La fin
des illusions
En dépit d’une déchristianisation qui
frappe les pays occidentaux, en Europe de l’Ouest et
en Amérique du Nord, les Eglises les plus confessantes
se portent bien si l’on en croit le succès du
christianisme évangélique conservateur, la
vogue des charismes pentecôtistes, le maintien des
Eglises biblistes dogmatiques, le prosélytisme toujours
actif des Témoins de Jéhovah, le renouveau
- après Vatican II - des Eglises catholiques traditionalistes
et du culte marial, etc. Par contre, si ces courants s’accrochent à des
identités confessionnelles qui pour elles sont exclusives
les unes des autres, les Eglises protestantes multidunistes
et/ou libérales admettent en leur sein la cohabitation
de plusieurs courants théologiques.
Mieux, depuis plusieurs années, suite aux désillusions
causées par une hiérarchie catholique conservatrice,
sinon réactionnaire par rapport à l’élan
que le concile de Vatican II avait insufflé, de nombreux
mouvements catholiques réformateurs, après
s’être mobilisés en vue de réformes
souhaitables au sein de leur Eglise, ont élargi le
champs de leur réflexion et se réfèrent
désormais au christianisme des origines. Ce faisant,
ils rejoignent les grandes réformes protestantes,
anabaptistes et anti-trinitaires du XVIème. Sans renier
leur origine catholique, ni leur catholicité, ces
mouvements ne s’intitulent pas « catholiques »,
mais « chrétiens », voire même « croyants ».
Ils acceptent le doute des agnostiques et ne mettent plus
en avant les credo. Les opinions individuelles, les convictions
issues du vécu, les recherches spirituelles, l’intérêt
pour d’autres grandes sagesses du monde peuvent dès
lors s’exprimer librement. Les confessions d’origine
ne sont plus des encadrements comportant des limites à ne
pas franchir, des référents obligatoires sous
risque d’excommunication - ou du moins de perte d’identité.
Elles sont vécues comme des familles spirituelles
qui nourrissent nos réflexions, mais non plus comme
des appartenances globales et totalitaires.
Un protestant a le droit de s’intéresser
au rôle de Marie, tout en restant protestant ! un catholique
de croire que Jésus a eu des frères de même
mère, un unitarien de conserver son baptême
catholique ou protestant, un musulman ou un juif de s’intéresser à Jésus, … et
un agnostique ou un athée de s’occuper de religion.
Désormais, un théologien, un exégète,
un prêtre ou un pasteur, un écrivain, etc.,
valent d’abord pour la qualité de leurs travaux
et non pour leur appartenance religieuse, encore moins d’une
quelconque imprimatur de leurs hiérarchies respectives.
Les appartenances complémentaires sont mieux acceptées
: on peut être catholique et franc-maçon (la « Lettre
aux catholiques amis des francs-maçons » publié 4
fois l’an par Paul Pistre, un catholique de Toulouse,
touche régulièrement pas moins de 150 personnes),
protestant libéral et chrétien unitarien (comme
en témoigne le site « Profils
de libertés »,
chrétien et initié au bouddhisme, etc.
Des réseaux de libres
croyants
Dès lors, l’œcuménisme n’est
plus un problème puisque, d’emblée, les
chrétiens ne mettent pas en avant leurs différences
théologiques, ecclésiales ou pastorales. Celles-ci
sont maintenant des choix personnels et non plus des enjeux
interconfessionnels. L’œcuménisme se fait à la
base, devient relationnel entre personnes et n’est
plus l’objet de négociations entre experts.
Mais ceux-ci peuvent continuer en vain leurs dites conférences
! D’ailleurs, l’Eglise catholique et d’autres
Eglises conservatrices ont tout fait pour saborder l’aventure œcuménique
par le haut, avec en prime l’hypocrisie de faire prier
le brave peuple chrétien, durant la semaine de l’Unité,
pour que le Saint-Esprit réalise celle-ci par un coup
de baguette magique !
Ces mouvements se coordonnent au sein de réseaux
et de fédérations : en France, la Fédération
des réseaux du Parvis, en Belgique, la Fédération
des réseaux des Pavés (« Pour un autre
visage de l’Eglise et de société »),
etc., et au niveau européen, le Réseau européen
Eglise de liberté. C’est le christianisme en
réseau dont nous avons déjà souligné le
rôle d’avenir.
Ces réseaux vont de l’avant sans plus attendre
quoique ce soit des diverses hiérarchies cléricales
: celles-ci suivront ou ne suivront pas ! Ils ne veulent
pas se constituer en une nouvelle Eglise - il y en a déjà suffisamment
- mais vivre l’Eglise « autrement », une
Eglise où les laïcs, hommes et femmes, sont participants
et non plus le troupeau de moutons encadré par des
clercs. Il s’agit d’une Eglise totalement décléricalisée, « libre »,
d’une Eglise qui réunit tous les chrétiens
indistinctement de leur origine confessionnelle et qui est
ouverte à tous les hommes de bonne volonté qui
se réfèrent à Jésus.
Ce n’est nullement un schisme - même l’affaire
des prêtres ouvriers, celle de Mgr Gaillot qui a suscité nombre
de ces mouvements, et bien d’autres encore, n’ont
pas généré de division - mais par contre
la naissance d’un christianisme alternatif, hors Eglises,
sur les « parvis » et sur les « pavés » de
nos espaces publiques. Ce christianisme n’est pas agressif
et ne veut plus s’acharner à réformer
les Eglises existantes. Il veut tout
simplement vivre un christianisme libéré des pesanteurs confessionnelles
que l’histoire nous a léguées, aller
de l’avant au nom de la liberté que les Evangiles
nous ont annoncée et qui a été trop
souvent confisquée par les Eglises.
Jean-Claude Barbier, Bordeaux
le 20 janvier 2005 |
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