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 Bible et liberté



    Jacques Chopineau

 

 

- Le fugitif

- Un buisson de feu

 

 

   

 


Moïse fugitif et le buisson ardent

 

 

Le fugitif

Moïse, le grand législateur, a aussi été un jeune homme. Nous sommes très mal renseignés sur ce moment de sa vie, mais le texte de la Bible nous donne quelques informations. Evidemment, ces informations ont été mises par écrit longtemps après les événements et, surtout, à la lumière de l’histoire religieuse de l’ancien Israël.

Sans doute, on ne nous aurait pas conté ces anecdotes si elles n’avaient été le prélude à une histoire extraordinaire. Mais, pour l’heure, laissons l’extraordinaire. Il faut d’abord rappeler quelques traits du cadre ordinaire (clanique) de la vie des rédacteurs.

Une caractéristique du clan est la pratique de l’exogamie. Un homme prend femme dans un autre clan. Une femme donc change de clan en devenant une épouse, dans autre clan que celui de son père. De là, pour les enfants, l’importance de la distinction entre un oncle maternel (frère de la mère, donc d’un clan différent), et un oncle paternel (frère du père, donc du même clan). L’histoire de Jacob, travaillant pour Laban l’araméen (frère de Rebecca, cf Genèse 27,43) est une illustration de cet usage.

Autre particularité de ce système : les filles n’héritent pas. En effet, elles sont appelées à changer de clan. En sorte que si elles héritaient, leurs enfants deviendraient propriétaires de biens d’un autre clan (ce qui serait une source de conflits entre les clans). Une exception est le cas d’un homme qui a des filles, mais n’a pas de fils. Dans ce cas, les filles héritent, mais elles devront prendre mari dans le clan (cf Livre des Nombres 36,5sq).

Et le commandement est placé dans la bouche du grand législateur. Bien qu’à l’époque du désert, il n’était pas question de cet usage. Moïse ( mort dans les plaines de Moab) n’a jamais connu l’installation des clans dans le pays de Canaan.

Dans une société clanique, cependant, un homme qui n’a pas de fils est dans une situation très difficile ! Qui donc, après lui, va s’occuper de sa terre et de son troupeau ? A quelle descendance pourrait-il léguer ce qu’il possède ? Telle est la situation de Jéthro, le prêtre de Madian, qui a sept filles (Exode 2,16). Ces filles s’occupent du troupeau, mais elles n’ont pas la force de s’opposer aux autres bergers qui les chassent.

C’est ici qu’intervient Moïse, le fugitif, qui prend la défense des filles et fait boire leur troupeau (Exode 2,17). De retour chez elles, elles racontent à leur père ce qui est arrivé. On comprend alors la réaction de ce dernier :

« Il dit à ses filles : Où est-il ?
Pourquoi donc avez-vous laissé là cet homme ?
Appelez-le, qu’il vienne manger ici » Exode 2,20

En effet, il lui convient de s’attacher un homme valeureux (qui a mis en fuite plusieurs bergers hostiles). Cet homme pourrait aussi donner une descendance mâle au vieux Jethro. C’est pourquoi, pour se l’attacher, Jethro lui donne une de ses filles -Sephora, la madianite- (1). C’est elle qui sera la mère du fils premier-né de Moïse : Ghershom (Gerchom) L’histoire peut continuer.

Un buisson en feu   

C’est donc en tant que berger du troupeau de Jéthro que Moïse approche « la montagne de Dieu » (ainsi nommée après les événements décrits). Moïse fait un détour pour voir de plus près cette chose étonnante : un buisson qui brûle et ne se consume pas (cf Exode 3).

L’expérience est décrite dans le langage du temps. Un ange (un messager) est la cause de cette flamme. Et c’est en ce lieu que le Nom de Dieu est révélé à Moïse. Le feu est ici un vecteur de révélation (comme en Genèse 15,17 pour Abraham).

Ainsi commence la carrière de celui qui était un fugitif . Non qu’il ait eu une enfance médiocre. Il a grandi, privilégié, dans la sphère culturelle égyptienne, ainsi que le rappellera le Nouveau Testament :

« Moïse a été élevé dans toute la sagesse des égyptiens… »
Actes 7,22

Pourtant, rien ne laissait présager un tel rôle. Le fugitif, devenu berger, va devenir un chef civil et religieux. Le grand législateur dont l’enseignement va marquer les siécles….

Selon le texte biblique, c’est à partir de cet événement que tout commence. Evidemment, la Bible n’est pas un livre d’histoire. Une longue tradition nous transmet ce qu’elle juge essentiel en ce récit. Cela mérite bien d’être entendu, même si les documents historiques font défaut. La vérité d’un texte est ce que l’histoire en fait. En ce domaine, la vérité est un aboutissement, non le résultat d’une étude purement intellectuelle.

Un feu qui brûle et ne se consume pas : tel est un texte qui éclaire, à chaque relecture, celui qui le lit. Et il n’y aura jamais de fin, aussi longtemps qu’il y aura des lecteurs..

Jacques Chopineau, Genappe le 17 juin 2007

(1) De là des controverses sur cette épouse africaine. Etait-elle noire ? Cela peut faire sourire aujourd’hui, mais les polémiques furent nombreuses. Cf Jacques Chopineau : L’épouse africaine de Moïse, Analecta Bruxellensia 8 (Bruxelles 2003), pp. 163-170.