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Lire la Bible - 10. Un texte démontable ? Imprimer


Jacques Chopineau

Osons un paradoxe apparent : le sens du texte n’est pas dans le texte. Comme dans la fable du trésor caché dans le champ, il n’y a pas de «trésor» dans le champ. Mais il n’y a pas non plus de trésor en dehors du champ. Où donc est le trésor ? Il est dans le travail accompli pour retourner le champ et l’ensemencer. C’est alors que le champ se met à produire!

Le sens du texte n’est pas dans le texte, mais dans la lecture du texte. Or, il ne saurait y avoir de lecture sans lecteur. Cela nous avertit d’emblée contre toutes les «méthodes» qui se donneraient pour tâche de tirer du texte un sens «objectif» ou encore (langage plus moderne) de «démonter le texte pour voir comment il fonctionne». Un texte ne «fonctionne» pas : la lecture le fait fonctionner. Il ne produit pas de sens, mais la lecture, seule, du texte «produit du sens». Et sans lecteur : y aurait-il encore une lecture ?

À quoi la chose est-elle semblable ?
C’est l’histoire de l’escalier qui produisait de l’élévation. On s’avisa de démonter l’escalier pour voir comment il fonctionnait et, du coup, il n’y avait plus d’escalier! En réalité, l’escalier ne produit rien. Simplement, par lui, je puis monter ou descendre. Et je ne vais surtout pas le démonter pour voir comment il fonctionne! Car, comment lire un texte démonté ? De fait, si je démonte le texte, je ne pourrai «lire» que mon démontage, c’est à dire, en fin de compte, que ce que j’ai dans l’esprit. Mais celui dont l’esprit est organisé autrement lira tout autre chose! Il est dès lors arbitraire de penser, d’une manière ou d’une autre, pouvoir extraire le sens du texte indépendamment de la lecture qui en est faite.

Par contre, nous y reviendrons, le lecteur est «situé» historiquement, culturellement, religieusement. C’est cette «situation» qui est le contexte de la lecture. Et la lecture de la Bible comme Bible n’est pas simplement l’étude d’un corpus documentaire. L’étude dépend évidemment de la connaissance des derniers travaux sur le texte, mais ce n’est pas la Bible «Parole de Dieu» qui est l’objet d’enquêtes philologiques.

On dit souvent que la lecture de la Bible nourrit la foi du lecteur. Bien sûr, mais il est vrai aussi que c’est que cette foi qui nourrit la lecture: à chaque «foi» correspond un certain type de lecture. Dis-moi quelle est ta foi, je te dirai quelle est ta lecture, savante ou non. Plutôt que le contraire.

Afin de restituer au lecteur sa lecture, le premier pas est de reconnaître au lecteur la part de son propre travail sur le texte biblique : avec ses propres connaissances, ses propres interrogations, ses propres limites. Pour l’essentiel, presque rien de son propre travail ne peut être remplacé par le travail d’un autre. De même que celui qui doit travailler son propre champ ne peut se prévaloir du travail accompli, même avec des moyens impressionnants, dans le champ voisin.

Ainsi, les études peuvent informer, éclairer, enrichir ma lecture, mais rien ne pourra jamais la remplacer finalement.

Jacques Chopineau, Lire la Bible, Ed. de l'Alliance, Lillois, 1993, p.24-25