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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

1. Introduction
2. La tétraktys
3. Les nombres de la fin
4. Les jours de la création
5. Le septième jour

 

   


Des nombres dans le livre de Daniel

 

 


2. La tétraktys

On connaît la  fameuse tétraktys des pythagoriciens. Image figurée de la structure du monde. La figure classique est celle d’un triangle de quatre lignes tel que 1 + 2 + 3 + 4 = 10 points ou cailloux. 4 est ainsi la racine triangulaire de 10. L’analogie avec les quatre éléments est évidente. Quatre contient tout et la somme des quatre premiers nombres donne 10, ce qui dans le système décimal (universel chez les grecs) est un retour à l’unité. Tout ce qui existe dans ce monde « sublunaire » est analogue au point (= 1), à la ligne (= 2), à la surface (= 3) ou au volume (= 4). Rien d’autre ne peut exister hors de ce triangle primordial, figuré par la tétraktys :

Dans cette optique, 5 désignera ce qui n’est pas de ce monde et aspire à rejoindre son origine, laquelle est céleste. Les spéculations ici sont nombreuses et leur exposé déborderait largement la présente introduction limitée au livre de Daniel. Mais manifestement, le milieu daniélique connaît cette symbolique.

Mystique et arithmétique sont ici entremêlées. Ce sera souvent le cas. Le milieu daniélique connaît cette relation entre quatre et dix. Le roi trouve que les quatre jeunes gens sont dix fois plus intelligents que les sages qui l’entourent (Daniel 1,20). La quatrième bête a dix cornes (Daniel 7,20, cp 7,24)). Le nombre 10 est l’exaltation de sa racine - en l’occurrence triangulaire. Mais surtout Daniel connaît cette arithmétique géométrique par laquelle les anciens calculaient les « nombres figurés » (nombres polygones).

Il n’est pas de figure sans nombre, ni de nombre sans figure correspondante. Tout nombre est une forme que des cailloux permettent de visualiser. L’ancienne école pythagoricienne (cinquième siècle avant notre ère, donc quelques trois siècles avant la rédaction du livre de Daniel) affirme clairement cette relation.

Un des premiers problèmes résolus par les anciens mathématiciens (lesquels, souvent, sont aussi des philosophes et/ou des penseurs mystiques) est de savoir calculer le nombre de cailloux qu’il faut ajouter à une figure formée par des triangles  (3, 6, 10, 15…), des carrés (4, 9, 16, 25…..) des pentagones (5, 12, 22, 35….) etc…

Chaque « famille » de nombres a son propre gnomon (n + 1 pour les triangulaires, 2n + 1 pour les carrés, 3n + 1 pour les pentagonaux etc…).

Le terme même de « carré » vient de ce que les cailloux pouvaient être disposés en forme de carré. Le nom de « gnomon » (= « équerre ») provient de la manière dont on avait autrefois calculé, avec des cailloux, le gnomon des carrés.  L’opération a d’abord été faite - par les tout premiers mathématiciens - sur les carrés. On peut ici renvoyer à notre introduction aux nombres…

Notons que pour calculer le gnomon des nombres pentagonaux, il faudra passer de l’équerre au compas. En effet, si une simple équerre suffisait pour visualiser les nombres de cailloux nécessaires pour passer d’un carré au suivant, un compas sera à présent nécessaire. Il sera dès lors facile de construire - avec une règle et un compas - des pentagones de 5, 12, 22, 35 etc … cailloux.

Le gnomon des nombres pentagonaux est égal à 3n + 1, et le nombre pentagonal Pn (ainsi ferait un moderne) est égal à :

Pn = n (3n – 1)
        2

Mais dans la « famille » des nombres figurés qui sont des nombres-polygones (triangulaires, carrés, pentagonaux, hexagonaux etc…) il est facile de passer de l’un à l’autre des membres de la famille par simple addition du gnomon, lequel est  le triangulaire du nombre (entier) immédiatement précédent. Cette arithmétique est, au moins empiriquement, bien connue des anciens…

Dans l’arithmétique géométrique qui régnait alors, il suffisait de connaître cette règle élémentaire. Il était inutile de se livrer à des opérations qui nous sont familières. Une simple addition suffisait. En sorte que, dans une série de n nombres figurés, le triangulaire du nombre n-1 donne accès à toute la série des nombres figurés du rang immédiatement supérieur.  Ainsi, le triangulaire de 6 donne accès à tous les nombres figurés dont la racine symbolique est 7. Pour passer de l’un à l’autre des nombres figurés dont la racine symbolique est 7, il suffira de connaître le triangulaire du nombre 6 :
T6 = 21 (1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 = 21).

Ainsi :
7 + 21 = 28 (triangulaire de 7)
28 + 21 = 49 (carré de 7)
49 + 21 = 70 (pentagonal de 7)

La série pourrait évidemment être poursuivie, mais nous avons vu (cf Introduction aux nombres) que nous pouvons nous arrêter au pentagonal (en tout cas, dans le livre de Daniel). Non que l’hexagonal 91 (= 70 + 21) ne joue pas de rôle (voir : « guématries »), mais il n’apparaîtra formellement que dans des écrits apocalyptiques écartés tant par les juifs que par les chrétiens [1].

Ce nombre 21 (= T6) est bien connu de Daniel. C’est d’ailleurs au terme d’un jeûne de trois semaines (3 x 7 = 21) qu’il accèdera à la révélation (cf Daniel 10,2). L’ange qui veillait sur les destinées de la Perse n’a résisté que 21 jours (Daniel 10,13). Viendra ensuite l’ange de Yawan (= Ionie = (symboliquement) la Grèce) et les déboires du peuple judéen.

Symboliquement, 49 = 70. En effet, le carré (49) et le pentagonal (70) ont la même racine symbolique : 7. C’est ce qui permet à Daniel de décrypter la prophétie du prophète Jérémie qui prédisait 70 années d’exil (Jérémie 25,11). Historiquement, l’exil a duré 49 ans : de la destruction de Jérusalem (-587) à la chute de Babylone devant la coalition des perses et des mèdes (- 538).

Cependant, la prophétie de Jérémie annonçait 70 années d’exil. La différence entre le texte prophétique et l’histoire connue est donc de 70 – 49 = 21 ans. Certes, Dieu est la source des prophéties, comme Il est le maître de l’histoire. Mais il n’y a plus de prophètes (cf Psaume 74,9). Nous sommes au temps des visionnaires apocalypticiens. Et il appartient au sage de décrypter le texte et de lire l’histoire.

[1] Cf Hénoch  LXXX,18 qui cite les 91 jours d’une saison (trois mois de 30 jours + 1 jour intercalaire à chaque saison –dans le comput d’une année solaire de 364 jours. On connaît ce même comput à Qumran, mais non dans le livre de Daniel. Il y a là, la source d’une ancienne opposition . Cf Daniel 7,25 :  « ceux qui veulent changer les temps et la Loi », opposé à cette année affirmée par le livre des Jubilés (chapitre 6) ou par le livre d’Hénoch. Il est vrai que changer l’année revient à changer l’ordre des fêtes et, finalement, l’ordre de la création. Les temps festifs prescrits ici-bas et les temps fixés dans les cieux se correspondent nécessairement. L’ordre céleste ne peut être perturbé que par le péché (Hénoch 80). Quoi qu’il en soit, le nombre 91 inscrit 4 fois le Nom divin dans l’année. Une note sur le calendrier peut être lue dans : Jacques Chopineau : Les temps derniers : Durée symbolique et nombre-racine, Analecta Bruxellensia 5 (2000), p 63ss).