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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

 

 

   


Les Midraches

 

 

Introduction

Le midrache est un genre littéraire familier dans quelques cercles hébraïsants, mais généralement méconnu -voire inconnu. Ce sont surtout des milieux juifs qui connaissent cette littérature exégétique traditionnelle. Des traductions existent parfois, mais il ne suffit pas de traduire les mots pour accéder à la richesse de cette pensée. Il faut encore comprendre pourquoi telle question est posée et comment la réponse est donnée. Tout cela demande une certaine initiation…

Dans tous les cas, je préfère cette orthographe française « midrache » au « midrash » anglais ou au « midrasch » allemand. D’autant qu’il ne s’agit pas ici d’une étude sur cette littérature, mais bien d’un genre littéraire qui peut être désigné d’un (nouveau) terme français. Voir l'article « Ce sens qui est saveur ». Les lignes qui suivent n’ont pour fonction que d’introduire à quelques en mises œuvres et applications de cette littérature traditionnelle ancienne dans de modestes tentatives nouvelles.

Deux mots cependant sur l’origine de ce terme. Les études ne manquent pas, c’est pourquoi on s’épargnera ici de longs développements. Le verbe hébreu « drsh » (cp arabe : « drs ») signifie « rechercher » (spécialement dans les textes). De là ce substantif dérivé utilisé en hébreu dans le sens de « recherche » (exégétique). En arabe, une évolution sémantique un peu différente a donné le mot « madrasa » (école).

Le mot est attesté dans les textes bibliques (2 Chroniques 13,22 ; 24,27), mais il n’y a pas encore le sens technique d’une étude et relecture d’un texte. La source ancienne est à trouver dans les homélies et explications données dans les maisons d’étude (beit-midrash) situées à côté des maisons de prière (beit-tefila). De là, ces compilations tardives (entre autre, ce « midrash rabba » sur les livres bibliques, entre autres) qui transmettent ce que des sages anciens ont dit au sujet du texte biblique.

Les « midraches » qui suivent relèvent d’un genre différent. Et même, il y a loin des sources à ce qui est fait ici sous le même nom. Certes, le ruisseau ne pourrait exister sans la source qui lui a donné naissance. Mais il s’écarte parfois du fleuve pour arroser une autre plaine.

De tels « midraches » ont déjà été publiés dans des revues qui ont bien voulu les accueillir (Foi et Vie ; Etudes Théologiques et Religieuses), mais le terme est encore largement inconnu en tant qu’il désignerait, en français, un genre littéraire exégétique particulier.

Il est clair que le « midrache » doit beaucoup au « midrash » connu en hébreu (ou en araméen). Pour autant, comme on le verra, ce n’est pas ici une simple imitation, ni une nouvelle mouture de l’exégèse juive traditionnelle. Qu’est-ce qui a été repris ?

D’abord, la diversité des lectures possibles. En finir avec le règne exclusif de l’explication de texte - largement dénoncée depuis longtemps (1). Comme si un texte n’avait qu’un seul sens. Comme si la lecture n’était pas celle du lecteur. Comme si le texte « produisait du sens ». On dirait aussi bien que l’escalier produit de l’élévation. Dès lors, on pourrait « démonter le texte pour voir comment il « fonctionne ». Absurdités à la mode…Un texte ne fonctionne pas, pas plus que l’escalier par lequel je peux monter ou descendre.

En effet, sauf pour les textes dont la visée est univoque (notice technique, mode d’emploi etc.…), le sens du texte n’est pas dans le texte, mais dans la lecture du texte. C’est le cas des textes poétiques ou des textes qui ont un statut de « texte sacré ». Il ne s’agit donc pas d’extraire (savamment) LE sens du texte, mais de montrer un des sens du texte et comment il retentit dans le cœur du lecteur.

De même, une des facettes de la pierre précieuse, n’est pas toute la pierre. Et les facettes sont tellement nombreuses qu’aucune vision ne peut en montrer tous les aspects. Ce que tu vois n’est pas ce que je vois - moi qui suis placé à un autre endroit. D’ailleurs, chaque époque a ses lectures. En outre, ces facettes ne seront pas forcément semblables à tous les âges de la vie du lecteur.

Dans un tel « midrache », le lecteur prendra ce qui lui convient, aujourd’hui, et laissera ce qui ne correspond pas à sa vision actuelle. Dans le « midrash » original, cela correspond à ce que dit « rabbi untel » qui n’est pas ce que dit « rabbi untel ». La diversité des approches est encore souvent couronnée par un « et d’autres disent » ou « il y en a qui disent », voire : « les sages disent »…

L’expression, très habituelle, de « Autre explication », montre assez la diversité des approches des sages et, donc, de ses échos dans la conscience du lecteur. Ainsi, une même balle rebondit différemment selon le terrain. Ici, le terrain est le lecteur.

Un moderne, fréquemment, pense que le texte a un seul sens et que ce sens doit être trouvé au terme d’une étude philologique (historico-critique) qui exclue « raisonnablement » les autres lectures. Au contraire, le midrache vise à offrir au lecteur un peu de la diversité des lectures possibles. C’est la première différence.

Un autre point fondamental est que le midrache veut être une lecture attentive (non simplement une étude savante) d’un texte sacré, en écho avec tous les autres textes sacrés. L’Ecriture est un grand organisme vivant qui doit être connu du lecteur. Tel verset fait alors écho, dans la mémoire, à tel autre verset. Ainsi se constitue une lecture, selon une tradition ancienne qui est comme ravivée dans la mesure où elle est actuelle. La lecture des anciens éclaire ma propre lecture.

Seuls des textes dits « sacrés » peuvent ici être l’origine d’une nouvelle compréhension. Et toutes les particularités formelles du texte peuvent être porteuses de signification. Jeux de mots, jeux d’écriture, orthographes étonnantes, signes divers…

A cet égard, une traduction est toujours un changement de forme. Or la forme est un élément essentiel de l’énoncé, ce qui est propre, sans doute, à toute littérature. Cela renvoie la soi-disant « équivalence dynamique » à son infirmité fondamentale. Ce n’est pas ici le lieu de la polémique. Sauf à rappeler que la forme est signifiante. Le « contenu » est variable selon le savoir, la question, la sagesse, le moment, la soif du lecteur…..

La lecture n’est pas identique à l’étude. Le midrache est une lecture -non une étude savante. Une érudition sans sagesse mènerait à une lecture superficielle. Et à une savante accumulation de détails de surface. C’est sous la surface que le sens se trouve -au plus profond. Mieux vaut une simplicité profonde qu’une complexité superficielle. Telle est la tentative du midrache.

Jacques Chopineau, 17 décembre 2003  

Note
(1) Sur ce point, voir : Jacques Chopineau, Les mots et la parole, simples questions aux exégètes qui sont aussi des théologiens, Analecta Bruxellensia 3 (1998), pp 7-20.