Un psaume acrostiche
Les 150 psaumes (en cinq livres) sont de divers
genres littéraires
: louanges, lamentations, plaintes (individuelles ou collectives),
hymnes……. Les dates de composition sont d’ailleurs
aussi diverses que les formes.
D’autre part, de nombreux
textes, dont la source est ancienne, ont été revus
et modifiés à une époque
tardive et se font écho de préoccupations et
d’affirmations relatives à une nouvelle époque
historique.
D’autres psaumes, comme le psaume 111,
sont dits « de
sagesse ». Cette appellation habituelle devrait être
précisée. C’est d’enseignement
qu’il s’agit. Un enseignement traditionnel, considéré comme
fondamental. En ce domaine, il importe d’offrir à chacun
un enseignement adapté à son âge, à son
milieu, à sa sagesse expérimentale particulière.
Parmi ces textes, destinés à être
connus par cœur, un point d’appui pour la mémoire
est parfois constitué par l’alphabet. De là,
cette forme acrostiche, utilisée ailleurs (Psaumes
112, 119 et autres… ). Chaque vers, ou hémistiche,
ou strophe, devra commencer par une lettre de l’alphabet,
dans un ordre fixe, connu dès l’enfance.
Un
fidèle dont la mémoire est, depuis longtemps,
entraînée, pourra savoir par cœur un texte
long où chaque strophe commence par une lettre de
l’alphabet (ainsi l’immense Psaume 119).
Dans
le psaume 111, par contre, chaque hémistiche
commence par une lettre de l’alphabet. De sorte que
la mémorisation est facile. Il suffit de savoir l’alphabet
pour que les mots et les versets se suivent, grâce à ce
point d’appui. Le texte s’incruste dans la mémoire
du fidèle, ce qui n’étonnera que des
modernes peu habitués à utiliser les ressources
fantastiques de la mémoire.
Cette destination vers
un enseignement fondamental pour un public jeune est souvent
méconnue par les modernes études
savantes. Il est vrai que, dans la suite des temps, cette
destination première aura moins d’importance.
Le texte, en effet, sera lu comme un enseignement fondamental
pour tous, du fait de son inclusion dans le grand répertoire
des textes sacrés.
Ainsi, le grand commentateur Rachi
citera un verset de ce psaume 111, pour justifier par l’Ecriture,
la conquête
du pays de Canaan par les hébreux sortant d’Egypte.
Pourquoi la Bible commence-t-elle par le récit de
la création ? C’est que la terre appartient à Dieu
: Il la donne à qui Il veut !
«
Pour leur donner l’héritage des nations »Psaume
111,6
Par parenthèse, il est intéressant
de noter qu’à l’époque
de Rachi (champenois du 11ème siècle), se posait déjà la
question des terres conquises jadis.
Ne voir là, cependant, aucun argument
en faveur de l’actuelle politique
de l’état d’Israël. Le commentateur invoquait le récit
biblique de la création du monde et non la force des armes. Les temps
changent….
Louanges
On sait que les « psaumes » (mot
gréco-latin) sont, en hébreu,
des «
louanges » (tehillim). Et ainsi commence le psaume 111 : « je
louerai » (ce qui commence par la première lettre de l’alphabet
: aleph).
C’est la même racine (hll) qui
est celle du mot « halleluya ».
Ce dernier mot –bien connu des chrétiens- est l’impératif
pluriel du verbe « louer » en hébreu, auquel est ajoutée
l’abréviation du nom divin (Yah).
Ce même mot, d’ailleurs,
figure en tête des psaumes 111 et
112. « Halleluya » signifie exactement : « louez Dieu ».
Voilà bien un verbe dont le sens est étranger aux modernes
! Dans les siècles précédents, on a loué le
Panthéon,
l’empereur, le roi… De nos jours, on louera le pouvoir inspiré,
le grand chef charismatique….. voire la réussite matérielle.
Mais « louer Dieu » a un sens différent.
La louange n’est
jamais dirigée vers le passager, le mortel, le provisoire. Quelle
que soit sa grandeur actuelle, toute domination est destinée à passer.
Les empires sont mortels. Les civilisations passent. Les puissances n’ont
qu’un temps.
Concrètement, on peut bien se réjouir
de la réussite de
tel ou tel plan, de telle entreprise, de telle « juste » domination… Tout
cela est, d’ailleurs, une manière de se louer soi-même.
Mais la louange biblique n’est dirigée que vers l’immortel.
En cela, elle est largement étrangère à nos ambitions.
Le monde a un sens. Son organisation provisoire
n’en a pas. Comme
le disait un sage : il y a un but, mais pas de chemin. Ou bien :
son chemin n’est
pas visible, ou ne l’est que le temps d’un éclair
!
Bref
commentaire
Les commentaires sont nombreux. Il n’est
sans doute pas utile d’en
ajouter un. Sauf cependant pour attirer l’attention sur
la finale : les trois derniers hémistiches (rèch,
sin, taw) :
Crainte de Dieu : commencement de la sagesse
Bon sens de tous ceux qui s’en inspirent
Sa louange dure à jamais
Aussi peu « actuelle » que
la louange, la crainte de Dieu est étrangère à nos
conceptions. Cependant, dans le langage biblique, les deux vont
ensemble. Notons que le grand « hymne à la sagesse » (Job
28) termine par cet éloge
de la crainte de Dieu.
Il est, pour nous, habituel de craindre
la guerre, la souffrance, la pauvreté,
les contraintes des puissants… bref, les craintes sont
nombreuses, mais la crainte de Dieu signifie tout autre chose.
Rappelons qu’il ne s’agit pas de
peur, mais de crainte révérentielle.
C’est pourquoi les croyants étaient désignés
sous le titre de « craignants Dieu ». Et cette « crainte » a
pu les conduire à ne pas craindre le roi ou l’empereur.
Loin de tous les dogmatismes et intégrismes,
cette religion n’écarte
personne. Et la « crainte » est le commencement
de ce long chemin dont la fin s’appelle « sagesse ».
Pas de sagesse sans crainte ; pas d’avancée
sans louange. C’est ce que rappelle la finale
de ce psaume : « Sa louange » (tehillato) dure à jamais »,
prolongeant l’halléluya du titre.
Dans ces textes
anciens, c’est là un lien fondamental qu’il
est impossible de ne pas percevoir. Nous pouvons, certes,
changer de vocabulaire. Surtout si ce vocabulaire nous semble
trop lié à une conception
religieuse qui nous est étrangère –voire
adverse. L’histoire
ne peut être refaite.
Mais notre réalité humaine
n’est pas bornée
au seul vocabulaire, ni aux événements de notre
passé. Le corps
n’est pas le vêtement. Et si le vêtement
gêne
: ôtons-le.
Que l’essentiel, cependant, soit préservé,
en tous temps. Jacques Chopineau, Genappe,
le 21 août 2007 |