Il y a quelques jours, paraissait
dans ces colonnes un texte vrai, musclé et percutant,
qui exprimait un certain point de vue sur les actions de
Jean-Paul II en mettant en évidence
le passif – une fois n'est pas coutume – du bilan
de son pontificat. Certes, le ton était incisif, signe
possible d'une légitime exaspération devant
l'inflation médiatique qui a transformé l'agonie,
la mort et les funérailles du pape – parangon
de vertu pour les catholiques – en une exhibition universelle
offerte à des millions de voyeurs.
L'article, qui
présentait l'avantage d'être réaliste
et lucide en montrant l'envers d'une médaille maintes
fois redorée, a malheureusement disparu de ces colonnes
(**).
Qu'à cela ne tienne.
L'auteur écrit : " À écouter
sur les ondes les discours ampoulés et mielleux des
hommes de l'Eglise catholique, puis l'acquiescement de l'opinion
publique, je
me suis dit que la pensée libre n'était pas
prête de se renforcer ni de se propager. (…) … je
me suis dit que le peuple n'était plus habitué à penser,
qu'il avait définitivement capitulé. " (2)
Il y a en effet quelque chose d'effrayant dans
toutes ces effusions. Effrayante, l'apparente unanimité d'une
piété populaire envers le héros désigné qu'il
n'est pas bon de contester sans risque de se voir conspuer;
effrayante aussi l'absence manifeste de tout esprit critique
de la gent moutonnière qui se presse en rangs serrés
pour aller adorer la dépouille de son gourou; effrayante
encore la confusion, si fréquente chez les adorateurs,
entre critique factuelle et atteinte à leur liberté – non
de penser – mais de croire. Et combien de fois n'ont-ils
pas, au nom de leur prétendue liberté, bafoué celle
des autres ? "Non, les braves gens n'aiment pas que
l'on suive une autre route qu'eux…" (3)
Quel genre de poudre a-t-on jeté aux
yeux du public pour qu'il ne voie que ce qu'on lui suggère,
qu'il accepte de vivre en fonction d'un après-demain
avec des principes d'avant-hier et qu'il obtempère,
sans ciller, à des injonctions, au mieux, peu réalistes – pour
ne pas dire surréalistes – et, au pire, dramatiques
par les répercussions mortelles qu'elles entraînent
?
Obéissance et soumission ne sont pas
des vertus mais des contraintes imposées par une institution
ou une personne à laquelle on reconnaît une
autorité de
fait – sans pouvoir ni vouloir la vérifier – ou
que l'on considère – sans y réfléchir
ni s'y opposer – comme détentrice d'une vérité.
Stanley Milgram a démontré de façon
radicale les dangers de ce genre de comportement.
Des hommes d'église, des écrivains,
des philosophes, des théologiens, des historiens,
des scientifiques, des journalistes ont dénoncé l'indignité et
l'inhumanité de nombre de décisions et de
positions vaticanes, actuelles ou passées. Rien
ne semble infléchir
la préférence de certains fidèles pour qui, sans doute, la fin justifie les moyens, et qui
continuent à idolâtrer
un chef dont ils ne voient que les bonnes actions, toutes
les autres comptant pour du beurre. Leur responsabilité se
résume à obéir scrupuleusement à des
ordres qu'ils n'osent ni ne souhaitent contester car nous
savons bien que, selon les circonstances, l'Eglise est
inspirée
de Dieu ou composée de pauvres humains trop humains.
Un père jésuite – devenu
persona non grata à la Curie – a dit un jour
:
"
Il y a des moments où le Saint-Sacrement devient plus
important que Jésus Christ. Des moments où le
culte devient plus important que l'amour, où l'église
devient plus importante que la vie, où Dieu devient
plus important que nos semblables. C'est là qu'est
le danger. Selon moi – ajoute-t-il – ce que Jésus
Christ essayait de nous apprendre était de faire passer
les choses importantes avant le reste." (4)
Pour ce jésuite, qui prêchait
le contact avec la réalité et non la dépendance
et l'illusion d'une récompense, l'essentiel est de
se transformer, de se dégager de ses conditionnements,
de se nettoyer le cerveau de toutes les idées qui
y ont été implantées
et pour lesquelles – bien qu'elles ne soient pas
les leurs – certains vont jusqu'à donner leur
vie. Il conseille à l'homme d'utiliser son potentiel,
de faire fructifier ses talents plutôt que de confier à d'autres
la gestion de sa vie. Il a évidemment raison et
même
s'il n'est pas facile de s'extraire de l'état de
tutelle dans lequel on a été placé et
que l'on a ensuite délibérément maintenu – avec
l'aide des médias notamment – il est urgent
de réagir et, justement, de ne pas capituler.
Coda : "Celui qui refuse d'engager le
combat n'y est pas vaincu. Mais il est vaincu moralement
parce qu'il ne
s'est pas battu." (5) Nadine de Vos, 12 avril 2005
(1) Titre d'un
livre de Raoul Vaneigem, sous-titré Réflexions
sur la liberté d'expression,
Ed. La Découverte, 2003
(2) Luc Nefontaine, Un pape est mort
(3) G. Brassens, La mauvaise réputation
(4) Anthony de Mello s.j., Quand la conscience s'éveille,
Ed. Bellarmin-Desclée De Brouwer, 1994 et Ed. Albin
Michel, Espaces libres, 2002
(5) Fernando Pessoa, Le banquier anarchiste, Ed. 10-18,
1998 |
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