Un texte étrange
Voici le récit d’une bataille.
Ce texte bref est bien délimité (Exode 17,8-16)
en ce qu’il
se situe entre deux récits différents. Le récit
précédent est d’ailleurs extrêmement
important (l’eau du rocher…), mais c’est
un nouveau récit qui commence en Exode 17,8. Notons
cependant que la bataille se déroulera dans le même
lieu (refidim, 17,1). Là où le peuple souffre
de la soif, c’est là qu’il se battra.
D’autre part, conformément au
style biblique, le texte comporte son attaque (17,8) et sa
finale (17,16).
Il rapporte une bataille restée fameuse : le peuple
sorti d’Egypte sous la conduite de Moïse affronte
les amalécites qui veulent s’opposer au passage
des hébreux. Pour un peuple en marche vers sa liberté,
une défaite eût été la fin d’un
grand rêve.
Au premier regard, il s’agit d’une
péripétie
: une bataille comme il y en eut beaucoup d’autres.
Mais une lecture plus attentive invite à poser la
question : pourquoi ce récit nous a-t-il été transmis
? Qu’en est-il en réalité ?
Il serait faux
de s’en tenir à l’anecdote.
La bataille est, certes, importante, mais elle a surtout
une valeur permanente et, à ce titre, elle est symbolique.
C’est aujourd’hui qu’elle se produit. Elle
ne prendra jamais fin.
Relevons d’abord que, comme
dans beaucoup de récits
bibliques, la forme est un élément essentiel
de l’énoncé. En cela, la Bible est littérature.
Cela disqualifie toute « équivalence dynamique » pour
laquelle on pourrait traduire un texte littéraire
en changeant ou en adaptant la forme du texte.
Par un procédé courant
dans les écrits
bibliques, les protagonistes sont désignés
de façon harmonique. Ici, les noms des protagonistes
sont mentionnés chacun sept fois : Moïse
: vv. 9.10.10.11.12.14.15.
Amaleq : vv. 8.9.10.11.13.14.16
Ce procédé est
bien attesté ailleurs
(voir, sur ce site : « les nombres dans la Bible »).
Il importe de comprendre que l’intention des rédacteurs
ne se limite pas au rappel d’un événement
historique.
Les protagonistes ne sont pas ceux qui conduisent
la bataille (Amaleq et Josué), mais Moïse d’une
part, et Amaleq de l’autre. L’un prie, l’autre
combat. Il ne s’agit donc pas d’une bataille
habituelle où le texte mentionne les deux chefs opposés
qui conduisent la bataille. Il s’agit ici d’autre
chose.
Une guerre qui ne prendra jamais fin
L’histoire
humaine est pleine de batailles. Mais gagner la guerre ne
signifie pas gagner la paix. Il arrive que le
vainqueur sur le terrain soit finalement, le perdant. De
puissantes civilisations ont disparu, mais le petit Israël
a traversé les siècles. Qui l’eût
dit, au temps du grand empire régnant ? (Assyrie,
Babylone, empire perse, empire hellénistique etc…).
Archéologie et épigraphie nous renseignent
sur des mondes disparus, mais seule la vie fragile –contre
toute attente- traverse les siècles. Pourvu, du moins,
qu’un rêve la porte.
La fragilité d’un
actuel état d’Israël
serait justement de croire que seule la force est la condition
de sa survie. Bien des empires ont cru cela : ils ont disparu.
Mais notre propos ici n’est pas de l’ordre de
l’actualité, mais de la signification. Au delà même
de toute interprétation théologique, juive
ou chrétienne.
Finalement : où est la puissance
véritable
? C’est la question posée. Et ce n’est
pas pour rien que ce texte fait suite au récit de
l’eau qui jaillit du rocher, dans le désert.
C’est de vie qu’il s’agit : on peut mourir
de soif, comme on peut mourir dans une bataille. Et dans
la mort, le chemin s’arrête.
L’eau (dans
la soif) ou la victoire (dans la bataille) ont pour fonction
de rendre à nouveau possible la
marche en avant. C’est pourquoi « le rocher les
suivait » (I Corinthiens 10,4). Evidemment qu’il
les suivait ! Sinon le peuple en marche aurait dû faire
demi-tour, tous les jours, afin de se désaltérer.
Là encore, la moderne littéralité ne
nous apprend rien, mais les anciens ont bien perçu
le symbole. Pas de chemin sans eau ; ni sans bataille. L’essentiel
est le chemin. Et ce qui caractérise le chemin, c’est
son but. C’est pourquoi Moïse qui frappa
le rocher, est aussi celui qui conduit cette bataille, à laquelle,
pourtant, il ne participe pas autrement que par une longue
prière (Exode 17,11sq). Le chef véritable n’est
pas celui qui mène la guerre, mais celui qui indique
le chemin de la paix.
Cette guerre, cependant, ne finira
jamais : aussi longtemps qu’il y aura des hommes. Contre
la domination des injustes et des violents. La guerre contre
Amaleq est éternelle,
quel que soit le nom de cet Amaleq. Et nombreux, dans l’histoire,
furent ceux qui voulurent imposer leur propre chemin.
Jacques
Chopineau, Genappe le 24 setembre 2007
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