Simplicité
Aucun penseur des origines chrétiennes
n’a autant marqué les réformateurs que
Saint Augustin. Luther était d’ailleurs, à l’origine,
un moine augustin. Devenu guide d’une nouvelle église,
il dit : « En dehors du seul Augustin, l’aveuglement
des Pères est grand ! ».
Mais c’est à Calvin
qu’il est ici fait
brièvement référence. Le grand réformateur
français a beaucoup lu et médité les écrits
de Saint Augustin. Ce Calvin qui affirmait ne rien dire qui
n’ait été dit, déjà, par
Saint Augustin. Quoiqu’il en soit de cette opinion,
relevons simplement qu’elle a été exprimée
par un réformateur qui entendait –après
des siècles de doctrine et d’église souveraine-
revenir aux sources du christianisme.
Les points de contact
sont évidemment nombreux entre
le maître (Saint Augustin) et le disciple (Calvin).
Un seul point est ici envisagé : le premier pas
de ce long chemin appelé « connaissance ».
Ce retour à l’essentiel est –avec
la nécessaire
simplicité de l’expression- une préoccupation
permanente des réformateurs. L’essentiel doit
toujours pouvoir être dit simplement. Comme lorsque
Jésus préchait.
Les ajouts des siècles
postérieurs doivent
tous pouvoir être examinés de façon critique
- à la
lumière de l’intellect. Et une pensée
claire ne doit pas être exprimée en un langage
obscur. D’autre part, cependant, la simplicité peut être
profonde. Le silence même l’est parfois. Se
connaître
et connaître Dieu
On cite souvent le fameux « noverim
me noverim te » (« que je me
connaisse ;
que je te connaisse ») de Saint Augustin. Mais
on a souvent oublié le contexte de ces paroles. Il
s’agit d’un « soliloque » dans
lequel Saint Augustin, parlant avec lui-même, dans
un moment difficile, exprime ce qui
est - à ses
yeux - la prière la plus essentielle :
- R: Prie
donc, le plus brièvement et le plus parfaitement
qu’il te sera possible.
- A: Dieu, toujours le même : Fais que je me
connaisse et que je te connaisse. Prière est faite. (1)
Double
connaissance qu’aucun discours, jamais, n’épuise.
Sans
source, fleuve et estuaire n’existeraient pas. Et donc sans « connaissance » aucune « foi » ne
peut exister. Religion n’est pas doctrine. L’habit n’est pas
le corps. Revenons toujours au premier pas.
Une œuvre essentielle du jeune
Calvin est l’«Institution de
la religion chrétienne ». Première édition
(latine) en
1536 (à Bâle) ; première édition française
en 1541. A l’âge de 26 ans, Calvin entreprit cette « Institution » qu’il
dédia au roi de France (François 1er).
En ces temps troublés,
le jeune réformateur veut dire ce qu’il
lui paraît essentiel de rappeler, le plus clairement possible. Citons
le début du premier chapitre de cette œuvre :
«
Toute la somme presque de notre sagesse, laquelle, à tout compter,
mérite
d’être réputée vraye et entière sagesse,
est située en deux parties : c’est qu’en cognoissant
Dieu, chacun de nous aussi se congnoisse. Au reste, combien qu’elles
soyent unies l’une à l’autre par beaucoup de liens,
si n’est-il pas
toutesfois aisé à discerner laquelle va devant et produit
l’autre » (2)
Se connaître afin de connaître
Dieu ou bien connaître Dieu
afin de se connaître ? Le réalisme de Calvin lui interdit
de dire laquelle de ces deux connaissances engendre l’autre. Ce
serait d’ailleurs
une définition purement verbale.
Calvin ne fait que dire, en français,
ce qu’Augustin disait en latin -chacun
dans son style propre (et la concision latine ne peut être imitée !).
Au-delà des siècles, et malgré des cultures parfois
bien différentes, l’un et l’autre se réfèrent
au même enseignement biblique et à la même personne
de Jésus.
Permanence du religieux
Evidemment,
la religion actuelle n’est pas celle des siècles
passés.
Et la religion de Calvin est datée –au moins dans son
expression. D’ailleurs, l’intransigeance du réformateur
serait, aujourd’hui,
très inactuelle. La tolérance n’était pas
une attitude courante, en ces temps de guerres des religions. Cependant,
plusieurs fois, Calvin
a mis le doigt sur l’essentiel. Les termes peuvent être
datés,
mais la réalité est la même. Et chez un profond
penseur, la simplicité n’exclut jamais la justesse de
vue.
Mais aujourd’hui, les dogmatismes sont
devenus étrangers à notre
manière de percevoir le religieux. En sorte que « pour » ou « contre » relèveraient
l’un et l’autre de combats d’arrière-garde.
Les affirmations doctrinales font, certes, partie de l’histoire,
mais elles ne sont plus guère senties comme essentielles.
Certes, un Calvin ne pouvait pas, à son époque,
penser Dieu autrement que comme une sorte de super-être
distinct du monde des hommes. Et donc, il ne pouvait qu’exclure
quiconque n’adhérait pas à cette
vue. Revenons à la source –c’est-à-dire
au premier pas de cette « connaissance ».
Ce « premier pas » est
en nous et hors de nous. Tout à la
fois. Non pas comme une pensée (qui est unidirectionnelle),
mais plutôt
comme une sensation. Tournée vers moi et –dans le
même temps-
vers ce qui n’est pas moi. Et peu importe ici que cet Autre
soit défini
(par la pensée) de telle ou telle manière.
Croyants
et incroyants sont ici logés à la même
enseigne. Les représentations « religieuses » traditionnelles
sont aujourd’hui de peu de poids –lors même
qu’elles
ont jadis été déterminantes.
L’erreur - aujourd’hui
comme hier - serait de croire que cette « connaissance » est
de l’ordre de la pensée. Ce qu’on appelle « foi » n’est
pas de caractère discursif. La foi n’est pas
une croyance particulière.
Pas plus que le vêtement n’est le corps - que,
pourtant, il habille pour le regard. De même, la prière
n’est pas dans
les paroles qui apparemment la portent.
Il importe de revenir à la
source ou - pour le dire autrement - au commencement.
Jacques Chopineau, Genappe le 10 août
2006
(1) Citons le texte latin :
- R: Itaque ora brevissime ac perfectissime
quantum potes
- A: Deus semper idem, noverim me noverim te. Oratum est ».
Soliloquia II,1,1.
(2) Jehan Calvin : Institution de la religion chrétienne, Tome
I, chapitre 1 (Paris 1859 -Edition Meyrueis)
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