Le fugitif
Moïse, le grand législateur, a
aussi été un
jeune homme. Nous sommes très mal renseignés
sur ce moment de sa vie, mais le texte de la Bible nous donne
quelques informations. Evidemment, ces informations ont été mises
par écrit longtemps après les événements
et, surtout, à la lumière de l’histoire
religieuse de l’ancien Israël.
Sans doute, on
ne nous aurait pas conté ces anecdotes
si elles n’avaient été le prélude à une
histoire extraordinaire. Mais, pour l’heure, laissons
l’extraordinaire. Il faut d’abord rappeler quelques
traits du cadre ordinaire (clanique) de la vie des rédacteurs.
Une caractéristique du clan est la pratique
de l’exogamie.
Un homme prend femme dans un autre clan. Une femme donc change
de clan en devenant une épouse, dans autre clan que
celui de son père. De là, pour les enfants,
l’importance de la distinction entre un oncle maternel
(frère de la mère, donc d’un clan différent),
et un oncle paternel (frère du père, donc du
même clan). L’histoire de Jacob, travaillant
pour Laban l’araméen (frère de Rebecca,
cf Genèse 27,43) est une illustration de cet usage.
Autre particularité de ce système
: les filles n’héritent pas. En effet, elles
sont appelées à changer
de clan. En sorte que si elles héritaient, leurs enfants
deviendraient propriétaires de biens d’un autre
clan (ce qui serait une source de conflits entre les clans).
Une exception est le cas d’un homme qui a des filles,
mais n’a pas de fils. Dans ce cas, les filles héritent,
mais elles devront prendre mari dans le clan (cf Livre des
Nombres 36,5sq).
Et le commandement est placé dans
la bouche du grand législateur. Bien qu’à l’époque
du désert, il n’était pas question de
cet usage. Moïse ( mort dans les plaines de Moab) n’a
jamais connu l’installation des clans dans le pays
de Canaan.
Dans une société clanique, cependant,
un homme qui n’a pas de fils est dans une situation
très
difficile ! Qui donc, après lui, va s’occuper
de sa terre et de son troupeau ? A quelle descendance pourrait-il
léguer ce qu’il possède ? Telle est la
situation de Jéthro, le prêtre de Madian, qui
a sept filles (Exode 2,16). Ces filles s’occupent du
troupeau, mais elles n’ont pas la force de s’opposer
aux autres bergers qui les chassent.
C’est ici qu’intervient
Moïse, le fugitif,
qui prend la défense des filles et fait boire leur
troupeau (Exode 2,17). De retour chez elles, elles racontent à leur
père ce qui est arrivé. On comprend alors la
réaction de ce dernier :
«
Il dit à ses filles : Où est-il ?
Pourquoi
donc avez-vous laissé là cet homme ?
Appelez-le,
qu’il vienne manger ici » Exode 2,20
En effet,
il lui convient de s’attacher un homme valeureux
(qui a mis en fuite plusieurs bergers hostiles). Cet homme
pourrait aussi donner une descendance mâle au vieux
Jethro. C’est pourquoi, pour se l’attacher, Jethro
lui donne une de ses filles -Sephora, la madianite- (1).
C’est elle qui sera la mère du fils premier-né de
Moïse : Ghershom (Gerchom) L’histoire peut continuer.
Un buisson en feu
C’est donc en tant
que berger du troupeau de Jéthro
que Moïse approche « la montagne de Dieu » (ainsi
nommée après les événements décrits).
Moïse fait un détour pour voir de plus près
cette chose étonnante : un buisson qui brûle
et ne se consume pas (cf Exode 3).
L’expérience
est décrite dans le langage
du temps. Un ange (un messager) est la cause de cette flamme.
Et c’est en ce lieu que le Nom de Dieu est révélé à Moïse.
Le feu est ici un vecteur de révélation (comme
en Genèse 15,17 pour Abraham).
Ainsi commence la carrière
de celui qui était
un fugitif . Non qu’il ait eu une enfance médiocre.
Il a grandi, privilégié, dans la sphère
culturelle égyptienne, ainsi que le rappellera le
Nouveau Testament :
«
Moïse a été élevé dans toute
la sagesse des égyptiens… »
Actes 7,22
Pourtant, rien ne laissait présager
un tel rôle.
Le fugitif, devenu berger, va devenir un chef civil et religieux.
Le grand législateur dont
l’enseignement va marquer les siécles….
Selon le texte biblique,
c’est à partir de cet événement
que tout commence. Evidemment, la Bible n’est pas un livre d’histoire.
Une longue tradition nous transmet ce qu’elle juge essentiel en ce récit.
Cela mérite bien d’être entendu, même si les documents
historiques font défaut. La vérité d’un texte est
ce que l’histoire en fait. En ce domaine, la vérité est
un aboutissement, non le résultat d’une étude purement
intellectuelle.
Un feu qui brûle et ne se consume pas
: tel est un texte qui éclaire, à chaque
relecture, celui qui le lit. Et il n’y aura jamais de fin, aussi longtemps
qu’il y aura des lecteurs..
Jacques Chopineau, Genappe
le 17 juin 2007
(1) De là des controverses sur cette épouse
africaine. Etait-elle noire ? Cela peut faire sourire aujourd’hui,
mais les polémiques
furent nombreuses. Cf Jacques Chopineau : L’épouse africaine
de Moïse, Analecta Bruxellensia 8 (Bruxelles 2003), pp. 163-170.
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