Une parole terrible
«
Près des fleuves de Babylone,
Là-bas, nous étions assis et nous pleurions
En nous souvenant de Sion…. »
Psaume 137,1
On connaît bien le début de ce
texte, mais on cite rarement la fin. C’est qu’en
effet, la finale est terrible. La forme originelle est une
lamentation.
Le
texte original module les sonorités propres à la
lamentation : -û, -ênû, -înû…
sham
yashavnû gam bakhînû bezokhrênû èt
Sion
«
là, nous étions assis et nous pleurions en
nous souvenant de Sion ».
De même, plus loin
:
talînû kinorotênû…
«
nous avons pendu nos harpes ».
Et encore :
she’êlûnû shovênû
«
Nos vainqueurs nous demandaient… ».
Nous touchons
la détresse des exilés -déportés
en terre étrangère. Et aussi l’ironie
des vainqueurs :
Shirû lanû mi-shîr
Sion
Chantez-nous des chants de Sion
Psaume 137,3
Le texte, cependant, risque d’être
mal compris, tout à la fin du psaume. C’est
cela qu’il
faut expliquer :
« Heureux
qui saisira tes enfants
et les écrasera contre le roc »
Psaume 137,9
Le psalmiste serait-il, à ce point,
vindicatif et violent ? Deux mots d’explication sont
ici indispensables. Sous peine de ne pas comprendre, il importe
de replacer cette
parole terrible dans son contexte historique. Une erreur
serait de la banaliser ; une autre erreur serait de conclure à la
violence bornée du psalmiste.
Cette parole, en fait,
est l’attente de la réalisation de la prophétie
qui annonçait la fin de Babylone. Ce texte psalmique fait écho
au livre d’Esaïe –lors même que l’Esaïe d’époque
assyrienne ne pouvait connaître l’empire néo-babylonien (mais
le livre comprend beaucoup de textes ésaïens de diverses époques).
Et –dans ce texte prophétique- la fin annoncée de Babylone
est aussi celle de ses enfants (cf Esaïe 13,16).
L’époque de
l’exil est celle de la relecture des prophéties,
en réponse aux questions suscitées par le triomphe des impies
et par les malheurs du peuple écrasé. La question revient souvent
: Comment cela a-t-il été possible (cf Psaume 44).
Certes, aujourd’hui,
la splendeur de Babylone est loin de nous. Tous les empires disparaissent
un jour (celui du nouvel empire babylonien –entre
l’empire assyrien et l’empire perse- a d’ailleurs été bref).
D’autres empires –jugés
en leur temps « immortels »-
ont disparu. Empire hellénistique ou empire romain sont morts. D’autres
empires ont connu ou connaîtront le même sort. Comme disait
jadis un prêtre marseillais, à propos de la chute de Rome
: « on
s’est toujours réjoui de la chute des empires ».
Il
n’empêche que tant qu’il règne, l’empire
dicte sa loi. La réalité d’aujourd’hui n’est
d’ailleurs
guère différente. Autrefois, les judéens captifs
en terre lointaine en surent quelque chose. C’est là, d’ailleurs,
l’origine
d’une importante dispora babylonienne. Beaucoup s’établiront
durablement au pays des deux fleuves et s’y développeront
bien après
la disparition des empires.
Dès l’origine, le prophète
Jérémie conseillait
aux déportés de se préparer à un long séjour
:
«
Voici ce que dit YHWH des armées, le Dieu d’Israël, à tous
les exilés, ceux que j’ai exilés de Jérusalem à Babylone
: Bâtissez des maisons et habitez-les ; plantez des jardins
et mangez-en le fruit. Mariez-vous et engendrez des fils et des filles
; mariez vos fils et
donnez vos fils en mariage multipliez-vous là où vous êtes
et ne diminuez pas. Recherchez la paix de la ville où je vous
ai exilés
et intercédez pour elle…… » Jérémie
29, 4-7
Nous sommes loin d’un séjour
bref. Loin aussi d’une vengeance
annoncée. La violence n’est jamais une réparation
d’une
autre violence.
Un contexte à expliquer
Les paroles
de violence sont nombreuses dans les textes qui ont un statut
de texte sacré (Bible ou Coran). Sans explication,
de tels textes –sortis
de leur contexte- peuvent être mal compris et le sont en
effet souvent.
On ne se prive d’ailleurs pas –à la
télévision,
par exemple- de citer des textes isolés de leur contexte.
Et ainsi, de montrer la violence de ces religieux (surtout monothéistes)
en semblant cependant se référer aux sources mêmes:
aux textes « fondateurs » (bibliques
ou coraniques) cités hors-contexte.
En ce sens, j’ai
plusieurs fois entendu citer un texte coranique (9,5) sans
que l’on se donne la peine de citer aussi le verset
suivant –lequel
aurait obligé à donner quelques explications
sur les circonstances historiques (Ô ces « à-peu
près » journalistiques
qu’affectionnent la télévision, souvent,
mais aussi quelques « experts » et écrivains
connus !).
Naturellement, tout langage religieux peut être
détourné de
son sens premier. L’histoire est pleine de malversations
de ce genre. Elles alimentent, d’ailleurs, tous les
intégrismes
Aujourd’hui comme
hier.
L’exil babylonien est comparable à des
horreurs plus récentes.
Déportations, esclavage, camps de la mort, massacres
ou génocides…..
Et que dire des tchétchènes qui –depuis
plus d’un siècle-
luttent pour l’indépendance de leur patrie ?
Ou des palestiniens occupés, expulsés ou humiliés
? L’horreur fait partie
de notre histoire.
La grande colère
Il ne
s’agit évidemment pas de minimiser la violence.
Mais il faut se rappeler en quel monde violent nous vivons.
Dans ce monde, certes, il est
inévitable de prendre partie. Mais surtout pas pour
renvoyer dos-à-dos
l’oppresseur et l’opprimé, lorsque cela
nous convient. Ni pour nous justifier à nos propres
yeux –selon nos propres critères.
Les violences
suscitent les violences. D’où qu’elles
viennent… Toute
violence est injuste…. Mais il est vrai qu’elle
est souvent une réponse à une
autre injustice. D’ailleurs un résistant peut être
qualifié de
terroriste, selon le point de vue de celui qui parle.
D’autre
part, les « justes » ne sont pas toujours les
mêmes.
Tel humilié, un jour, peut aussi se convertir, à son
tour, en tortionnaire. Le cas s’est vu.
Et la preuve
que j’ai raison –dit le puissant- c’est
que je suis le plus fort. N’ai-je pas gagné la
guerre ? N’est-ce
pas ma force qui me donne d’avoir raison ? Certains
même ajoutent
: « Et Dieu est avec moi ». C’est l’argument
suprême –lequel
a déjà beaucoup servi !
Gagner la guerre, cependant,
ne signifie pas gagner la paix. Et une paix par simple absence
de guerre n’est pas réconciliation –ni
fraternité.
De fait, occupations, humiliations, spoliations, exploitations
diverses… n’engendrent
pas la paix. L’injustice n’engendre jamais la
paix.
Ce monde est une jungle. C’est le règne
du plus fort. L’action
directe porte alors le nom d’efficacité. L’habit
démocratique
est parfois la couverture obligée de la puissance,
mais les plus faibles ne s’y trompent pas –surtout
lorsqu’ils sont les victimes.
La parole ultime, cependant,
est donnée en finale du Psaume 139. Après
des paroles de détestation des ennemis de Dieu (cf
Ps 139,19-22), la psalmiste termine :
« Regarde
si je suis sur une voie mauvaise,
et conduis-moi sur la voie de toujours »
Ps 139,24
Jacques Chopineau, Genappe, 17 mars 2006
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