Un nouvel acteur
Au moment où nous parlons d’Europe, il faut
se rappeler la montée d’une nouvelle puissance
: la Chine. Pour l’heure, les regards sont surtout
tournés vers le textile. Mais bien d’autres
produits seront, dans les années qui viennent, au
premier plan de l’actualité…
Peut-on
reprocher aux chinois de jouer un jeu dont nous fixons
les règles ? On ne peut être des vendeurs
libéraux et des acheteurs protectionnistes. Et les
chinois peuvent justement estimer qu’ils ne font
que suivre les exigences de l’OMC. À la tête
de l’OMC, nous avons d’ailleurs
un ancien commissaire européen dont les positions
libérales et atlantistes sont bien connues. Ses
prises de position sont à attendre avec intérêt,
certes, bien que l’Europe (européenne, démocratique,
sociale) n’ait certainement rien à en espérer.
L’avenir
européen est d’ailleurs dans
la capacité européenne de recherche et d’innovation,
plutôt que dans le maintien de fabrications pour
lesquelles nous sommes et serons largement dépassés.
Cela, certes, n’empêche pas que telle fabrication
se maintienne, chez nous, de par sa qualité éminente,
mais ce ne sera certainement pas le gros bataillon…
Dans les années qui viennent, on peut
craindre qu’une
Europe invertébrée se montre incapable de
soutenir des combats inégaux qu’elle a cependant
contribué à imposer au monde –dans
la foulée du FMI, de l’OMC,
Il est clair que
l’avenir européen n’est
pas dans la défense de produits que d’autres
pays peuvent fabriquer en grandes quantités et à meilleur
compte. Ce qui est vrai pour les chemises ou les chaussettes,
vaut aussi pour les chaussures ou le fer à béton
et pour beaucoup d’autres produits…
Par contre,
l’avenir est dans notre capacité de
recherche et d’innovation. Mais sciences et techniques
sont seulement de pointe. En ce domaine, seul le meilleur
existe –sous peine, pour le suivant, d’être
dépendant, satellite et tributaire. Et d’en
payer le prix.
Les pays européens ont, cependant,
de gros efforts à faire
pour donner à la recherche scientifique, la place
qui lui revient. La capacité est grande, certainement,
mais les réalisations sont plus mesurées.
Au-delà des ambitions affirmées, il n’est
que de voir comment, pratiquement, est traitée la
recherche fondamentale. Le non-marchand, subsidié,
est le parent pauvre d’une société marchande.
C’est qu’en ce domaine, le profit immédiat
n’est jamais à l’ordre du jour. Il s’agit
plutôt d’un investissement à long terme
et d’un pari sur l’avenir. Cela peut s’avérer
coûteux, cependant, il n’y a pas d’autre
choix. Et si l’Europe n’est pas, à nouveau, à la
tête de la recherche scientifique on peut prévoir
des lendemains qui déchantent.
Même ainsi,
d’ailleurs, la lutte sera difficile.
Car loin de se cantonner dans le textile, la Chine est
ouverte sur l’avenir. Son ambition n’est pas
bornée à une réalité actuelle.
A d’autres (en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et
ailleurs…) de se consacrer –pour un temps,
au moins- à des fabrications plus traditionnelles,
immédiatement rentables. Demain, une main d’œuvre
nombreuse et sous-payée sera mise en concurrence
avec des travailleurs de nos pays –lesquels sont,
bon an mal an, habitués à d’autres
traitements.
Il se trouve que le règne du marché-roi
(qui était
inscrit dans une constitution –heureusement rejetée)
ignore, fondamentalement, les contraintes sociales. L’expression « économie
sociale de marché » impliquait (et cachait)
une contradiction dans les termes. D’ailleurs, en
cas de conflit entre le « social » et le « marché » :
qui donc l’emporterait ? La réponse –non
dite- est connue…
Le peuple français (un
des rares peuples consultés)
a exprimé son refus d’une telle constitution.
Malgré une propagande –au plus haut niveau-
en faveur d’un choix contraire. Ils ne sont pas les
seuls, heureusement.
Il est d’ailleurs faux de dire –comme on l’entend
parfois-que seule une minorité européenne
s’est opposée à ce traité. A
moins de supposer que les parlements aient toujours exprimé la
volonté du peuple. Ce serait faire bon marché du
divorce profond entre la volonté populaire et celle
des partis.
C’est ainsi : là où les
parlements se sont prononcés en faveur de cette
constitution, le résultat eût été différent
si le peuple avait été consulté.
De
là, quelques uns pensent que –dans un souci
d’efficacité- il est préférable
de ne pas consulter les peuples. Pourtant, les suffrages
populaires sont un bon indice de la popularité d’un
projet. Tel un thermomètre, ils indiquent la température.
Faut-il ne pas mesurer cette température ? Ce serait
un moyen curieux de combattre la fièvre en l’ignorant
On a longtemps voulu construire l’Europe sans les
peuples européens. Ne serait-il pas temps de les
consulter davantage ?
Où se situe l'Europe ?
Le monde change, mais
nous ne changeons guère. Avant
d’être la règle, tout changement a des
allures de révolution. –et, donc, de désordre.
Un géant du monde qui se construit se nomme « Chine ».
Il faut se souvenir de ce que le génie chinois est
ouvert, depuis longtemps, aux innovations scientifiques
et technologiques. La Chine n’est pas grande seulement
par la masse de sa population. Les années qui viennent
le montreront -années qui risquent de s’avérer
difficiles à vivre pour cette Europe longtemps privilégiée –voire
accrochée à des « avantages acquis » qu’un
monde nouveau ne prendra pas en compte. On
peut penser à une
future guerre mondiale, mais qui ne sera pas une lutte
armée (plutôt –éventuellement- à des
interventions localisées). C’est, en fait,
sur le terrain économique que cette guerre aura
lieu.
Non pas –comme le pensent certains néo-conservateurs
américains et leurs suivants européens- une « quatrième
guerre mondiale » qui prendrait la suite des deux
guerres mondiales et de la guerre froide. La mémoire
des guerres n’est, parfois, qu’un argument
en faveur d’un grand futur libéral.
Ce sera
plutôt une guerre contre le « terrorisme » (voire –par
aveuglement et injustice- contre l’Islam…).
Guerre absurde, à la suite –bien sur- de la
bannière étoilée, laquelle serait
une sorte d’étendard de Saint Georges dressé contre « le
mal » -c'est-à-dire ce qui s’oppose
au règne du marché.
Dans cette perspective,
tous les prétextes sont
bons. Par exemple, une universelle lutte pour la démocratie,
la nôtre. Evidemment, cela peut impliquer (le cas
s’est vu) le soutien à des dictatures « antiterroristes » et
ouvertes aux intérêts des dominants. Un monde « libre » naîtrait
ainsi ( ?) dans la mouvance libérale d’un
Occident vainqueur. Comme jadis ?
Pourtant, l’Occident
réuni ne sera pas aussi
peuplé que la seule Chine. Et tous les chinois savent
cela, même s’ils imitent, aujourd’hui,
telle manière occidentale de s’habiller ou
de manger. Cette « occidentalisation » est
superficielle et, en tout cas, provisoire. Un grand jeu
s’ouvre, lors même qu’on n’en parle
guère.
Où se situe l’Europe dans ce
grand jeu ? En pointe ou à la remorque ? Il est à craindre
que son jeu politique ne soit pas à la mesure de
son poids réel et virtuel –économique
et scientifique. Et surtout, il est à craindre qu’elle
ne soit tirée vers une sorte de grand marché,
aux frontières floues mais aux intérêts
clairs. Réveille-toi Europe !
Jacques Chopineau,
Genappe, 7 juin 2005
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