Brève introduction
Il est bien connu que,
dans plusieurs langues anciennes, les lettres ont été utilisées
pour noter les nombres. De ce fait, chaque mot écrit
possédait son propre « poids » numérique.
Ainsi, deux termes ou expressions pouvaient être considérés
comme interchangeables s'ils avaient même valeur numérique
(guématrie).
L'origine du mot « guématrie » a
suscité bien des hypothèses. Ce n'est pas un
mot d'origine hébraïque. Bien des mots grecs
et même latins ont été admis dans l'hébreu
post-biblique. Surtout dans la langue philosophique. Mais
ce mot relativement récent désigne cependant
une pratique plus ancienne.
On peut penser à « geomatrie » -laquelle,
au commencement, est une mesure de la surface de la terre.
C'est, en Egypte ancienne, une science sacrée grâce à laquelle
des connaisseurs, par une corde à 13 nœuds, savaient
déterminer des surfaces par la construction d'un triangle
de mesure 3x4x5 (le triangle cosmique de Platon, mais aussi
l'origine de ce qu'on appellera « triangle de
Pythagore »). Mais peu importe ici l'origine du
terme.
Dans tous les cas,
les valeurs numériques
sont liées à un système d'écriture.
Ces particularités peuvent être ou ne pas être
utilisées. Lorsqu'elles le sont cependant, tous les
mots de la langue sont susceptibles d'être lus autrement
que selon une acception lexicale courante. Un rapprochement
symbolique prend alors le pas sur une signification ordinaire.
Certains s'empresseront
de voir dans cet usage (souvent religieux) des spéculations aventureuses.
Mais un usage fantaisiste ne dit rien contre un système
possible. Il faut seulement savoir si l'écriture permet
de tels « jeux » et, d'autre part,
si un milieu les a utilisés.
Nous avons vu ailleurs
(lire Guématries)
que les scribes bibliques utilisent parfois ces valeurs lorsqu'elles
leur paraissent significatives. Mais les « coïncidences » sont
le bien de tous ceux qui les remarquent. Libre à eux
d'en faire usage, si elles leur semblent dignes d'être
utilisées. « Coïncidences » si
l'on veut, mais rapprochements remarquables…
La Bible utilise assez
peu ce procédé qui
connaîtra de grands développements dans la tradition
appelée « qabbala » (« cabale »).
Il reste que la langue hébraïque (son écriture
et sa numération) se prête à ces « jeux » d'écriture…
Libre à chacun de voir là une
intention providentielle ou, au contraire, un usage délirant.
Tout hébraïsant pourra facilement vérifier
les équivalences qui suivent (pour des usages bibliques,
le lecteur se rapportera, sur ce site, à l'article Guématries). Bornons-nous ici à des exemples
simples et facilement vérifiables.
Quelques exemples
• Le mot pour « année » (Shana :
shin + nûn + hé = 300 + 50 + 5) a une valeur
numérique de 355, soit le nombre de jours de l'année
lunaire. Si l'on ajoute l'article (hé = 5), nous obtenons
360, soit le nombre traditionnel des jours de l'année
solaire. Des computs plus précis, anciennement, sont
nombreux, mais ce chiffre de 360 est bien attesté.
C'est la durée symbolique de l'année (cf Apocalypse
11,3 : 42 mois de 30 jours sont 1260 jours). Or, le
nombre des jours de l'année et la valeur numérique
du mot hébreu pour « année » sont
identiques.
• Herayon signifie « conception ».
Les lettres du mot hébreu sont : hé +
resh + yod + waw + nun (= 5 + 200 + 10 + 6 + 50). Soit au
total 271, ce qui est considéré, dans le Talmûd,
comme le nombre des jours d'une gestation humaine.
• Un exemple biblique,
bien que ce ne soit ici le sujet de l'étude,
mais cette équivalence
n'est pas signalée ailleurs : l'expression « ville
de Dieu » (Psaume 87,3) a la même valeur
numérique que « L'Eternel
(est) là » (Ezékiel
48,35) :
Yhwh shamma = 26 +
345 = 371, et ‘îr
ha-elohim = 280 + 91 = 371
• Encore un exemple biblique, donc ancien,
mais connu de tout scribe avisé. La
montagne du Sinaï et
l'échelle de Jacob figurent une réalité spirituelle
analogue.
Comment ?
Les mots pour
« Sinaï » (syny =
60 + 10 + 50 + 10 = 130) a la même valeur numérique
que « échelle
» :
« sullam », slm = 60 + 30 + 40 = 130).
Par parenthèse, le nombre 130 (dix
fois 13) nous ouvre une large fenêtre de rapprochements
avec 13, nombre divin fort important et valeur numérique
de UN (eHad). Or, Dieu est UN (cf Deutéronome 6,4 :
yhwh eHad).
• Laissons ici la Bible, mais non la langue
biblique.
Le mot hébreu pour « père » (« ab » :
aleph + beth = 1 + 2) a pour valeur numérique 3.
Le
mot pour « mère » vaut 41 (« em » =
aleph + mem = 1 + 40).
La somme des deux parents (3 + 41)
est de 44.
Le mot pour « enfant » (yélèd :
yod + lamed + dalet = 10 + 30 + 4) a le même nombre
44 que le total des valeurs numériques
du père
et de la mère.
• Une expression talmudique étonne
au premier regard : « est
entré le
vin ; est sorti le secret » (« nikhnas
yayin we-yatsa sod »).
Le vin (« yayin » :
yod + yod + nûn = 10 + 10 + 50 = 70)
et le secret (« sod » :
samekh + waw + dalet = 60 + 6 + 4 = 70)
ont même valeur
numérique !
Symboliquement, les deux mots sont
interchangeables.
En sorte que -par exemple-
le texte du Cantique des cantiques 2,4 :
« Il
m'a introduite dans la maison du vin »
pourra donc être lu comme :
« il
m'a introduite dans la maison du secret ».
Sur un plan mystique,
cette lecture rappelle l'adage, bien connu, mais rarement
compris : « in
vino veritas ».
Ainsi, ce qui est pris
parfois comme une boutade, désignerait tout autre chose. D'autant que
ce secret (« sod ») désigne
traditionnellement le quatrième sens du texte de l'Ecriture
-celui qui ne fait pas l'objet de commentaires discursifs.
• Bien d'autres exemples
seraient possibles :
les équivalences numériques sont nombreuses.
Elles requièrent cependant une connaissance de la
langue et des textes originaux que notre époque ne
met pas en tête de ses préoccupations. Pourtant,
le lecteur avisé (hébraïsant, bien sûr,
et familier de la littérature exégétique
traditionnelle) les découvrira en son temps.
Jacques Chopineau, Genappe, 20 avril 2004
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