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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

- Brève introduction

- Quelques exemples

 

   


Autres guématries

 

 


Brève introduction

Il est bien connu que, dans plusieurs langues anciennes, les lettres ont été utilisées pour noter les nombres. De ce fait, chaque mot écrit possédait son propre « poids » numérique. Ainsi, deux termes ou expressions pouvaient être considérés comme interchangeables s'ils avaient même valeur numérique (guématrie).

L'origine du mot « guématrie » a suscité bien des hypothèses. Ce n'est pas un mot d'origine hébraïque. Bien des mots grecs et même latins ont été admis dans l'hébreu post-biblique. Surtout dans la langue philosophique. Mais ce mot relativement récent désigne cependant une pratique plus ancienne.

On peut penser à « geomatrie » -laquelle, au commencement, est une mesure de la surface de la terre. C'est, en Egypte ancienne, une science sacrée grâce à laquelle des connaisseurs, par une corde à 13 nœuds, savaient déterminer des surfaces par la construction d'un triangle de mesure 3x4x5 (le triangle cosmique de Platon, mais aussi l'origine de ce qu'on appellera « triangle de Pythagore »). Mais peu importe ici l'origine du terme.

Dans tous les cas, les valeurs numériques sont liées à un système d'écriture. Ces particularités peuvent être ou ne pas être utilisées. Lorsqu'elles le sont cependant, tous les mots de la langue sont susceptibles d'être lus autrement que selon une acception lexicale courante. Un rapprochement symbolique prend alors le pas sur une signification ordinaire.

Certains s'empresseront de voir dans cet usage (souvent religieux) des spéculations aventureuses. Mais un usage fantaisiste ne dit rien contre un système possible. Il faut seulement savoir si l'écriture permet de tels « jeux » et, d'autre part, si un milieu les a utilisés.

Nous avons vu ailleurs (lire Guématries) que les scribes bibliques utilisent parfois ces valeurs lorsqu'elles leur paraissent significatives. Mais les « coïncidences » sont le bien de tous ceux qui les remarquent. Libre à eux d'en faire usage, si elles leur semblent dignes d'être utilisées. « Coïncidences » si l'on veut, mais rapprochements remarquables…

La Bible utilise assez peu ce procédé qui connaîtra de grands développements dans la tradition appelée « qabbala » (« cabale »). Il reste que la langue hébraïque (son écriture et sa numération) se prête à ces « jeux » d'écriture…

Libre à chacun de voir là une intention providentielle ou, au contraire, un usage délirant. Tout hébraïsant pourra facilement vérifier les équivalences qui suivent (pour des usages bibliques, le lecteur se rapportera, sur ce site, à l'article Guématries). Bornons-nous ici à des exemples simples et facilement vérifiables.

Quelques exemples  

Le mot pour « année » (Shana : shin + nûn + hé = 300 + 50 + 5) a une valeur numérique de 355, soit le nombre de jours de l'année lunaire. Si l'on ajoute l'article (hé = 5), nous obtenons 360, soit le nombre traditionnel des jours de l'année solaire. Des computs plus précis, anciennement, sont nombreux, mais ce chiffre de 360 est bien attesté. C'est la durée symbolique de l'année (cf Apocalypse 11,3 : 42 mois de 30 jours sont 1260 jours). Or, le nombre des jours de l'année et la valeur numérique du mot hébreu pour « année » sont identiques.

• Herayon signifie « conception ». Les lettres du mot hébreu sont : hé + resh + yod + waw + nun (= 5 + 200 + 10 + 6 + 50). Soit au total 271, ce qui est considéré, dans le Talmûd, comme le nombre des jours d'une gestation humaine.

Un exemple biblique, bien que ce ne soit ici le sujet de l'étude, mais cette équivalence n'est pas signalée ailleurs : l'expression « ville de Dieu » (Psaume 87,3) a la même valeur numérique que « L'Eternel (est) là » (Ezékiel 48,35) :

Yhwh shamma = 26 + 345 = 371, et ‘îr ha-elohim = 280 + 91 = 371

Encore un exemple biblique, donc ancien, mais connu de tout scribe avisé. La montagne du Sinaï et l'échelle de Jacob figurent une réalité spirituelle analogue.
Comment ?
Les mots pour « Sinaï » (syny = 60 + 10 + 50 + 10 = 130) a la même valeur numérique que « échelle »  : « sullam », slm = 60 + 30 + 40 = 130).

Par parenthèse, le nombre 130 (dix fois 13) nous ouvre une large fenêtre de rapprochements avec 13, nombre divin fort important et valeur numérique de UN (eHad). Or, Dieu est UN (cf Deutéronome 6,4 : yhwh eHad).

Laissons ici la Bible, mais non la langue biblique.
Le mot hébreu pour « père » (« ab » : aleph + beth = 1 + 2) a pour valeur numérique 3.
Le mot pour « mère » vaut 41 (« em » = aleph + mem = 1 + 40).
La somme des deux parents (3 + 41) est de 44.
Le mot pour « enfant » (yélèd : yod + lamed + dalet = 10 + 30 + 4) a le même nombre 44 que le total des valeurs numériques du père et de la mère.

Une expression talmudique étonne au premier regard :
«  est entré le vin ; est sorti le secret » (« nikhnas yayin we-yatsa sod »).
Le vin (« yayin » : yod + yod + nûn = 10 + 10 + 50 = 70)
et le secret (« sod » : samekh + waw + dalet = 60 + 6 + 4 = 70)
ont même valeur numérique !
Symboliquement, les deux mots sont interchangeables.

En sorte que -par exemple- le texte du Cantique des cantiques  2,4 :
«  Il m'a introduite dans la maison du vin »
pourra donc être lu comme :
«  il m'a introduite dans la maison du secret ».

Sur un plan mystique, cette lecture rappelle l'adage, bien connu, mais rarement compris : « in vino veritas ».

Ainsi, ce qui est pris parfois comme une boutade, désignerait tout autre chose. D'autant que ce secret (« sod ») désigne traditionnellement le quatrième sens du texte de l'Ecriture -celui qui ne fait pas l'objet de commentaires discursifs.

Bien d'autres exemples seraient possibles : les équivalences numériques sont nombreuses. Elles requièrent cependant une connaissance de la langue et des textes originaux que notre époque ne met pas en tête de ses préoccupations. Pourtant, le lecteur avisé (hébraïsant, bien sûr, et familier de la littérature exégétique traditionnelle) les découvrira en son temps.

Jacques Chopineau, Genappe, 20 avril 2004