1- L’Europe
invertébrée
La réforme religieuse qui est en cours
- mais nous n’en sommes qu’au début -
est une mutation formidable. Le contexte culturel est celui
de la constitution lente, très lente, d’une
Europe enfin débarrassée des antagonismes nationaux.
Ce n’est pas le plus fort qui fera la loi. Le plus
riche, peut-être, pour un temps, mais non le plus fort.
C’est aussi le cas des religions institutionnelles
et dogmatiques : aucune ne pourra prétendre détenir
seule la totalité de la vérité. Les
différences (autrefois, et pendant des siècles,
des « divisions) n’ont pas à être
abolies : elles doivent être respectées.
Fini le temps où un certain « œcuménisme » pensait
abolir les différences. Comme si, un jour, tous les
chrétiens devaient former un seul troupeau, marchant
derrière un seul drapeau. De fait, ce qui est commun à tous
les chrétiens n’a pas à s’exprimer
dans une seule organisation.
Les polémiques ou rivalités sont
aujourd’hui hors de saison. Certes, les affrontements
jalonnent notre passé. Mais l’essentiel n’est
pas de savoir d’où nous venons, mais où nous
allons…
Mondes politiques et mondes religieux… Le
parallèle est souvent peu perçu. Il est cependant
frappant. Réflexes nationaux et croyances religieuses
vont souvent de pair. Parfois même jusqu’à la
caricature, comme dans le cas d’un certain « protestantisme » américain
en lutte contre « le mal », lequel
s’oppose aux conceptions et aux intérêts
américains. Voilà ce qu’un européen
d’aujourd’hui comprend difficilement. Il faut
remonter à l’Europe classique et - par exemple
- au « saint empire » romain germanique
pour trouver une semblable confusion.
Les différences étaient autrefois
des divisions à combattre par la guerre. Ce n’est
heureusement plus le cas en Europe où cependant les
mondes « religieux » gardent le souvenir
des anciennes divisions –lesquelles paraîtront étonnantes
aux hommes de demain.
Bien que ce ne soit pas ici le sujet principal,
deux mots sur cette Europe actuelle sont nécessaires.
Cette « Europe » est-elle une Europe
européenne et démocratique ? On n’en
prend sans doute pas le chemin. Ce ne sont pas ici les propos
d’un « eurosceptique », mais
d’un européen qui se prend à rêver
d’une autre Europe qui fasse droit aux peuples.
Jadis, les personnes humaines étaient
des sujets d’un monarque (au temps de la monarchie
dite « absolue »), ou bien devaient
travailler pour le service de l’état (dictatures…).
Ils sont aujourd’hui des citoyens (c’est –en
principe- le cas de toutes les démocraties). La perspective
est claire. Mais est-elle juste, en l’espèce ?
Peut-on parler de « citoyens » sans
constitution ? Seule une constitution choisie peut faire
que tous se sentent citoyens. Si l’on juge bon de ne
pas consulter les peuples, qu’au moins les représentants élus
de ces peuples élaborent une telle loi générale.
On peut penser que les tentatives présentes n’aboutiront à rien
de durable sans un assentiment populaire.
Il faut encore connaître les limites
du territoire où cette loi générale
sera reconnue, appliquée, éventuellement défendue,
par les citoyens. On est loin de cela. Même si un embryon
de défense européenne (mais sans quartier-général
!) se met difficilement en place.
Cette « Europe » invertébrée
va-t-elle inclure la Turquie d’Asie mineure ?
Dans ce cas : pourquoi pas telle république du
Caucase si elle venait à en faire la demande !
D’ailleurs, l’Afrique du nord aurait bien autant
de titres à faire valoir que l’Asie mineure
(proximité géographique, histoire culturelle,
liens démographiques etc.).
Et cette Europe doit-t-elle inclure Israël
comme certains le prônent ? Et dans ce cas :
refuserait-elle le Liban ? La Palestine ? Ou peut-être
ira-t-elle jusqu’aux rives de l’océan
pacifique (Vladivostok) en incluant la Russie ?
Mais la Turquie fait partie de l’OTAN.
Peut importe apparemment qu’elle ne soit européenne
ni par la géographie, ni par la culture : elle
est membre de cette grande coalition placée sous commandement
suprême non-européen. Il faudrait donc que cette
nation (bientôt plus peuplée que les états
européens) fasse partie d’une Europe durablement
invertébrée. Si cela arrive : on peut
prévoir des difficultés.
Et, cas sans doute unique dans l’histoire,
cette Europe a un parlement, mais pas de gouvernement (élu).
Comme les protectorats, elle n’a d’ailleurs pas
de défense et, par conséquent, pas de diplomatie.
Il est difficile de se sentir citoyen d’un protectorat.
Par contre, la loi du profit est régnante.
Sous le nom d’Europe, un vaste marché voué au
libre-échange et à la loi du profit, se met
en place -sans l’assentiment des peuples. De là,
la tentation, pour l’empire américain, de jouer
la division de ce grand ensemble sans cohésion politique.
Et cette Europe sous haute surveillance se donnerait pour
capitale, la capitale de l’OTAN !
Il serait surprenant que - au-delà des
intentions affirmées et de nobles affirmations - ces « européens » se
mettent aujourd’hui tous d’accord sur un autre
sujet que sur celui du profit. Sans doute, cela n’aura
qu’un temps, mais le temps ne favorise habituellement
pas les moutons –même bien nourris. Et puis,
ce sont les rêves qui nous mettent en marche. Quelle
Europe te fait rêver, citoyen ?
Présentement, cette Europe est une sorte
de grand marché, aux frontières floues (et
loin d’être fixées), dont la « liberté » est
d’abord celle des capitaux. A coup de délocalisations,
privatisations, dérégulations, rationalisations,
restructurations… (le vocabulaire des commis -pardon :
des hauts fonctionnaires- est riche) et tout cela se fait
sans consultation des peuples. L’Europe que l’on
met sur les rails n’est pas une structure populaire.
Comment d’ailleurs le serait-elle ? Sans consultation
démocratique…..
Plus de 400 millions de « citoyens » sont,
pour l’heure, 400 millions de consommateurs. Dis-moi
combien tu gagnes et je te dirai ce que tu es. Est-ce l’Europe
de l’argent ? Mais l’argent n’est
pas une patrie. Si je n’ai pas d’argent :
je n’ai pas de patrie !
Quelques uns diront : il n’était
pas possible de faire autrement. Nous n’en sommes qu’au
début. Fort bien. Mais est-ce là la ligne de
l’horizon ? Est-ce là, ce vers quoi nous
voulons marcher ? Une Europe des peuples européens
n’est certes pas faite, mais la question est :
quel chemin prenons-nous pour y arriver ?
Laissons cette « Europe » à ses
fantasmes : des réactions populaires sont à venir.
Pour l’heure, les marchands ont la partie belle. Les
parallèles avec « nos » religions
sont cependant notables. Il serait illusoire de penser qu’il
n’y a pas de relation - pour le meilleur comme pour
le pire - entre un état de société et
le statut de sa religion.
Les anciennes nations se délitent et,
en même temps, les anciens citoyens se détournent
d’un jeu politique dont ils ne se sentent pas acteurs.
Malgré les affirmations des professionnels, les taux
d’abstention aux élections sont une sanction
normale. Dans le même temps, les églises se
vident, lors même que certaines proclament –vieux
réflexe- leur accès à la plénitude
de la vérité.
2- La triple réforme
Les rapides propos qui précèdent
ne visent qu’à rappeler un point de comparaison
avec la situation de groupes religieux jadis prospères.
Les seuls qui fassent encore « le plein » sont
d’ailleurs quelques groupes hyper-conservateurs qui,
comme certains groupes nationalistes, rassemblent quelques
convaincus ou nostalgiques.
Mais ces « différences » qui
ont été jadis senties comme des « divisions » (la
soi-disant « scandaleuse division des chrétiens »)
sont encore une nostalgie du passé. Voici venir le
temps où les différences n’auront plus à être
supprimées, mais à être respectées.
Tout comme les anciennes nations n’ont pas à être
effacées, mais considérées pour ce qu’elles
sont : des corps vivants au sein d’un grand corps
vivant. Faudrait-il couper les membres pour que le corps
vive ?
La nouvelle réforme met en place, peu à peu,
ce qu’on peut appeler une nouvelle religion. Comme
toute révolution, elle ouvre la porte à une
nouvelle société. Non pas que tel élément
soit simplement remplacé par tel autre : c’est
le système global qui est appelé à changer.
En sorte que tout élément (même ancien)
reçoit, dans le nouveau système, une signification
nouvelle.
Un raz de marée est devant nous. Un
raz de marée qui sera précédé de
diverses pluies, de plusieurs orages,
de quelques marées porteuses de détritus du
passé. Autant de problèmes spécifiques
- éventuellement très localisés - que
quelques uns tenteront de régler au coup par coup,
comme on l’a fait (ou tenté de le faire) par
le passé. Même la culture a ses technocrates.
D’un point de vue religieux, la réforme à venir
comporte trois aspects :
- Réforme
intérieure au christianisme
Il faut en finir avec un certain « œcuménisme » de
rassemblement. Les diverses traditions religieuses ne seront
pas effacées. Respectons les différences !
Orthodoxes, catholiques romains, protestants luthériens,
calvinistes et autres… ne vont pas disparaître
et se fondre dans un christianisme unique.
L’œcuménisme se situe à un
autre niveau : au plan des personnes, non au plan des
institutions ou des dogmes. Il faut, certes, tenir compte
du passé. Mais il faut alors tenir compte de tout
le passé (intolérances comprises).
- Ouverture du
panorama religieux
Nous avons besoin d’un oecuménisme à la
mesure de notre terre. La terre habitée (tel est le
sens de oikoumene) ne se limite plus au monde méditerranéen,
antique berceau du christianisme.
En outre, une société multiculturelle
comme la nôtre est ouverte à des traditions
auxquelles elle n’a pas donné naissance. Les
religions (Judaïsme, la plus ancienne ; Islam :
la deuxième religion de nos pays ; autres… )
sont aussi des manières différentes d’approcher
le même essentiel, non par une sorte de syncrétisme
réducteur, mais dans le respect de toutes les différences.
- Unir tous les
hommes de bonne volonté
Cette union est nécessaire. Quelle que
soit la tradition de référence. Tradition religieuse
ou non. Et le rationalisme aussi fait partie de l’histoire
de notre occident. Ceux qui se disent agnostiques ou athées
sont-ils moins des hommes de bonne volonté ?
Les voies (les oreilles) humaines sont tendues
vers ce grand large du rassemblement de tous… Car la
religion n’est pas essentiellement une position philosophico-dogmatique,
ni une forme de conformisme à un langage localement
traditionnel. C’est une pratique qui sous-tend une
recherche partagée.
Ces trois axes sont les trois volets de la
réforme qui est en cours. Il importe d’en prendre
conscience.
Mais, d’autre part, les chrétiens
doivent se poser la question : qu’en est-il de
la religion chrétienne aujourd’hui ?
Ou du moins : que voit-on lorsque l’on considère
les pratiques dites chrétiennes de l’occident
?
Apparemment, les chrétiens seraient « divisés » en
plusieurs branches -dont chacune prétend d’ailleurs
détenir la vérité. En fait, on tente
parfois de les rassembler autour de formulations dogmatiques
qu’ils ne comprennent plus (lire Pour
une nouvelle réforme). Même des pratiques répandues sont maintenues
pour d’autres raisons que celle de leur origine.
L’actuelle célébration
de la fête de Noël illustre ce paradoxe :
la fête de la naissance d’un enfant dans une étable
(non dans un palais) est l’occasion de la plus grande
consommation dans les pays riches. « Noël,
Noël est venu : nous ferons grande ripaille »,
chantait-on, jadis, dans la région de Bourg-en-Bresse.
Les ripailles ont fait leur chemin. De toute l’année
dite « chrétienne », Noël
est la plus grande fête de la consommation et, donc,
la fête des marchands.
Certes, les réjouissances familiales
sont ici le trait central. C’est même le seul
aspect (d’ailleurs positif) que beaucoup connaissent.
Pour ceux du moins à qui la porte de la grande consommation
n’est pas fermée.
Mais il convient de rappeler que, même
chez nous, la porte de la consommation n’est pas ouverte
pour tous. Notre Europe compte des millions de chômeurs
- ce qui fait beaucoup d’enfants de chômeurs,
de conjoints de chômeurs, de parents de chômeurs.
Beaucoup de monde…
Sans parler de nombreuses contrées de
notre terre dans lesquelles une fête religieuse n’implique
pas une grande consommation. Et quel sera le Noël des
enfants palestiniens ? Et des nombreuses populations
pauvres de notre monde ?
Rien n’est plus conforme à l’esprit
du christianisme que de se poser de telles questions. A Noël
est célébrée la naissance d’un
enfant dans une étable. C’est ainsi que la renaissance
de la lumière s’inscrit dans la tradition religieuse
de l’occident.
Nombreux sont ceux qui gardent cette image
de l’humble crèche. Comme ce prêtre cubain
qui me disait, autrefois, avant mon départ pour l’Europe : Tu
leur diras : ici, nous avons peu, mais nous avons l’essentiel… Ici,
c’est la crèche !
Et comment ne pas rappeler les paroles de cette
chanson –connue dans tout le monde arabe (Madînatu
s-salât)- chantée par la chrétienne Fairouz :
L’enfant dans la grotte
Et sa mère Maryam
Leurs deux visages pleurent
Nous voici loin de la grande fête de
la consommation. Mais l’image demeure, comme aussi
cet indéracinable espoir lié à la renaissance
symbolique de la lumière. Une lumière que tout
humain,croyant ou non, porte en soi.
3- Vers l’avenir
En ce qui concerne la religion, nous venons
de loin. Un rapide coup d’œil sur le passé récent
est édifiant.
Mon grand-père (homme intègre
et juste) était violemment anti-religieux. Il avait été jeune
lors de la séparation (en France) de l’église
et de l’état (1905). Pour moi, gamin, c’était
de l’histoire ancienne. Pour lui, c’était
un progrès du peuple en lutte pour son émancipation
de l’oppression religieuse et des ténèbres
des superstitions.
Comme beaucoup d’hommes de son temps,
il mettait d’un côté les religions et
les superstitions et, de l’autre la science et le progrès.
Cette dichotomie peut nous paraître datée. Elle
a été le cas de beaucoup d’hommes de
cette époque. Localement, elle est même encore
d’actualité.
Aujourd’hui, les polémiques se
sont largement éteintes : l’opposition
ayant été remplacée par l’indifférence.
Telle église peut bien, localement, revendiquer une
place ancienne, il n’empêche que les églises
se vident et que la moyenne d’âge des fidèles
augmente. Et nous ne sommes qu’au début d’un
lent processus commencé à l’époque
des Lumières.
En même temps, l’ignorance en matière
de religion est aujourd’hui colossale. Au point que
des esprits éclairés tentent de rétablir
un enseignement des religions -d’un point de vue culturel.
Il est vrai que philosophie, histoire de l’art, histoire
des institutions… par exemple, ne peuvent ignorer ce
vaste domaine des religions institutionnelles. Cette tentative
est donc bien justifiée. Ce n’est évidemment
pas le propos ici.
Quoiqu’il en soi, le rejet d’une
religion identifiée à une confession n’est
un drame que pour les tenants de cette confession (qu’ils
voudraient, éventuellement, dominante). Mais la fin
des dogmes et des institutions religieuses ne signifie pas
la fin du religieux. C’est le contraire qui est vrai.
La multiplication de nouveaux mouvements religieux est l’indice
d’une attente et d’une recherche. Nommer « secte » tout
ce qui est nouveau serait absurde. Evidemment, un danger « sectaire » peut
toujours exister, mais vigilance n’est pas refus de
comprendre.
Il n’est guère besoin d’insister
sur une nécessaire séparation des croyances
religieuses et de l’état. Une laïcité,
de fait ou de droit, est inscrite dans les pensées
de la majorité des européens. L’idée
d’inclure dans un texte constitutionnel une référence à une
quelconque transcendance serait une erreur. Le religieux
ne relève pas domaine du civil, même si, localement,
telle religion institutionnelle joue (ou joua) un rôle
important.
La grande communauté européenne
peut porter en son sein plusieurs communautés ethniques
ou religieuses. Encore faut-il que cette grande communauté existe !
Pour cela, il faut que cette communauté fonctionne
comme une grande patrie, une grande famille au sein de laquelle
les divers groupes se sentent libres d’être ce
qu’ils sont.
De fait, jadis, l’Europe a connu tous
les cas de figure. Son présent en témoigne
encore. Nous y trouvons une séparation nette de l’état
et du religieux, ou bien un concordat (diverses formules),
ou bien une religion nationale (inscrite dans la constitution
ou dans les usages en vigueur). Il arrive d’ailleurs
qu’un même état connaisse deux régimes
différents qui cohabitent sans heurts.
Ainsi, en France où une séparation
claire existe, l’Alsace a conservé (pour des
raisons historiques l’Alsace étant allemande
en 1905) un régime de concordat. C’est pour
cela que l’université française et laïque,
conserve une université (Strasbourg) avec ses facultés
de théologie (catholique et protestante) intégrées à l’université des
sciences humaines.
Ce fut certainement la sagesse des responsables
de l’époque de ne pas changer les usages locaux
lorsque l’Alsace est redevenue française. Avec
le recul du temps, cela ne gêne aujourd’hui presque
personne. En démocratie, chacun est libre d’être
ce qu’il est, là où il est.
Par parenthèse, n’est-ce pas en
ce lieu (Strasbourg) qu’il conviendrait d’implanter
une faculté de théologie musulmane ? Les
millions de nos concitoyens de religion musulmane pourraient
ainsi être instruits par des enseignants formés
aux disciplines universitaires. Les intellectuels musulmans
ne manquent pas. Encore faut-il leur faire une place…..
L’alternative est que l’Islam ne
soit objet d’études qu’en dehors de nos
universités. Ou bien que seules soient possibles,
des études historico-critiques qui, hors de toute
sensibilité religieuse, analyseraient savamment un
phénomène extérieur. Il est douteux
que de telles études puissent rencontrer les besoins
de croyants. Faudra-t-il attendre que naissent des facultés
musulmanes libres ?
Les pesanteurs, les rigidités, les réflexes
courants de notre système d’enseignement n’expliquent
pas tout. L’information de nos concitoyens est déficiente.
L’amalgame Islam-islamisme doit être dénoncé.
Il est vrai que cet amalgame peut paraître commode à quelques
uns.
L’Islam montre le chemin de la paix,
non d’un terrorisme aveugle. Tout comme, jadis, l’inquisition
n’était pas le christianisme ! L’Islam
est une religion de rectitude et d’amour. Mais les
siècles passés ont –ici encore- laissé des
traces.
Il est évident que le délitement
des patries va engendrer un développement des réactions
communautaires. Pourquoi ? C’est que tout homme
fait partie d’une « famille » qui
le reconnaît pour ce qu’il est. Une famille nationale
pouvait fournir le cadre à des communautés
différentes. La fin de cette grande famille verra
aussi la montée de revendications régionales,
ethniques, linguistiques, religieuses, etc.
Nous avons de cela quelques exemples qui ne
peuvent être étudiés ici. Mais la comparaison
avec les Etats-Unis n’est pas pertinente : les
communautés nombreuses y sont encadrées par
un patriotisme général. À quelque communauté qu’ils
appartiennent, tous se veulent citoyens d’une même
entité nationale. Le drapeau (partout présent)
y est un symbole reconnu et vénéré !
On voit même des européens (surtout jeunes)
qui ignorent, en principe, les drapeaux, mais arborent sur
leur poitrine le drapeau américain !
La seule réponse serait la constitution
d’une véritable patrie européenne. Comme
il a été rappelé plus haut, nous en
sommes loin. On verra donc se constituer des « familles » plus
restreintes, sur des bases communautaires « religieuses » ou
régionales. Voire même des bandes ou des maffias.
C’est clair : l’avenir de
notre Europe suppose la tolérance et le respect des
diversités. Non par une sorte de consensus mou, mais
par une tolérance dynamique, celle qui est fondée
sur la compréhension et l’estime réciproques.
Refusons donc cette sorte de privatisation de l’imaginaire,
par laquelle les religions seraient écartées
de la rationalité « normale » -laquelle
serait, en fait, fondée sur le profit. Et que vivent
les différences. Il serait autrement impossible de
parler d’intégration. On ne peut sérieusement
prétendre « intégrer » en
effaçant d’abord les différences.
Notre Europe est celle des communautés
différentes qui se respectent, sans se confondre ni
s’ignorer. De même que des peuples différents
- qui, jadis s’affrontèrent - décident
de vivre ensemble. Si cette Europe « européenne »,
pour une raison ou une autre, ne parvenait pas à exister,
alors seulement les communautarismes pourraient constituer
un péril.
On peut, on doit, ainsi lier - non par un lien
de causalité directe, mais par une large osmose -
la situation de l’Europe et le statut des religions
qui y sont pratiquées.
Jacques Chopineau, Genappe
le 6 décembre 2003
|