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 Bible et liberté



    Jacques Chopineau

 

- Une parole terrible

- Un contexte à expliquer

- La grande colère

 

 

   

 


Tuez-les !

 

 

Une parole terrible

« Près des fleuves de Babylone,
Là-bas, nous étions assis et nous pleurions
En nous souvenant de Sion…. »
Psaume 137,1

On connaît bien le début de ce texte, mais on cite rarement la fin. C’est qu’en effet, la finale est terrible. La forme originelle est une lamentation. Le texte original module les sonorités propres à la lamentation : -û, -ênû, -înû…

sham yashavnû gam bakhînû bezokhrênû èt Sion
« là, nous étions assis et nous pleurions en nous souvenant de Sion ».

De même, plus loin :
talînû kinorotênû…
« nous avons pendu nos harpes ».

Et encore :
she’êlûnû shovênû
« Nos vainqueurs nous demandaient… »
.

Nous touchons la détresse des exilés -déportés en terre étrangère. Et aussi l’ironie des vainqueurs :

Shirû lanû mi-shîr Sion
Chantez-nous des chants de Sion
Psaume 137,3

Le texte, cependant, risque d’être mal compris, tout à la fin du psaume. C’est cela qu’il faut expliquer :

« Heureux qui saisira tes enfants
et les écrasera contre le roc »
Psaume 137,9

Le psalmiste serait-il, à ce point, vindicatif et violent ? Deux mots d’explication sont ici indispensables. Sous peine de ne pas comprendre, il importe de replacer cette parole terrible dans son contexte historique. Une erreur serait de la banaliser ; une autre erreur serait de conclure à la violence bornée du psalmiste.

Cette parole, en fait, est l’attente de la réalisation de la prophétie qui annonçait la fin de Babylone. Ce texte psalmique fait écho au livre d’Esaïe –lors même que l’Esaïe d’époque assyrienne ne pouvait connaître l’empire néo-babylonien (mais le livre comprend beaucoup de textes ésaïens de diverses époques). Et –dans ce texte prophétique- la fin annoncée de Babylone est aussi celle de ses enfants (cf Esaïe 13,16).

L’époque de l’exil est celle de la relecture des prophéties, en réponse aux questions suscitées par le triomphe des impies et par les malheurs du peuple écrasé. La question revient souvent : Comment cela a-t-il été possible (cf Psaume 44).

Certes, aujourd’hui, la splendeur de Babylone est loin de nous. Tous les empires disparaissent un jour (celui du nouvel empire babylonien –entre l’empire assyrien et l’empire perse- a d’ailleurs été bref).

D’autres empires –jugés en leur temps « immortels »- ont disparu. Empire hellénistique ou empire romain sont morts. D’autres empires ont connu ou connaîtront le même sort. Comme disait jadis un prêtre marseillais, à propos de la chute de Rome : « on s’est toujours réjoui de la chute des empires ».

Il n’empêche que tant qu’il règne, l’empire dicte sa loi. La réalité d’aujourd’hui n’est d’ailleurs guère différente. Autrefois, les judéens captifs en terre lointaine en surent quelque chose. C’est là, d’ailleurs, l’origine d’une importante dispora babylonienne. Beaucoup s’établiront durablement au pays des deux fleuves et s’y développeront bien après la disparition des empires.

Dès l’origine, le prophète Jérémie conseillait aux déportés de se préparer à un long séjour :
« Voici ce que dit YHWH des armées, le Dieu d’Israël, à tous les exilés, ceux que j’ai exilés de Jérusalem à Babylone : Bâtissez des maisons et habitez-les ; plantez des jardins et mangez-en le fruit. Mariez-vous et engendrez des fils et des filles ; mariez vos fils et donnez vos fils en mariage multipliez-vous là où vous êtes et ne diminuez pas. Recherchez la paix de la ville où je vous ai exilés et intercédez pour elle…… » Jérémie 29, 4-7

Nous sommes loin d’un séjour bref. Loin aussi d’une vengeance annoncée. La violence n’est jamais une réparation d’une autre violence.

Un contexte à expliquer  

Les paroles de violence sont nombreuses dans les textes qui ont un statut de texte sacré (Bible ou Coran). Sans explication, de tels textes –sortis de leur contexte- peuvent être mal compris et le sont en effet souvent.

On ne se prive d’ailleurs pas –à la télévision, par exemple- de citer des textes isolés de leur contexte. Et ainsi, de montrer la violence de ces religieux (surtout monothéistes) en semblant cependant se référer aux sources mêmes: aux textes « fondateurs » (bibliques ou coraniques) cités hors-contexte.

En ce sens, j’ai plusieurs fois entendu citer un texte coranique (9,5) sans que l’on se donne la peine de citer aussi le verset suivant –lequel aurait obligé à donner quelques explications sur les circonstances historiques (Ô ces « à-peu près » journalistiques qu’affectionnent la télévision, souvent, mais aussi quelques « experts » et écrivains connus !).

Naturellement, tout langage religieux peut être détourné de son sens premier. L’histoire est pleine de malversations de ce genre. Elles alimentent, d’ailleurs, tous les intégrismes Aujourd’hui comme hier.

L’exil babylonien est comparable à des horreurs plus récentes. Déportations, esclavage, camps de la mort, massacres ou génocides….. Et que dire des tchétchènes qui –depuis plus d’un siècle- luttent pour l’indépendance de leur patrie ? Ou des palestiniens occupés, expulsés ou humiliés ? L’horreur fait partie de notre histoire.

La grande colère   

Il ne s’agit évidemment pas de minimiser la violence. Mais il faut se rappeler en quel monde violent nous vivons. Dans ce monde, certes, il est inévitable de prendre partie. Mais surtout pas pour renvoyer dos-à-dos l’oppresseur et l’opprimé, lorsque cela nous convient. Ni pour nous justifier à nos propres yeux –selon nos propres critères.

Les violences suscitent les violences. D’où qu’elles viennent… Toute violence est injuste…. Mais il est vrai qu’elle est souvent une réponse à une autre injustice. D’ailleurs un résistant peut être qualifié de terroriste, selon le point de vue de celui qui parle.

D’autre part, les « justes » ne sont pas toujours les mêmes. Tel humilié, un jour, peut aussi se convertir, à son tour, en tortionnaire. Le cas s’est vu.

Et la preuve que j’ai raison –dit le puissant- c’est que je suis le plus fort. N’ai-je pas gagné la guerre ? N’est-ce pas ma force qui me donne d’avoir raison ? Certains même ajoutent : « Et Dieu est avec moi ». C’est l’argument suprême –lequel a déjà beaucoup servi !

Gagner la guerre, cependant, ne signifie pas gagner la paix. Et une paix par simple absence de guerre n’est pas réconciliation –ni fraternité. De fait, occupations, humiliations, spoliations, exploitations diverses… n’engendrent pas la paix. L’injustice n’engendre jamais la paix.

Ce monde est une jungle. C’est le règne du plus fort. L’action directe porte alors le nom d’efficacité. L’habit démocratique est parfois la couverture obligée de la puissance, mais les plus faibles ne s’y trompent pas –surtout lorsqu’ils sont les victimes.

La parole ultime, cependant, est donnée en finale du Psaume 139. Après des paroles de détestation des ennemis de Dieu (cf Ps 139,19-22), la psalmiste termine :

« Regarde si je suis sur une voie mauvaise,
et conduis-moi sur la voie de toujours »
Ps 139,24

Jacques Chopineau, Genappe, 17 mars 2006