1 - Guématries
Un sujet discuté (ou écarté)
est celui de l’utilisation des valeurs numériques
dans les textes bibliques. On a souvent soutenu que cette
« guématrie » était une
invention tardive. Très développée dans
ce qu’on nomme « la cabbale »,
mais inconnue dans les textes bibliques. L’utilisation
de la valeur numérique des lettres hébraïques
serait un phénomène tardif -postérieur
à l’époque de rédaction des textes
bibliques. Cela a souvent été affirmé.
Telle quelle, cette thèse est aujourd’hui
insoutenable. Les exemples cités ci-après rendent
les coïncidences impossibles. Reste le problème
de comprendre ce que les scribes ont voulu dire par cette
mise en forme. Et à quelle date ? Et dans quel
milieu ? Ce sont là des problèmes pour
les exégètes. Simplement, un examen impartial
s’interdit toute négation a priori.
Un cas souvent cité (comme si c’était
le seul exemple) est celui des 318 guerriers d’Abraham
(Genèse 14,14). Or, le nom du principal serviteur d’Abraham
est Eliezer (Genèse 15,2) et la valeur numérique
de « ‘Eliezer » est, justement,
318 :
‘Eliezer |
אליעזר |
= 1 + 30 + 10
+ 70 + 7 + 200 = 318 |
Mais d’autres exemples sont
moins connus –voire ignorés ou passés
sous silence : Sara est ensevelie dans la grotte de Makhpéla
(Genèse 23,19). C’est là que sera enseveli
Abraham qui meurt à 175 ans (Genèse 25,7). Or
le nom de la grotte a la même valeur numérique
que le nombre des années du patriarche :
Makhpéla |
מכפלה |
= 40 + 20 + 80
+ 30 + 5 = 175 |
Ce nombre est d’autant plus
intéressant que les années des patriarches suivants
sont bien remarquables :
Abraham meurt à 175 ans. 175 = 7 x 52
Isaac meurt à 180 ans. 180 = 5 x 62
Jacob meurt à 147 ans. 147 = 3 x 72
Joseph (héritier des trois « pères »)
meurt à 110 ans. 110 = 52+ 62
+ 72
Le nombre des années de la vie des patriarches
est toujours multiple d’un carré et leur successeur
Joseph cumule cet héritage ! Cela a déjà
été décrit avec précision (1).
Ajoutons que les noms des « pères »
(Abraham faisant ici nécessairement exception parce
qu’il répond à un symbolisme différent)
ont également une valeur numérique étonnante :
Isaac |
יצחק |
= 208 = 8 x 26 |
Jacob |
יעקב |
= 182 = 7 x 26 |
Joseph |
יוסף |
= 156 = 6 x 26 |
On sait que 26 est la valeur numérique
du Nom divin. Ce Nom est ainsi « inscrit »
dans les noms cités. Il sera difficile d’attribuer
tous ces résultats à des coïncidences.
Citons encore les 26 répétitions
de la formule « Éternelle est sa grâce »
dans le Psaume 136 ou les 26 mentions du Nom divin dans le
livret de Jonas.
Autre guématrie, cette fois sur la valeur
numérique d’un nom –celui du roi Salomon :
Salomon |
שלמה |
= 300 + 30 +
40 + 5 = 375 |
Les proverbes dits « de
Salomon » (non tous les textes du livre, mais seulement
les « proverbes » brefs du premier grand
recueil attribué à Salomon), sont au nombre
de 375 (Proverbes 10,1- 22,16).
2
- Des nombres symboliques
Le nombre du nom divin (YHWH) a pour valeur
numérique 26. Ce qui est 13 x 2.Le nombre 13 est celui
des attributs de Dieu, selon Maïmonide et selon ce que
chantent les enfants dans le texte populaire de la fête
juive de Pâque. Savante ou non, la tradition a gardé
mémoire de la valeur de 13, comme aussi le texte de
la Bible a –de plusieurs manières qui ne peuvent
toutes être signalées ici- utilisé les
particularité du nombre 26.
Dans la suite des temps, un cabbaliste (Abul’afya)
soulignera que 13 est aussi la valeur numérique de
UN (‘eHad) et de AMOUR (‘ahava). Et les amateurs
de figures symboliques verront que dans l’étoile
à six branches (« sceau de Salomon »
ou « étoile de David ») les sommes
des chiffres le long de chaque côté sont égales
à 26 (La figure d’une telle « étoile
magique » est reproduite dans : A.Warusfel,
Les nombres et leur mystère,
Paris 1961 (Seuil), p 34)
Pour nous tenir à la Bible, remarquons
qu’un dérivé de 26 joue un rôle
important. Il s’agit du nombre pentagonal de 26 qui
est 1001 :
1001 = P26
Nous avons vu, dans
l'introduction, combien il est simple de passer d’un
nombre n à son triangulaire (Tn), son carré
(Cn = n2), son pentagonal (Pn) par l’addition
du gnomon propre à la famille des nombres figurés.
Le « développement pentagonal »
du nombre 26 est 1001. Cette arithmétique géométrique
est le support d’une signification symbolique :
« Aux yeux de Dieu, mille ans sont
comme un jour » (Psaume 90,4) et : «un
jour dans tes parvis en vaut plus de mille » (Psaume
84,11).
Le Nouveau Testament se souvient de cette particularité.
Le calcul semble connu de l’épître de Pierre
(II Pierre 3,8) et de l’Apocalypse : Après
mille ans ou l’antique serpent sera enchaîné
(Apocalypse 20,2), les 1000 ans de règne avec le Christ
de ceux qui n’avaient pas adoré la bête
(20,4), les 1000 ans de règne des prêtres de
Dieu (20,6)…
Un cas d’hexagonal doit être signalé,
bien qu’il n’apparaisse jamais en clair dans
les textes bibliques (mais seulement dans cette littérature
dite « apocryphe » ou « pseudépigraphe »
qui joue un rôle considérable dans les milieux
juifs et judéo-chrétiens, au temps des apocalypses
-entre le deuxième siècle avant notre ère
et le deuxième après). Il s’agit du
nombre 91 : multiple de 7 et de 13 ; triangulaire
de 13 (91 = T13) et hexagonal de 7 (91 = H7).
91 = מלאך (mal’akh, « ange »)
= האלהים
(ha-‘elohim, « la divinité »)
= נאם (ne’um, « oracle »)
= אמן
(‘amen, « amen »).
Un peu d’exégèse
ancienne : Le monde divin est marqué du chiffre
13 (valeur numérique de ‘eHad,
אחד = UN)
et concerne la totalité de la création,
laquelle est marquée du chiffre 6 + 1 (les « 6
jours + 1 » !). Les nombres figurés
le disent : Le triangulaire de 13 est égal à
l’hexagonal de 7. Quant au Dieu UN - auteur des oracles
- Il est le Dieu de l’Amen (Isaïe 65,16).
Terminons ce rapide survol en disant que le
nombre 91 est la valeur numérique de l’expression :
« le Seigneur Eternel » (écrit :
‘dny yhwh = 65 + 26 = 91). Ce sont là de simples
constatations, mais elles n’ont pas échappé
aux anciens auxquels ces particularités paraissaient
pleines de sens.
3
- ‘atbash
Une cryptographie inconnue de la majorité
des biblistes est celle qui consiste à remplacer la
première lettre de l’alphabet par la dernière,
la seconde par la pénultième, la troisième
par l’antépénultième etc…
C’est l’alphabet, lu à l’envers !
Ce procédé qui sera appelé « atbash »
dans la littérature exégétique traditionnelle
n’est pas inconnu des rédacteurs bibliques. C’est
le mérite de E. Dhorme (Bible de la Pléiade)
de l’avoir signalé en note
sous Jérémie 25,26 et 51,41.
… Et le roi de
Sheshakh boira après eux… Jérémie
25,26
On ne connaît aucun pays de ce nom. Mais
un scribe avisé reconnaît le nom véritable
sous la cryptographie. Certes, il faut pour cela connaître
l’hébreu et cette particularité d’une
écriture cryptée. Mais un babylonien ne peut
connaître l’atbash. En sorte qu’il ne pourrait
reconnaître dans la parole du prophète - telle
qu’elle est transmise - une malédiction de Babylone !
Par ce procédé, Sheshakh (ששך) doit être lu Babel (בבל). C’est Babylone qui est visée,
mais seul un scribe versé dans les écritures
peut le comprendre, non un ennemi.
Les valeurs numériques confirment cela,
grâce à quoi le lecteur fera un pas de plus dans
sa lecture :
sheshakh = 620 = Shin’ar
(שנער)
Et le pays de Sinéar (Shin’ar)
est le pays de Babel, ainsi nommé dans le récit
de la tour de Babel (Genèse 11,2). Babel est la ville
où la tour a été élevée.
C’est ce pays - responsable de la terrible déportation
et de l’exil qui s’en est suivi - qui est l’objet
de la vindicte du prophète, mais cela ne peut être
dit ouvertement si la Babylonie est encore dominante. D’où
le recours à une cryptographie…
4
- En guise de conclusion
Le symbolisme des nombres nous fait pénétrer
dans un monde étranger à notre culture. Pour
autant, il est nécessaire de prendre conscience de
la forme que les anciens ont voulu donner aux paroles qu’ils
transmettaient. Ils ont pour cela utilisé des particularités
graphiques, orthographiques, numériques, de la langue
qu’ils utilisaient (l’hébreu).
C’est une carence des sciences bibliques
que d’avoir négligé (voire méprisé)
ces particularités – en ignorant l’exégèse
traditionnelle, rejetée dans les ténèbres
d’un confessionnalisme superstitieux.
Erudition n’est pas connaissance.
Ni les « jeux » de mots,
ni les « jeux » d’écriture,
ni le recours à des nombres symboliques ne sont fortuits.
Ce sont des repères, des guides, des
supports de compréhension. Le symbole numérique
peut ainsi être un jalon sur la voie de la compréhension.
N’en pas tenir compte serait superficiel.
Certes, les excès sont nombreux. L’étude
des nombres a suscité bien des conclusions aberrantes.
Ce n’est pas une raison pour ignorer des particularités
inscrites dans les textes. C’est le cas des guématries.
Sur ce sujet (comme sur le symbolisme des nombres, en général),
les études savantes sont déficientes –comme
si la peur des spéculations aventureuses coupait court
à toute velléité d’examen. De fait,
les études - lorsqu’elles existent - sont partielles,
voire partiales. Vienne
le temps où - hors de toute préoccupation homilétique
et/ou soi-disant scientifique - le texte biblique sera étudié
pour lui-même, dans le respect de toutes ses particularités.
Jacques Chopineau,
Genappe le 22 septembre 2003
Notes
Le premier à l’avoir observé semble être
J. Meysing. Cf J. G. Williams, Number symbolism and
Joseph as symbol of completion, Journal of Biblical Literature 98 (1979).
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