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Bible et Liberté |
Lire la Bible - 6. la grande ceinture | Imprimer |
On a souvent confondu l’étude des textes avec
la lecture des textes. Lire un texte ne peut être réduit
à la connaissance de l’histoire de la formation du texte.
Pas plus qu’une histoire ne se réduit à l’histoire
du milieu de son auteur, ni à l’histoire des mots qui la
composent, ni à l’histoire des influences réelles
ou supposées qui sont à l’origine du genre littéraire.
Toutes ces données peuvent évidemment être intéressantes,
c’est pourquoi elles méritent d’être étudiées,
surtout si ce que l’on recherche est une information sur l’époque
et sur le milieu dont le texte témoigne. Les études philologiques (2) sont filles de l’histoire.
Les études bibliques connaissent aujourd’hui une hypertrophie
de l’histoire : elles sont malades de l’histoire. Comme
si la vérité d’un texte était son histoire.
Nous verrons plus loin quelques exemples des excès d’une
érudition philologique déviée : excès
dont nous ne sommes pas tout à fait sortis. D’autant que
les commentaires sont mis en oeuvre par des auteurs formés par
la culture scolaire et universitaire. Cette forme de culture qui a engendré aussi cette
«explication de textes» que, déjà au début
du siècle, Charles Péguy appelait : «la méthode
de la grande ceinture». Il s’en prenait (avec son lyrisme
parfois injuste, toujours superbe) aux méthodes régnantes
dans le domaine des études littéraires : «Chercher
des renseignements sur un monument, sur une oeuvre, sur un texte, pour
un texte, pour l’intelligence d’un texte partout ailleurs
que dans le texte même (et ce sont les mêmes qui font semblant
d’avoir inventé de recourir au texte, d’aller au texte),
(vous savez, les célèbres sources), chercher des lumières
sur un texte, pour l’intelligence d’un texte, partout, pourvu,
à cette condition que ce ne soit pas dans le texte même».
(3) Péguy voulait dénoncer une certaine manière
d’étudier les textes en ne parlant, savamment, que de ce
qui est autour du texte (histoire, anthropologie, milieu social). Il
se
réfère ici non aux études bibliques, mais aux études
littéraires en général. «Aujourd’hui,
qui oserait commencer La Fontaine autrement que par une leçon
générale
d’anthropo-géographie ?» (5) On pense à Roland Barthe, Le degré zéro
de l’écriture, qui, quelques
décennies plus tard, raillait ceux qui parlaient de Balzac en commençant
par la couleur de l’habit du futur maître lorsqu’il
était sur les genoux de sa nourrice : «puis il écrivit
la Comédie Humaine!». Il reste que les remarques qui précèdent pourraient
souvent être appliquées aux études bibliques modernes.
Tout comme les études littéraires en général,
les études bibliques ont été durablement marquées
par des conceptions de l’histoire qui furent celles du siècle
passé. Car lire un texte n’est pas la même chose qu’étudier
un texte. Nous savons beaucoup de choses autour du texte (l’histoire
de la langue, les langues anciennes, la grammaire comparée, l’archéologie,
l’épigraphie, l’histoire politique, sociale, culturelle
du milieu ambiant, etc.), mais sommes-nous capables d’entendre les
paroles du texte lui-même ? On peut comprendre ce que, récemment, un amoureux
de la Bible dont l’œuvre (contestée) est immense, écrivait
au sujet des commentaires bibliques qu’il lisait : «...Et
ce qui m’a le plus surpris, c’est l’extraordinaire science
qu’ils ont en hébreu (...), des langues anciennes, de la
culture égyptienne, babylonienne; leur érudition, l’ampleur
de leur bibliographie, et puis la maigreur de leur pensée, l’inconsistance
de leur réflexion, le vide de leur théologie, pour tout
dire l’incompréhension totale du texte répondant à
une absence totale d’intérêt et de recherche dans ces
domaines». (6) Le constat paraîtra sévère à
tous ceux qui travaillent sur le texte, son origine, son milieu de production,
sa transmission, son interprétation, etc. Mais il ne s’agit
pas d’un jugement superficiel. Cette sévérité
est à la mesure d’une déception ressentie au terme
d’une longue pratique des commentaires bibliques. Il reste à comprendre comment un tel jugement a été rendu possible. La racine du malentendu qui sépare souvent les spécialistes d’une part et les amants de la Bible d’autre part provient peut-être d’une estimation radicalement différente de ce qu’est l’histoire. D’ailleurs : l’histoire biblique est-elle de l’histoire au sens moderne ? Jacques Chopineau, Lire la Bible, Ed. de l'Alliance, Lillois, 1993, p.13-15 (2) Philologie : étude d'une langue par l'analyse
critique. Ndlr. |