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 Les chroniques



    Jacques Chopineau

 

- Pour quelle Europe ?

- Vérité !

 

   

 


Un moment de vérité pour l’Europe ?

 

Pour quelle Europe ?

Il ne suffit plus de dire : L’Europe, l’Europe ! Il faut préciser de quelle
« Europe » on parle. Vers quelle Europe voulons-nous marcher ? Vers quel horizon ?

Et à propos du prochain vote en France, il faut cesser d’opposer un « oui » à l’Europe et un « non » à l’Europe. Comme si être pour l’Europe devait entraîner l’approbation de ce traité constitutionnel. Malgré ce qu’on dit souvent :On peut être pour l’Europe et s’opposer à ce texte.

Certes, il est cohérent qu’un libéral (et atlantiste ?) soit partisan de ce texte. Mais qu’un homme qui se dit « de gauche » en soit également partisan : cela mérite plus d’explications. De même, qu’un démocrate nous explique comment une démocratie peut fonctionner sans claire séparation des pouvoirs et que le « législatif » (le parlement) n’ait pas l’initiative des lois. Et voici que cette « union » se verrait interdire de financer des projets industriels. Qu’en serait-il alors de grands projets, comme celui d’un Airbus 380 ?

Et si, demain, un commissaire décrétait que telle option libérale devait être choisie, mais qu’un gouvernement élu et « social » voulait s’y opposer : ce dernier le pourrait-il ? Si le oui l’emporte, l’avenir nous réserve de beaux débats !

Une belle expression, hautement ambiguë, est : « Economie sociale de marché. « . Et si, d’aventure, une opposition survenait entre le « social » et le « marché » : qui devrait l’emporter ? On connaît la réponse…

D’autre part –malgré ce qu’on entend parfois- c’est justement un pays
« fondateur » de ce projet européen qui ne peut laisser imposer une telle Europe. Et surtout une « constitution » que les peuples européens n’approuveraient pas. Il est vrai que beaucoup ne sont pas consultés. Et parmi ceux qui le sont : bien rares sont ceux qui peuvent dire qu’ils ont tout lu et tout compris de ce texte long et compliqué.

Cependant, quelle Europe peut-on construire sans que les peuples européens soient consultés ? Nombreux sont les européens qui attendent qu’un des rares pays où les citoyens (et non seulement les parlements) sont consultés, fasse entendre un « non » à ce projet –sachant qu’un « oui » orienterait durablement l’Europe vers le règne du marché-roi et de l’économie
« européenne » unifiée, c'est-à-dire apatride et vouée à la richesse promise par le libéralisme

Quelques uns parlent de crise –en cas de victoire du « non ». Selon l’étymologie, « crise » signifie « jugement ». Et ce jugement est bien nécessaire. La « crise » possible est un moment de vérité. Et si un « plan B » n’existait pas : il faudrait l’inventer.

Il appartient d’ailleurs à ce vieux pays fondateur de crier « casse-cou » et de ne pas permettre, sans rien dire, que l’on fasse de cette Europe une sorte de grand-marché aux frontières floues –un géant économique et un nain politique. Ce projet de constitution nous propose de mettre sur les rails et d’inscrire dans un texte constitutionnel des pratiques libérales et atlantistes pour les décennies prochaines…

Il appartient aux seuls européens de dire quelle Europe ils veulent. Une Europe européenne, sociale et démocratique est notre horizon. Non cette Europe libérale, pro OTAN, soumise à une commission non élue dont on connaît l’attachement au libéralisme économique.

La capitale de cette Europe-là est aussi (le symbole est fort) la capitale de l’OTAN. Cette « Europe » ne peut s’opposer à l’ultra-libéralisme dominant dans le monde outre-atlantique. Ce lien évident est rarement exprimé. Il commande cependant, depuis des années, bien des choix économiques et des décisions politiques.

D’ailleurs, le ver était déjà dans le fruit. Le chapitre « la défense » du texte du traité de Maastricht faisait déjà la part belle aux partisans de l’OTAN. L’actuel texte constitutionnel (chapitre II, Article 1-41) stipule que tout engagement en matière de défense est « conforme aux engagements souscrits au sein de l’organisation du traité de l’Atlantique Nord ». Ce qui –le moment venu- sera un bon point pour la Turquie –gros pilier de l’OTAN.
Certes, à la décharge de cette commission libérale, on peut retenir l’accord –voire la complicité- des gouvernements élus et le peu de pouvoirs du parlement élu. Il est heureux qu’un grand débat démocratique puisse se tenir enfin.

On a trop longtemps prétendu construire l’Europe, sans demander aux peuples européens quelle Europe ils voulaient construire. C’est cela qu’il faut changer, quelles qu’en soient les difficultés. Et si nous sommes entrés dans une impasse, il faudra bien faire quelques pas en arrière afin de retrouver la grand-route qui mène à l’horizon. Faute de quoi nous allons droit dans le mur.
En un sens, évidemment, nous avons ce que nous méritons si les orientations actuelles sont dans le droit fil de choix antérieurs ! Par fidélité aux erreurs passées, nous pouvons bien en commettre une de plus ! Mais celle-ci entraînera avec elle des orientations sur lesquelles on ne pourra guère revenir dans les décennies qui viennent –à moins d’explosions sociales graves.

Dans le droit fil de cette « Europe », l’actuel secrétaire de l’OTAN s’inquiète (légitimement ?) d’un possible « non » à cette constitution. Que les moutons restent groupés. Sinon, le bélier ne serait pas toujours suivi par tous.
Panique aussi à la banque centrale européenne qui menace de relever ses taux d’intérêt. A Bruxelles également, on s’inquiète. Une victoire du « non » serait un désaveu de la politique menée depuis des années. Là se situe la
« crise » et le jugement des peuples. Le vote « non » serait ainsi la seule sonnette d’alarme.

Vérité !   

Dire aujourd’hui « non » est un réflexe de santé.
Il est à craindre qu’un « oui » (parfois sincère, mais le plus souvent aveugle ou conformiste) ne l’emporte. Pourtant, le « non » est (était ?) celui de l’espoir –non de la facilité ; celui de l’attente –et non d’une hypothèque prise sur l’avenir ! Ni les calculs politiques immédiats, ni les polémiques induites, ne sont à la mesure du monde qui vient. Ne sont pas européens tous ceux qui disent aujourd’hui : « Europe-Europe » !

L’Europe est un trop beau projet pour qu’on l’enferme dans ce qu’on a appelé une « camisole libérale ». Quel tel ancien commissaire –devenu ministre- défende ce texte : on le comprend. D’autant qu’il a lui-même été un des rédacteurs de ce texte. Il serait surprenant qu’il s’y oppose ! Mais on peut être à la fois juge et partie.

On entend dire aussi que le « non » hétéroclite assemble des tendances diverses. C’est vrai, mais on doit dire la même chose du camp opposé : quel unité y a t il dans l’actuelle majorité et l’actuelle opposition ? Dans tous les cas, les motivations diverses ne fondent aucune base cohérente. La liberté du choix citoyen est la seule cohérence.

Il faut cependant saluer le grand débat démocratique dont les polémiques actuelles et les oppositions passionnées sont l’illustration. Depuis l’époque du traité de Maastricht, les européens n’avaient plus été consultés sur les orientations de leur Europe. Ils avaient, sans doute, perdu l’habitude d’être consultés !

Revenons à l’essentiel. Le vieux projet européen a connu des précurseurs (comme Victor Hugo, Aristide Briant, Robert Schuman…..) et il procède d’une vision grandiose qui a longtemps semblé utopique. Les « réalistes » étaient, jadis, nationaux.

De sorte que des siècles de guerres ont opposé les européens. Il est évident que ces dernières décennies de paix et de prospérité sont un pas en avant. Mais la guerre peut prendre des formes différentes –surtout si la prospérité se délite.

Un arbre qui tombe fait –dit-on- plus de bruit qu’une forêt qui pousse. L’Europe est une forêt qui pousse. Ce référendum est un arbre qui tombe. On peut s’attendre à ce que beaucoup de responsables nous parlent de l’arbre qui menace de tomber (et, du coup, peut-être, les écraser ?).

Si le « oui » l’emportait, il faudrait s’attendre, dans les années à venir, à de graves troubles sociaux. L’actuelle majorité (européenne ?) libérale et atlantiste se trouvera bien dépourvue lorsque les peuples européens se réveilleront –sous la pression des événements. Pourra-t-on dire : nous ne savions pas !

D’autres problèmes attendent les européens, dans les années qui viennent. Les débats actuels sur la figure de l’Europe risquent de masquer d’autres réalités –dont la montée de nouvelles puissances mondiales non-européennes. C’est à ce propos que la question de l’Europe doit être posée : Comment une telle constitution nous donne-t-elle des moyens de comprendre et d’agir dans le monde qui vient ?

La question est de savoir si une constitution libérale comme celle que l’on nous propose, pourra –à l’avenir- lutter contre des règles favorables au capital et mortifères aux travailleurs enfermés dans une belle, mais durable, camisole peinte aux couleurs de la démocratie.

Dans tous les cas, le monde change. Lors même que nous ne le voyons guère. Au-delà des discussions dans lesquelles s’affrontent, présentement, les (rares) européens consultés sur un traité constitutionnel (et non un simple traité –comme par le passé), c’est en fonction du futur (disons : les cinquante prochaines années) que ce texte doit être perçu.

Jacques Chopineau, le 18 mai 2005