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 Bible et liberté



    Jacques Chopineau

 

 

- Un texte étrange

- Une guerre qui ne prendra jamais fin

 

   

 


Amaleq

 

 

Un texte étrange

Voici le récit d’une bataille. Ce texte bref est bien délimité (Exode 17,8-16) en ce qu’il se situe entre deux récits différents. Le récit précédent est d’ailleurs extrêmement important (l’eau du rocher…), mais c’est un nouveau récit qui commence en Exode 17,8. Notons cependant que la bataille se déroulera dans le même lieu (refidim, 17,1). Là où le peuple souffre de la soif, c’est là qu’il se battra.

D’autre part, conformément au style biblique, le texte comporte son attaque (17,8) et sa finale (17,16). Il rapporte une bataille restée fameuse : le peuple sorti d’Egypte sous la conduite de Moïse affronte les amalécites qui veulent s’opposer au passage des hébreux. Pour un peuple en marche vers sa liberté, une défaite eût été la fin d’un grand rêve.

Au premier regard, il s’agit d’une péripétie : une bataille comme il y en eut beaucoup d’autres. Mais une lecture plus attentive invite à poser la question : pourquoi ce récit nous a-t-il été transmis ? Qu’en est-il en réalité ?

Il serait faux de s’en tenir à l’anecdote. La bataille est, certes, importante, mais elle a surtout une valeur permanente et, à ce titre, elle est symbolique. C’est aujourd’hui qu’elle se produit. Elle ne prendra jamais fin.

Relevons d’abord que, comme dans beaucoup de récits bibliques, la forme est un élément essentiel de l’énoncé. En cela, la Bible est littérature. Cela disqualifie toute « équivalence dynamique » pour laquelle on pourrait traduire un texte littéraire en changeant ou en adaptant la forme du texte.

Par un procédé courant dans les écrits bibliques, les protagonistes sont désignés de façon harmonique. Ici, les noms des protagonistes sont mentionnés chacun sept fois :

Moïse : vv. 9.10.10.11.12.14.15.
Amaleq : vv. 8.9.10.11.13.14.16

Ce procédé est bien attesté ailleurs (voir, sur ce site : « les nombres dans la Bible »). Il importe de comprendre que l’intention des rédacteurs ne se limite pas au rappel d’un événement historique.

Les protagonistes ne sont pas ceux qui conduisent la bataille (Amaleq et Josué), mais Moïse d’une part, et Amaleq de l’autre. L’un prie, l’autre combat. Il ne s’agit donc pas d’une bataille habituelle où le texte mentionne les deux chefs opposés qui conduisent la bataille. Il s’agit ici d’autre chose.

Une guerre qui ne prendra jamais fin

L’histoire humaine est pleine de batailles. Mais gagner la guerre ne signifie pas gagner la paix. Il arrive que le vainqueur sur le terrain soit finalement, le perdant. De puissantes civilisations ont disparu, mais le petit Israël a traversé les siècles. Qui l’eût dit, au temps du grand empire régnant ? (Assyrie, Babylone, empire perse, empire hellénistique etc…). Archéologie et épigraphie nous renseignent sur des mondes disparus, mais seule la vie fragile –contre toute attente- traverse les siècles. Pourvu, du moins, qu’un rêve la porte.

La fragilité d’un actuel état d’Israël serait justement de croire que seule la force est la condition de sa survie. Bien des empires ont cru cela : ils ont disparu. Mais notre propos ici n’est pas de l’ordre de l’actualité, mais de la signification. Au delà même de toute interprétation théologique, juive ou chrétienne.

Finalement : où est la puissance véritable ? C’est la question posée. Et ce n’est pas pour rien que ce texte fait suite au récit de l’eau qui jaillit du rocher, dans le désert. C’est de vie qu’il s’agit : on peut mourir de soif, comme on peut mourir dans une bataille. Et dans la mort, le chemin s’arrête.

L’eau (dans la soif) ou la victoire (dans la bataille) ont pour fonction de rendre à nouveau possible la marche en avant. C’est pourquoi « le rocher les suivait » (I Corinthiens 10,4). Evidemment qu’il les suivait ! Sinon le peuple en marche aurait dû faire demi-tour, tous les jours, afin de se désaltérer.

Là encore, la moderne littéralité ne nous apprend rien, mais les anciens ont bien perçu le symbole. Pas de chemin sans eau ; ni sans bataille. L’essentiel est le chemin. Et ce qui caractérise le chemin, c’est son but.

C’est pourquoi Moïse qui frappa le rocher, est aussi celui qui conduit cette bataille, à laquelle, pourtant, il ne participe pas autrement que par une longue prière (Exode 17,11sq). Le chef véritable n’est pas celui qui mène la guerre, mais celui qui indique le chemin de la paix.

Cette guerre, cependant, ne finira jamais : aussi longtemps qu’il y aura des hommes. Contre la domination des injustes et des violents. La guerre contre Amaleq est éternelle, quel que soit le nom de cet Amaleq. Et nombreux, dans l’histoire, furent ceux qui voulurent imposer leur propre chemin.

Jacques Chopineau, Genappe le 24 setembre 2007