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Lire la Bible - 11. La diversité des textes Imprimer


Jacques Chopineau

On sait que toutes les pages du Nouveau Testament contiennent allusions, réminiscences ou citations de ce que nous appelons l’Ancien Testament. Et de même qu’on ne construit pas une maison en commençant par le deuxième étage, de même, on ne peut comprendre le Nouveau Testament sans lire et relire ce qui en fait le fondement, la base, la référence permanente : les Écritures!

De quel genre de texte s’agit-il ?
Il est plusieurs sortes de textes: informatif, juridique, pédagogique, poétique, sacré, etc. Autant de statuts différents de textes, autant de genres de lectures.

Une lecture ne peut jamais avoir lieu sans référence au statut du texte, pour un lecteur donné. Certes, le même texte peut avoir des statuts différents selon les lecteurs. Tel texte peut être poétique pour les uns et sacré pour les autres. Homère ou Dante ont été lus de manières différentes au cours de l’histoire, et parfois comme des textes religieux. Inversement, l’étonnante création littéraire qu’est le Coran n’est texte religieux que pour les croyants musulmans. La Bible, de même, n’est qu’un corpus documentaire pour tel spécialiste de l’ancien Moyen-Orient.

Dès lors, va-t-on pouvoir dire «scientifiquement» comment le texte «produit du sens» : peut-on attendre d’un non-musulman qu’il dise à des musulmans comment le Coran produit du sens ? Ou qu’un non-chrétien enseigne aux chrétiens comment un texte de la Bible produit du sens ? Cela ne pourrait se faire qu’en restant à la surface du texte et par un exercice de réflexion, en faisant abstraction du lecteur. De même, la lumière est réfléchie par une surface sans pénétrer à l’intérieur de ce qu’elle éclaire.

Et qu’est-ce-que le sens d’un texte ?
On pourrait penser, par une première approche, que le sens est le sens «historique» ou le sens «obvie» (12), le sens littéral en quelque sorte: le sens premier, le sens simple. Sans doute est-ce vrai pour un texte simplement informatif.
Un énoncé scientifique est idéalement de cette sorte : le langage mathématique permet d’ailleurs une précision qui transcende les situations subjectives. Mais cet avantage immense ne va pas sans inconvénients. La précision atteinte est inversement proportionnelle à la quantité d’information transmise. Le langage le plus précis est aussi celui qui transmet le moins d’information à la fois.

Dans le langage juridique, l’univocité (13) de l’énoncé est, en principe, visée sinon atteinte. Jamais atteinte absolument puisqu’il faut toujours à nouveau interpréter l’intention du législateur. D’ailleurs, les lois changent selon les temps et les lieux. Et l’interprétation des textes, de même, change selon les états de la société. Il reste qu’en principe un texte a un seul sens. Un sens qu’il convient cependant de déterminer en fonction d’un cas particulier.

On voudrait parfois que la Bible soit lue comme s’il s’agissait d’un texte juridique: une loi générale dont il faudrait éventuellement extraire le sens particulier dans une situation historique donnée. Les institutions ont toujours eu une tendance légaliste!

Et que dire du langage poétique ?
Cette fois, l’univocité n’est pas visée, mais seulement l’effet, la sensation… La forme est le réceptacle de la saveur. Et comment démonter sans changer la forme? Valéry s’insurgeait contre les explications de textes poétiques qui visaient à dire ce que le poète avait voulu dire: si le poète avait voulu dire cela, il l’aurait dit! «Il n’y a pas de vrai sens des textes» (14).
Et si la Bible est poétique, la «forme» n’est pas séparable du «fond». La forme de l’énoncé n’est pas distinct de son «contenu». Comme dans tout ce qui est littérature, la forme est un élément essentiel de l’énoncé lui-même. La forme est porteuse de signification. Mais les sensibilités aux formes peuvent différer beaucoup d’un lecteur à l’autre.

Ou bien la Bible est-elle un simple répertoire de «contenus» comme semble le supposer une certaine théorie dite de «l’équivalence dynamique»? Dans ce cas, la Bible pourrait être traduite en faisant abstraction des formes dans lesquelles elle est transmise. C’est alors qu’une traduction pourrait être considérée comme source et fondement d’enseignements doctrinaux, lesquels à leur tour pourraient être traduits…

Mais si la Bible n’est pas un livre scientifique, ni juridique : quel est donc le statut de cette bibliothèque pour ceux qui s’y réfèrent ? Nous parlons à présent de la Bible en tant que texte lu par des croyants : un texte qui a le statut de «parole de Dieu»… en langage humain. Ce qui commande la lecture de la Bible est évidemment le statut de la Bible pour le lecteur.

Jacques Chopineau, Lire la Bible, Ed. de l'Alliance, Lillois, 1993, p.26-28

(12) Obvie : évident, qui se présente tout naturellement à l'esprit. ndlr.
(13) Est univoque ce qui n'a qu'un seul sens. ndlr.
(14) Paul Valéry, Variétés. Au sujet du cimetière marin