2. La tétraktys
On connaît la
fameuse tétraktys des pythagoriciens. Image
figurée de la structure du monde. La figure classique
est celle d’un triangle de quatre lignes tel que 1 +
2 + 3 + 4 = 10 points ou cailloux. 4 est ainsi la racine triangulaire
de 10. L’analogie avec les quatre éléments
est évidente. Quatre contient tout et la somme des
quatre premiers nombres donne 10, ce qui dans le système
décimal (universel chez les grecs) est un retour à
l’unité. Tout ce qui existe dans ce monde « sublunaire »
est analogue au point (= 1), à la ligne (= 2), à
la surface (= 3) ou au volume (= 4). Rien d’autre ne
peut exister hors de ce triangle primordial, figuré
par la tétraktys :
Dans cette optique, 5 désignera ce qui
n’est pas de ce monde et aspire à rejoindre son
origine, laquelle est céleste. Les spéculations
ici sont nombreuses et leur exposé déborderait
largement la présente introduction limitée au
livre de Daniel. Mais manifestement, le milieu daniélique
connaît cette symbolique.
Mystique et arithmétique sont ici entremêlées.
Ce sera souvent le cas. Le milieu daniélique connaît
cette relation entre quatre et dix. Le roi trouve que les
quatre jeunes gens sont dix fois plus intelligents que les
sages qui l’entourent (Daniel 1,20). La quatrième
bête a dix cornes (Daniel 7,20, cp 7,24)). Le nombre
10 est l’exaltation de sa racine - en l’occurrence
triangulaire. Mais surtout Daniel connaît cette arithmétique
géométrique par laquelle les anciens calculaient
les « nombres figurés » (nombres
polygones).
Il n’est pas de figure sans nombre, ni
de nombre sans figure correspondante. Tout nombre est une
forme que des cailloux permettent de visualiser. L’ancienne
école pythagoricienne (cinquième siècle
avant notre ère, donc quelques trois siècles
avant la rédaction du livre de Daniel) affirme clairement
cette relation.
Un des premiers problèmes résolus
par les anciens mathématiciens (lesquels, souvent,
sont aussi des philosophes et/ou des penseurs mystiques) est
de savoir calculer le nombre de cailloux qu’il faut
ajouter à une figure formée par des triangles
(3, 6, 10, 15…), des carrés (4, 9, 16,
25…..) des pentagones (5, 12, 22, 35….) etc…
Chaque « famille » de
nombres a son propre gnomon (n
+ 1 pour les triangulaires, 2n + 1 pour les carrés,
3n + 1 pour les pentagonaux etc…).
Le terme même de « carré »
vient de ce que les cailloux pouvaient être disposés
en forme de carré. Le nom de « gnomon »
(= « équerre »)
provient de la manière dont on avait autrefois calculé,
avec des cailloux, le gnomon des carrés. L’opération
a d’abord été faite - par les tout premiers
mathématiciens - sur les carrés. On peut ici
renvoyer à notre introduction aux nombres…
Notons que pour calculer le gnomon des nombres pentagonaux, il faudra passer de l’équerre
au compas. En effet, si une simple équerre suffisait
pour visualiser les nombres de cailloux nécessaires
pour passer d’un carré au suivant, un compas
sera à présent nécessaire. Il sera dès
lors facile de construire - avec une règle et un compas
- des pentagones de 5, 12, 22, 35 etc … cailloux.
Le gnomon des
nombres pentagonaux est égal à 3n + 1,
et le nombre pentagonal Pn (ainsi ferait un moderne) est égal
à :
Pn = n (3n – 1)
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Mais dans la « famille »
des nombres figurés qui sont des nombres-polygones
(triangulaires, carrés, pentagonaux, hexagonaux etc…)
il est facile de passer de l’un à l’autre
des membres de la famille par simple addition du gnomon,
lequel est le triangulaire du nombre (entier) immédiatement précédent.
Cette arithmétique est, au moins empiriquement, bien
connue des anciens…
Dans l’arithmétique géométrique
qui régnait alors, il suffisait de connaître
cette règle élémentaire. Il était
inutile de se livrer à des opérations qui nous
sont familières. Une simple addition suffisait. En
sorte que, dans une série de n nombres figurés,
le triangulaire du nombre n-1 donne accès à
toute la série des nombres figurés du rang immédiatement
supérieur. Ainsi, le triangulaire de 6 donne accès
à tous les nombres figurés dont la racine symbolique
est 7. Pour passer de l’un à l’autre des
nombres figurés dont la racine symbolique est 7, il
suffira de connaître le triangulaire du nombre 6 :
T6 = 21 (1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 = 21).
Ainsi :
7 + 21 = 28 (triangulaire de 7)
28 + 21 = 49 (carré de 7)
49 + 21 = 70 (pentagonal de 7)
La série pourrait évidemment être
poursuivie, mais nous avons vu (cf Introduction
aux nombres) que nous pouvons nous arrêter au pentagonal
(en tout cas, dans le livre de Daniel). Non que l’hexagonal
91 (= 70 + 21) ne joue pas de rôle (voir : « guématries »),
mais il n’apparaîtra formellement que dans des
écrits apocalyptiques écartés tant par
les juifs que par les chrétiens
[1].
Ce nombre 21 (= T6) est bien connu de Daniel.
C’est d’ailleurs au terme d’un jeûne
de trois semaines (3 x 7 = 21) qu’il accèdera
à la révélation (cf Daniel 10,2). L’ange
qui veillait sur les destinées de la Perse n’a
résisté que 21 jours (Daniel 10,13). Viendra
ensuite l’ange de Yawan (= Ionie = (symboliquement)
la Grèce) et les déboires du peuple judéen.
Symboliquement, 49 = 70. En effet, le carré
(49) et le pentagonal (70) ont la même racine symbolique :
7. C’est ce qui permet à Daniel de décrypter
la prophétie du prophète Jérémie
qui prédisait 70 années d’exil (Jérémie
25,11). Historiquement, l’exil a duré 49 ans :
de la destruction de Jérusalem (-587) à la chute
de Babylone devant la coalition des perses et des mèdes
(- 538).
Cependant, la prophétie de Jérémie
annonçait 70 années d’exil. La différence
entre le texte prophétique et l’histoire connue
est donc de 70 – 49 = 21 ans. Certes, Dieu est la source
des prophéties, comme Il est le maître de l’histoire.
Mais il n’y a plus de prophètes (cf Psaume 74,9).
Nous sommes au temps des visionnaires apocalypticiens. Et
il appartient au sage de décrypter le texte et de lire
l’histoire.
[1] Cf Hénoch
LXXX,18 qui cite les 91 jours d’une saison (trois
mois de 30 jours + 1 jour intercalaire à chaque saison
–dans le comput d’une année solaire de
364 jours. On connaît ce même comput à
Qumran, mais non dans le livre de Daniel. Il y a là,
la source d’une ancienne opposition . Cf Daniel 7,25 : « ceux qui veulent changer
les temps et la Loi », opposé à cette
année affirmée par le livre des Jubilés
(chapitre 6) ou par le livre d’Hénoch. Il est
vrai que changer l’année revient à changer
l’ordre des fêtes et, finalement, l’ordre
de la création. Les temps festifs prescrits ici-bas
et les temps fixés dans les cieux se correspondent
nécessairement. L’ordre céleste ne peut
être perturbé que par le péché
(Hénoch 80). Quoi qu’il en soit, le nombre 91
inscrit 4 fois le Nom divin dans l’année. Une
note sur le calendrier peut être lue dans :
Jacques Chopineau : Les temps derniers : Durée
symbolique et nombre-racine, Analecta Bruxellensia 5
(2000), p 63ss).
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