Un texte énigmatique
On connaît ce texte du livre de la Genèse :
« … Il
fit un rêve : une échelle était
dressée sur la terre, et son sommet touchait au
ciel… Jacob s’éveilla de son sommeil
; il dit : Vraiment le SEIGNEUR est en ce lieu, et moi,
je ne le savais pas !
Il eut peur et dit : que ce lieu est redoutable ! C’est
la maison de Dieu, c’est la porte du ciel »
Genèse 28, 12-16-17
Les commentaires de ce texte sont innombrables.
Pendant des siècles, juifs et chrétiens ont
commenté cet événement
connu par le seul texte biblique. Texte superbe d’ailleurs : en un lieu
sacré, un lien entre le ciel et la terre est dressé et des anges –en
ce lieu- montent et descendent par l’échelle. Il ne saurait être
question ici de faire un résumé de ces commentaires. Simplement,
comment peut-on lire ce texte aujourd’hui ?
Pour les familiers de la
guématrie, mentionnons que la valeur numérique
du mot « échelle » est significative. Les trois lettres
du mot hébreu « sullam » (même mot et même
sens, d’ailleurs, en arabe) ont pour valeur numérique 130. C’est
le même nombre que celui de l’expression « Temple du Seigneur » (heykhal ‘adonay
: 65 + 65).
Rappelons encore que ce nombre est de la famille
de 13 ("Un" = éHad) et de 26 (nombre du
nom divin). En outre, le nom "Sinaï" (qui
comporte, en hébreu, quatre lettres) a pour valeur
numérique 130 (voir, sur ce site "Autres
guématries").
En sorte que "échelle", "temple du
Seigneur" et "Sinaï" ont même valeur
! Evidemment, dans cette perspective, la valeur arithmétique
de ces nombres n'est qu'un support symbolique.
Mais les amateurs (et connaisseurs !)
de telles « coïncidences » sont
peu nombreux. Il vaut mieux s’en tenir ici au récit dans sa
forme actuelle, c'est-à-dire à l’anecdote telle que
le texte de la Bible la rapporte.
Il reste que l’essentiel est mystérieux
et que l’apparence
anecdotique n’atteint pas le cœur du mystère. Humblement,
le commentateur doit le savoir.
En guise de commentaire
Les commentaires
sont datés. Et ils naissent au sein d’une culture
particulière, en un temps donné. En sorte que le commentaire
lui-même
appellerait un commentaire.
Le chemin choisi ici est différent.
Il s’agit, évidemment,
d’une relecture, mais sans souci apologétique, sans préoccupation
dogmatique, sans prétention historico-critique… bref,
sans rien de ce qui est à l’arrière-plan des commentaires
passés
ou présents. Un regard et une écoute suffiront à notre
propos.
Il est clair que le récit ne peut être pris littéralement.
Dans la vision du monde de l’auteur du texte, des anges (messagers
venus d’un autre monde) font partie de la culture. Il existe
plusieurs mondes. Et dans chaque monde, des habitants spécifiques.
Le monde terrestre est celui des humains.
Mais pour un moderne, il n’est qu’un seul monde. Les
mêmes
lois régissent notre terre et les espaces interstellaires.
Les seuls « messagers » imaginables
sont des satellites et vaisseaux spaciaux. C’est pourquoi il
est impossible de prendre au pied de la lettre les expressions : « porte
du ciel » ou « maison
de Dieu ».
Cependant il serait superficiel de penser que
les anciens étaient des
naïfs qui entendaient littéralement ces énoncés.
Là où le
miracle se produit, là est la terre sacrée. Le « Temple » est
en ce lieu. Ce n’est pas l’édifice en soi qui
est sacré,
mais ce qui s’y produit.
D’autant que tout lieu considéré comme
central est aussi, pour un peuple donné, le centre du
monde et le lieu par où les
prières montent au ciel des dieux. Telle était
Babylone selon l’étymologie
de son nom (« Bâb Ilâni » = « la
porte des dieux »,
en langue akkadienne).C’est d’ailleurs en ce lieu
que fut édifiée
la tour « dont le sommet touche au ciel » (cf Genèse
11,4).
Lieu et direction
Dans la tradition juive,
Dieu est appelé « lieu » (maqom).
Pourquoi ? C’est que comme le dit superbement un texte
talmudique : « Il
est le lieu du monde et le monde n’est pas son lieu ».
Il est arrivé plusieurs fois que la direction du sanctuaire
soit primordiale. Et la prière a lieu en direction du
lieu saint (Jérusalem, La Mekke… ).
Mais comme le lieu, la direction traditionnelle est symbolique.
De là cette
exhortation à ne pas faire de cette direction une règle
en soi, ainsi que le rappele ce texte coranique :
«
La justice, ce n’est pas que vous tourniez vos regards vers l’orient
ou vers l’occident mais c’est l’état de celui qui croit
en Dieu, aux anges, au Livre et aux prophètes….. «
Sourate de la vache ( 2,177)
Pour plusieurs traditions
religieuses, le problème
est ancien : Où es
Dieu ?
En son Temple, certes, mais où se situe ce
Temple ? Etait-ce en un Temple terrestre ou céleste
que le prophète Esaïe (cf Esaïe
6) « voit » Dieu ? Les deux opinions ont été soutenues.
Selon
le livre de l’Apocalyse, la Jérusalem céleste
n’a
pas de Temple :
«
Je n’y vis pas de sanctuaire, car le Seigneur Dieu
est son sanctuaire… » Apocalypse 21,22
Dans notre texte, le récit
du patriarche Jacob est onirique. Aucune littéralité n’étant
concevable, c’est d’emblée le symbole
qui doit être
compris.
Tout se passe comme si, pour les anciens, un
lieu de prière
est un centre du monde. Et la prière elle-même
est cette échelle par lequelle
des « anges » vont et viennent. Pour les anciens,
ce sont les anges qui portent les prières vers les
mondes célestes. Pour un moderne,
cependant, de tels vecteurs font souvent défaut. Peu
importe : l’essentiel
n’est pas dans le vecteur !
D’autre part, lieu
ou direction sont des supports symboliques traditionnels.
Importants, certes, par ce qu’ils donnent à être.
Pourtant, être
en chemin n’est pas être arrivé et une
réalité visée
n’est pas encore, pas toujours, une réalité vécue.
Un pas de plus est suggéré, dans
le récit
biblique, par cette exclamation du patriarche Jacob, à son
réveil : « … et
je le ne savais pas ! ». Ce qui est l’indice
d’une prise de
conscience décrite comme un éveil.
La vie humaine
ordinaire est analogue à ce sommeil que l’on
nomme « paradoxal ».
C’est dans cet état que se produisent les rêves.
Au réveil
cependant, la réalité formidable se dévoile
(se révèle) à Jacob…
Pour l’exégète –à quelque
tradition religieuse qu’il se réfère-
se rappeler cela est la porte qui, seule, ouvre la compréhension
de ce texte.
Jacques Chopineau, Genappe le 12 juin 2007
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