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 Bible et liberté



    Jacques Chopineau

 

- Création poétique

- Le passage

- Le changement de nom

 

 

 

Note

Rappelons que le texte biblique du livre de la Genèse est traditionnellement divisé en 12 « sections » et non en 5O Chapitres. Le texte que nous lisons est le début d’une telle
« section » (paracha) –laquelle est une unité de récitation et, comme telle, comporte son
« attaque » et sa
« finale ». Naturellement, ce découpage littéraire ancien concerne le texte dans son état terminal –c'est-à-dire celui que nous lisons. Les études modernes ignorent habituellement ces divisions traditionnelles. Il importe cependant de distinguer clairement étude et lecture !

 

 

   

 


Jacob et le passage

 

 

Création poétique

Il est, sanx doute, difficile de parler de la beauté d’un texte. Pourtant, il arrive que le sens soit dépendant de la beauté formelle. Il est d’ailleurs impossible de séparer le contenant et le contenu, l’expression donnée dans l’écriture et l’impression produite sur le lecteur…

Dans ce récit de Genèse 32, comme souvent dans un récit biblique, des
« jeux » de sons (des paronomases) étonnent les lecteurs ou auditeurs, tout en suggérant l’intention des rédacteurs.

Il arrive que telle traduction mentionne (en notes) les rapprochements (les assonances) mises en œuvre. Ainsi la Nouvelle Bible Segond (NBS) en ses notes (cf Genèse 32,3.21.22.25).

Naturellement, c’est dans la lettre du texte (dans l’original hébraïque) que le lecteur est invité à entendre la signification profonde de l’anecdote rapportée. Autrement dit, le sens du texte n’est pas simplement dans le texte (le récit, l’anecdote), mais dans ce que le lecteur entend. Et ce qu’il entend est ce que le rédacteur a voulu y mettre.

Les recherches sur les « sources » relèvent d’un travail différent. Une vaste érudition ne peut remplacer la simple écoute. Et l’histoire du texte (ou de la formation du texte) n’est pas identique à la lecture du texte.

Quand aux arguments qui prétendaient montrer « comment le texte produit du sens », ils relevaient d’un savant jeu de salon… lequel n’est plus guère à la mode aujourd’hui, mais qui a jadis fait des ravages !

Il ne s’agit ici que de suggérer que le texte est le résultat d’une extraordinaire création littéraire. La forme seule est porteuse de sens. Et c’est justement la forme que toutes les traductions mettent à mal. De même, un poème traduit est autre chose que l’original. La présente traduction tente se serrer la forme du texte –quitte à malmener, parfois, la langue française :

Genèse 32,4-5…

« Jacob envoya, au devant de lui, des messagers à Esaü, son frère, à Séir, au pays d’Edom. Il leur donna cet ordre : Voici ce que vous direz à mon seigneur Esaü : Ainsi parle Jacob, son serviteur : j’ai séjourné en immigré chez Laban et je m’y suis attardé jusqu’à présent ; j’ai des bœufs, des ânes, des serviteurs et des servantes… »

Jacob a des raisons de craindre une attaque de la part d’Esaü qui, avec ses 400 hommes de main, a l’habitude d’attaquer les voyageurs. Il lui envoie donc un présent pour se le rendre favorable :

« …car il se disait : que je recouvre sa face (= je l’apaiserai) par l’offrande qui va devant ma face ; peut-être il redressera ma face ; ensuite je verrai sa face ; peut-être il redressera ma face ? Et l’offrande (minHa) passa devant sa face, et lui il passa cette nuit-là dans le camp (maHanè) ».

Tous les emplois possibles du mot « face » sont utilisés ici. Et en ce lieu, Jacob verra Dieu « face à face » (cf v. 31). C’est ensuite seulement que la rencontre avec un autre « messager » se produit :

« Il se leva, cette nuit-là, prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze enfants, et passa le gué du Yabboq. Il les prit, leur fit passer l’oued et fit passer ce qui lui appartenait. Jacob resta seul et un homme lutta contre lui, jusqu’au lever de l’aurore. Voyant qu’il ne pouvait l’emporter sur lui, il le frappa au creux de la hanche, et le creux de la hanche de Jacob fut démis dans son combat avec lui. Il dit : laisse-moi partir, car le jour se lève. Il dit : je ne te laisserai pas partir, sauf si tu me bénis. Il lui dit : Quel est ton nom ? Il dit : Jacob. Il dit : On ne te nommera plus Jacob mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu l’a emporté. Jacob demanda et dit : de grâce, dévoile-moi ton nom. Il dit : pourquoi donc demandes-tu mon nom ? Et il le bénit là. Jacob appela ce lieu du nom de Peniel (« face de Dieu »), car, dit-il, j’ai vu Dieu face à face (panim el panim) et ma vie a été sauve. Le soleil se levait lorsqu’il passait Penouel. Jacob boitait à cause de sa hanche. C’est pourquoi, jusqu’à ce jour, les fils d’Israël ne mangent pas le nerf qui est au creux de la hanche, car il avait atteint Jacob au creux de la hanche, au nerf ».

Le passage  

Ce texte de Genèse 32 esr marqué par des répétitions significatives (des échos de signifiance) dont les termes sont les suivants : nous lisons huit fois la racine ‘BR (passer) –dont 4 dans les versets 24-26. D’autre part, le nom du lieu (Yabboq, verset 23) et la mention de la lutte (versets 25 et 26) se font écho. Le nom du lieu fait allusion à la lutte elle-même. Comment cette relation est-elle possible ?

De fait, les répétitions de la racine ‘BR (versets 11.17.22.23.23.24.24.32) rapportent un double passage : le passage du gué du Yabboq et le passage du nom de Jacob à celui d’Israël. Le passage d’un lieu à un autre et le passage d’un état à un autre. Et ces passages ont lieu au terme d’une lutte (‘BQ) dont le nom du lieu (YBQ) est le symbole.

En outre, le chapitre 32 (début de la section en 32,4) (1) présente un jeu de sons sur « minHa » (offrande) et « maHanè » (camp, campement). Ce jeu de sons est déjà introduit par la finale de la section précédente (32,3).
Dans notre texte, il est impossible de ne pas entendre ce « jeu » de sonorités (Voir –dans le texte hébreu- les versets 32,3.8.9.11.14.19.21.22.22).

Naturellement, les traductions effacent cette particularité. Bien qu’en hébreu, les mêmes consonnes soient utilisées pour les mots minHa et maHanè (évidemment,dans un ordre différent).

A ce jeu de sons s’ajoute un balancement sémantique continuel d’un emploi à l’autre du terme « maHanè » « camp) :

32,3 camp (de Dieu)
32,8 deux camps (terrestres)
32,9 l’un et l’autre camp
32,11 deux camps
32,22 dans le camp

Quand a l’offrande (« minHa », vv. 14.19.21.22), elle est destinée à passer de l’autre côté (vers Esaü), tandis que Jacob demeure dans le camp («maHanè»).

Deux versets contiennent une forte insistance sur le mot « face » -ce qui est une manière d’attirer l’attention de l’auditeur. D’autant que le nom du lieu du combat avec l’ange est double : « peniel » (v.31) ou « penuel » (v.32). Jacob a « vu » Dieu « face à face » (panim el panim), mais une « face » n’est pas l’autre, ce que suggère le double nom : « peniel » et « penuel ».

Le changement de nom   

Changer de nom est changer d’être. Jacob n’est pas le même avant et après ce combat. Il n’est pas de passage sans lutte. Et l’adversaire ( ?) angélique montre assez que ce combat n’est pas comme ces combats guerriers dans lesquels le plus fort est vainqueur et le plus faible est vaincu.

Ici, le « combat » se situe sur un tout autre plan.

L’ange « messager » (le même mot en hébreu désigne l’ange et le messager) ne peut évidemment dévoiler son nom. D’autant que le nom du « messager » change avec la mission reçue. Cela est vrai aussi pour le nouveau Jacob –lequel pourtant est un humain et, comme tel, reçoit un nouveau nom permanent. Là où « Jacob » (ya’aqob) était un prénom courant, s’ajoute le nom « Israël » qui est un nom théphore (-el).

Par les moyens littéraires évoqués plus haut, le rédacteur veut donner à entendre que le récit est à double sens, et l’auditeur attentif est invité à passer de l’un à l’autre. De même que Jacob est allé –seul et avant les lumières du jour- de « maHanayim » (double camp) au lieu dit « Peniel »
penuel »), au passage du Yabboq, pour y recevoir un nom nouveau,.au terme d’un combat unique.

La rédaction de tels passages relève de la création poétique mise au service d’un profond sens religieux. Ni l’un ni l’autre ne sont l’objet des études philologiques ou linguistiques.

Place à la lecture…

Jacques Chopineau. Genappe le 18 juillet 2007