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 Les chroniques



    Cédric Némitz

 

 

 

   

 


Idoles pour foules sentimentales

 

 

Les idoles sont de retour. Les médias les choisissent pour les imposer ensuite à la vénération populaire. La télévision est consacrée prêtresse de cette grand-messe.

Les effets de ce nouveau culte sont impressionnants. Par miracle cathodique, une princesse dépressive et délurée devient une reine des cœurs, un cierge dans le vent. Un pontife autoritaire et rétrograde se transforme en pèlerin infatigable de l’œcuménisme et du dialogue. C’est magique. On croit rêver!?

Du coup, les foules se laissent fasciner. Les consciences s’endorment, l’esprit critique est étouffé. Des montagnes de fleurs noient Buckingham Palace. Les avions et les trains déversent un flot irraisonné de personnes «émotionnées». Interrogés par les envoyés spéciaux, tous répètent sagement et bêtement les idées convenues et cent fois redites par ces mêmes envoyés spéciaux… à la télévision. Le serpent se mord la queue: la télé peut remplir ses écrans d’un événement qu’elle a, elle-même, largement provoqué. Qui de la poule ou de l’œuf? Peu importe, pourvu que l’hypnose fonctionne.

Aux heures les plus crasses de la guerre froide, les Européens de l’Ouest rigolaient des bobards que les télévisions soviétiques essayaient de leur faire avaler. Aujourd’hui, quand Darius et les autres, les pieds dans le malheur, font monter la mayonnaise des adjectifs et de superlatifs sans la moindre distance journalistique: le bon peuple gobe tout et s’épanche. Pauvres foules sentimentales!

Un tsunami pour Noël, un cadavre pour Pâques, de New York à Monaco: la panacée peut être répétée à l’infini. Il suffit de faire mousser. Un zeste de tragédie, la mort en plat principal, le festin est garanti: avalanche de dons, de pleurs, de fleurs, de soi-disant pèlerins. Jusqu’à la nausée.

Le procédé a quelque chose d’infernal. En nous imposant massivement leurs idoles, les télévisions nous dépossèdent de nos propres vies. Ces malheurs choisis deviennent nôtres. Nos conversations, nos préoccupations, nos émotions sont accaparées. Ces catastrophes doivent nous ébranler autant que les véritables victimes. Leurs deuils deviennent nos deuils.

L’ampleur que prennent ces phénomènes d’émotion collective est inquiétante. Rien ni personne ne semble pouvoir échapper à ces vagues de délire. On nous manipule, on nous abuse: Voltaire, reviens! Ils sont devenus fous!

Cédric Némitz, 6 avril 2005 La Vie protestante Berne-Jura