Introduction
Le midrache est un genre littéraire familier
dans quelques cercles hébraïsants, mais généralement
méconnu -voire inconnu. Ce sont surtout des milieux
juifs qui connaissent cette littérature exégétique
traditionnelle. Des traductions existent parfois, mais il
ne suffit pas de traduire les mots pour accéder à
la richesse de cette pensée. Il faut encore comprendre
pourquoi telle question est posée et comment la réponse
est donnée. Tout cela demande une certaine initiation…
Dans tous les cas, je préfère
cette orthographe française « midrache »
au « midrash » anglais ou au « midrasch »
allemand. D’autant qu’il ne s’agit pas ici
d’une étude sur cette littérature, mais
bien d’un genre littéraire qui peut être
désigné d’un (nouveau) terme français.
Voir l'article « Ce
sens qui est saveur ». Les lignes qui suivent
n’ont pour fonction que d’introduire à
quelques en mises œuvres et applications de cette littérature
traditionnelle ancienne dans de modestes tentatives nouvelles.
Deux mots cependant sur l’origine de ce
terme. Les études ne manquent pas, c’est pourquoi
on s’épargnera ici de longs développements.
Le verbe hébreu « drsh » (cp
arabe : « drs ») signifie « rechercher »
(spécialement dans les textes). De là ce substantif
dérivé utilisé en hébreu dans
le sens de « recherche » (exégétique).
En arabe, une évolution sémantique un peu différente
a donné le mot « madrasa » (école).
Le mot est attesté dans les textes bibliques
(2 Chroniques 13,22 ; 24,27), mais il n’y a pas
encore le sens technique d’une étude et relecture
d’un texte. La source ancienne est à trouver
dans les homélies et explications données dans
les maisons d’étude (beit-midrash) situées
à côté des maisons de prière (beit-tefila).
De là, ces compilations tardives (entre autre, ce « midrash
rabba » sur les livres bibliques, entre autres)
qui transmettent ce que des sages anciens ont dit au sujet
du texte biblique.
Les « midraches » qui
suivent relèvent d’un genre différent.
Et même, il y a loin des sources à ce qui est
fait ici sous le même nom. Certes, le ruisseau ne pourrait
exister sans la source qui lui a donné naissance. Mais
il s’écarte parfois du fleuve pour arroser une
autre plaine.
De tels « midraches »
ont déjà été publiés dans
des revues qui ont bien voulu les accueillir (Foi et Vie ;
Etudes Théologiques et Religieuses), mais
le terme est encore largement inconnu en tant qu’il
désignerait, en français, un genre littéraire
exégétique particulier.
Il est clair que le « midrache »
doit beaucoup au « midrash » connu en
hébreu (ou en araméen). Pour autant, comme on
le verra, ce n’est pas ici une simple imitation, ni
une nouvelle mouture de l’exégèse juive
traditionnelle. Qu’est-ce qui a été repris ?
D’abord, la diversité des lectures
possibles. En finir avec le règne exclusif de l’explication
de texte - largement dénoncée depuis longtemps
(1). Comme si un texte n’avait qu’un seul sens.
Comme si la lecture n’était pas celle du lecteur.
Comme si le texte « produisait du sens ».
On dirait aussi bien que l’escalier produit de l’élévation.
Dès lors, on pourrait « démonter le
texte pour voir comment il « fonctionne ».
Absurdités à la mode…Un texte ne fonctionne
pas, pas plus que l’escalier par lequel je peux monter
ou descendre.
En effet, sauf pour les textes dont la visée
est univoque (notice technique, mode d’emploi etc.…),
le sens du texte n’est pas dans le texte, mais dans
la lecture du texte. C’est le cas des textes poétiques
ou des textes qui ont un statut de « texte sacré ».
Il ne s’agit donc pas d’extraire (savamment) LE
sens du texte, mais de montrer un des sens du texte et comment
il retentit dans le cœur du lecteur.
De même, une des facettes de la pierre
précieuse, n’est pas toute la pierre. Et les
facettes sont tellement nombreuses qu’aucune vision
ne peut en montrer tous les aspects. Ce que tu vois n’est
pas ce que je vois - moi qui suis placé à un
autre endroit. D’ailleurs, chaque époque a ses
lectures. En outre, ces facettes ne seront pas forcément
semblables à tous les âges de la vie du lecteur.
Dans un tel « midrache »,
le lecteur prendra ce qui lui convient, aujourd’hui,
et laissera ce qui ne correspond pas à sa vision actuelle.
Dans le « midrash » original, cela correspond
à ce que dit « rabbi untel »
qui n’est pas ce que dit « rabbi untel ».
La diversité des approches est encore souvent couronnée
par un « et d’autres disent »
ou « il y en a qui disent », voire :
« les sages disent »…
L’expression, très habituelle,
de « Autre explication », montre assez
la diversité des approches des sages et, donc, de ses
échos dans la conscience du lecteur. Ainsi, une même
balle rebondit différemment selon le terrain. Ici,
le terrain est le lecteur.
Un moderne, fréquemment, pense que le
texte a un seul sens et que ce sens doit être trouvé
au terme d’une étude philologique (historico-critique)
qui exclue « raisonnablement » les autres
lectures. Au contraire, le midrache vise à offrir au
lecteur un peu de la diversité des lectures possibles.
C’est la première différence.
Un autre point fondamental est que le midrache
veut être une lecture attentive (non simplement une
étude savante) d’un texte sacré, en écho
avec tous les autres textes sacrés. L’Ecriture
est un grand organisme vivant qui doit être connu du
lecteur. Tel verset fait alors écho, dans la mémoire,
à tel autre verset. Ainsi se constitue une lecture,
selon une tradition ancienne qui est comme ravivée
dans la mesure où elle est actuelle. La lecture des
anciens éclaire ma propre lecture.
Seuls des textes dits « sacrés »
peuvent ici être l’origine d’une nouvelle
compréhension. Et toutes les particularités
formelles du texte peuvent être porteuses de signification.
Jeux de mots, jeux d’écriture, orthographes étonnantes,
signes divers…
A cet égard, une traduction est toujours
un changement de forme. Or la forme est un élément
essentiel de l’énoncé, ce qui est propre,
sans doute, à toute littérature. Cela renvoie
la soi-disant « équivalence dynamique »
à son infirmité fondamentale. Ce n’est
pas ici le lieu de la polémique. Sauf à rappeler
que la forme est signifiante. Le « contenu »
est variable selon le savoir, la question, la sagesse, le
moment, la soif du lecteur…..
La lecture n’est
pas identique à l’étude. Le midrache est
une lecture -non une étude savante. Une érudition
sans sagesse mènerait à une lecture superficielle.
Et à une savante accumulation de détails de
surface. C’est sous la surface que le sens se trouve
-au plus profond. Mieux vaut une simplicité profonde
qu’une complexité superficielle. Telle est la
tentative du midrache.
Jacques Chopineau,
17 décembre 2003
Note
(1) Sur ce point, voir : Jacques Chopineau, Les mots
et la parole, simples questions aux exégètes
qui sont aussi des théologiens, Analecta Bruxellensia
3 (1998), pp 7-20.
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