-->
Bible et Liberté |
Lire la Bible - 13. L'humanité sexuée | Imprimer |
«Mâle et femelle, Il les créa»
(20). Il est impossible de penser la réalité humaine en
dehors de cette évidence fondamentale : l’humain est marqué
du chiffre deux. Les «races» n’existent pas : il n’est
qu’une seule race humaine. En termes bibliques, tous les humains
sont fils d’Adam. Par contre, il y a deux manières d’être
fils d’Adam : une manière mâle et une manière
femelle. «Adam» signifie «genre humain» : un nom
collectif pour la réalité humaine totale, mâle ou
femelle. La réalité humaine est sexuée. Tout
n’est pas sexuel, certes, mais tout est sexué. Il serait
vain d’ignorer cette réalité comme il serait vain
de la lier à des notions étrangères ici comme celle
de mal, de péché ou de culpabilité. Il est vrai que
nous ne sommes pas sortis de ce dernier amalgame. Mais si la réalité
humaine est marquée du chiffre deux, cela ne s’applique pas
seulement à la division sexuelle. D’abord parce que si le
mâle domine en l’homme, cela ne signifie pas qu’il n’y
ait rien en lui de femelle. Naturellement, l’inverse pour la femme
est vrai aussi. Et non seulement cela, mais Caïn et Abel sont vivants
en chacun de nous. Et tout ce que l’homme-Adam fait, pense, entreprend…
est marqué par cette dualité fondamentale (bien-mal, noir-blanc,
juste-injuste, oui-non, vraix-faux, etc.). Et la suite du texte de la Genèse m’apprend
encore autre chose : il y a deux manières d’être «fils
d’Adam». L’une s’appelle «Caïn»,
l’autre s’appelle «Abel». Depuis les origines,
l’un tue l’autre et, jusqu’à nos jours, Caïn
n’en finit pas de tuer Abel. Aussi longtemps qu’il y aura
des fils d’Adam, les fils de Caïn tueront les fils d’Abel.
Les frères ennemis ne se réconcilieront jamais. L’un
d’ailleurs n’est pas plus le bien que l’autre n’est
le mal. Simplement, la fin du chapitre 4 m’apprend que le frère
tué sera remplacé par une nouvelle descendance : «Adam
connut encore sa femme qui eut un fils auquel elle donna le nom de Seth,
car, dit-elle, Dieu m’a accordé une postérité
pour remplacer Abel que Caïn a tué» (21). Et lisant la suite du texte avec attention, j’apprends que
seule la descendance de Seth (Noé et les siens), contre toute attente,
traversera le déluge ! Quelle que soit l’origine de ces textes, il est impossible
que cette mise en forme des textes soit fortuite: les scribes qui ont
transmis ces textes dans cet ordre-là portent un jugement sur la
réalité. Faire l’histoire de la formation du texte
ne répond pas à la question : ce texte-là, dans cette
forme-là, a-t-il aujourd’hui quelque chose à m’enseigner
? Est-il possible de faire abstraction de la forme actuelle du texte ? Prenant le texte dans sa forme actuelle, je suis armé
pour m’opposer à tous les racismes comme à toutes
les exclusions fondées sur le sexe. Mais dans le même temps,
je me prends à douter de tous ces discours, sans doute généreux,
qui parlent d’une réconciliation entre Caïn et Abel.
La guerre (armée ou non) fait partie de la réalité
de ce monde. Les conflits sont inscrits dans la réalité
humaine, tout autant que la division de l’humanité dans les
deux sexes qui la constituent. Certes, ma lecture ne sera jamais la seule lecture possible
: d’autres liront autrement la réponse à leur question.
D’autres étayeront autrement leur lecture de leur réalité.
Le problème n’est pas d’arriver à un illusoire
consensus (dogmatique, politique, philosophique, exégétique),
mais d’éclairer ma propre vision: voir et donner à
voir. Dans tous les cas, les études préliminaires indispensables ne constitueront jamais ma lecture. Pas plus que la saveur d’un plat ne peut être indiquée en termes de protéines, glucides, lipides! La comparaison n’est pas fortuite: le sens d’un texte se trouve exactement dans la saveur que ma lecture y découvre. Jacques Chopineau, Lire la Bible, Ed. de l'Alliance, Lillois, 1993, p.32-36 (20) Genèse 1/27 |