
débats intérieurs. Le je pense et
le moi est
pensé, et ce je serait en communication avec son inconscient,
il serait « le siège de l'identité spirituelle » (1-c).
Lorsque Simone Weil écrit : « Je
suis tout. Mais ce "je" là est Dieu. Et
ce n'est pas un je », son discours est assurément non réfutable.
Non que ces propos soient vrais ou universels mais ils sont
simplement impossibles à contester;
tout comme Dieu : le fait de ne pouvoir le nier ne signifie
pas qu'il existe ou qu'il soit, ailleurs que dans l'esprit
de ceux qui choisissent d'y croire, ou qui s'imaginent le
faire.
Les affirmations de cet ordre sont toujours édifiantes
dans la mesure où elles donnent une information sur
celui qui les profère, comme c'est le cas pour Simone
Weil. Mais elles sont quelquefois dangereuses. Par exemple,
lorsque Freud nous présente les trois instances de
l'appareil psychique – à savoir : moi, ça
et surmoi – sa théorie psychanalytique n'est
pas loin d'être considérée comme scientifique
par le commun des mortels qui perd de vue, ou qui ne sait
pas, que la psychanalyse n'est qu'une méthode, qui
se dit investigatrice et qui se veut thérapeutique,
basée sur une relation «
intersubjective interindividuelle
qui interdit l'objectivation » (2) et que l'inconscient – considéré comme
le noyau de la psychanalyse – n'est qu'une hypothèse
voire un mythe, c'est-à-dire une explication invérifiable
pour un phénomène (encore ?) inexplicable.
Expliquer l'inexplicable, produire du sens,
définir l'inconnaissable… il semble bien que
ce soient là des activités auxquelles les humains
aiment à s'adonner, certains allant même jusqu'à tenir
pour vrais les résultats de leurs élucubrations
interprétatives ou pire, à les généraliser à l'espèce.
Les livres ne manquent pas à ce propos
et les médias s'en donnent à cœur joie
: astrologie, horoscope, voyance, psychologie populaire,
médecines parallèles… toutes les théories
et pratiques occultes, divinatoires, pseudo-médicales
et parascientifiques ont leur place dans l'information et
si quelques journalistes et auteurs s'en inquiètent
et s'appliquent à démystifier les impostures,
un grand nombre répondent à la demande puisque
c'est elle qui fait vendre et qui explose l'audimat.
Mais, objecteront certains, au-delà de
ces motivations vénales se manifestent aussi parfois
un réel intérêt pour la personne humaine
et une volonté sincère de l'aider à mieux
se connaître, partant de la supposition que cette démarche
ne pourra que lui apporter les éléments nécessaires à son
bonheur.
Le fait indéniable est qu'il y a une
demande croissante pour ce genre de matière, ce qui
dénote un souci grandissant de recherche de bien-être
physique, psychique et – peut-être est-ce l'essentiel – d'objets
de croyances.
Dieu se fait rare, mais le désir de
croire – ou est-ce un besoin d'espérer ? – semble
bien enraciné et même jusque dans le travail
de connaissance de soi qui ne se limite pas toujours à l'examen,
dans un but d'amélioration, de certains comportements.
La croyance en l'existence d'une entité qui serait
enfouie au-dedans de l'homme fait florès et est bien
souvent l'objet d'une quête, et même parfois
d'un culte pouvant aller jusqu'au mysticisme, chose éminemment
personnelle et intime s'il en est, et donc nullement objectivable.
Faut-il préciser ici qu'une éventuelle
cohérence au niveau de certaines propositions n'est évidemment
pas une caution de leur véracité : toute analyse
en ce domaine relève de l'exégèse et
ne peut que se limiter à émettre des présomptions
sur l'intervention de supposés processus psychiques
inconscients… dont on prendrait conscience ! L'interprétation
se fait révélation, le voyage intérieur
devient un plongeon dans l'imaginaire et non une prise dans
le réel.
La lucidité, nous dit André Comte-Sponville « C'est
l'amour de la vérité, quand elle n'est pas
aimable. Cela vaut aussi pour soi. Car enfin se connaître
comme on est, c'est presque toujours se décevoir.
Lucidité bien ordonnée commence par soi-même
: tel est le secret de l'humilité. ». C'est
mieux se connaître, pour mieux régler sa vie
comme le suggère Pascal. Mais, apparemment, pour quelques
frères humains, « mieux se connaître » revient à se
lancer à la poursuite de l'absolu… un autre
nom pour Dieu ou pour un univers chimérique.
Nadine de Vos, Bruxelles le
18 août 2005
(1) Philosophie
et spiritualité, http://sergecar.club.fr/index.htm,
(a) Conscience et connaissance de soi -
(b) La nature du
sujet conscient –
(c) L'identité personnelle.
(2) Monique Bertaud, Réflexions
sur la psychanalyse,
in Science et pseudo-sciences n° 261, mars
2004.
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