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 Bible et liberté



    Jacques Chopineau

 

- Foi et croyance

- Le discours sur la religion

 

 

   

 


Le juste vivra par sa foi

 

 

Foi et croyance

« Le juste vivra par sa foi » (Habacuc 2,4). Le judaïsme a anciennement perçu la centralité de l’énoncé. Et l’expression est aussi une des sources de la réforme religieuse du seizième siècle. Le jeune Luther en a fait le point de départ de sa lutte contre les indulgences (sola fide « par la foi seule » et non « par les œuvres »). On a souvent écrit sur ce sujet, et il n’est pas utile d’y ajouter ici quelque chose. Simplement, il vaut la peine d’entendre à nouveau un écho de cette affirmation.

Car c’est, aujourd’hui, une confusion très commune que celle qui consiste à confondre « foi » et « croyance ». Les théologiens ont souvent parlé de « salut par la foi », mais jamais de salut par la croyance. D’où vient cette confusion ordinaire dans le langage courant ?

La langue est une manière habituelle de découper la réalité. Penser est d’abord : dire. L’indicible n’est pas pensable. Il importe de revenir au sens premier des mots que l’on utilise.

« Foi » et « fidélité » ont la même étymologie latine (fides). Cette association nous rapproche du sens de l’hébreu ‘emûna (1). Et aussi de toute une série de mots qui –en hébreu- sont de même racine, bien que nous utilisions des racines différentes :
ma’amîn : le «croyant» qui est celui qui «s’appuie sur» et «fait confiance».
He’emîn : « croire », s’appuyer sur, faire confiance.
‘emûna : foi, confiance.
‘amen : ferme, assuré, certain (2)

Ainsi, la foi n’est pas d’abord de l’ordre de la pensée, mais d’une action. Une analogie peut faire comprendre cela : l’exemple du danseur de corde qui, sur le fil, au dessus du vide, s’avance après avoir lâché tous les appuis….
Instant décisif, au-delà de toute pensée…
Une « croyance » (« je ne vais pas tomber ! ») n’irait pas « sauver » l’équilibriste ! Mais une certitude d’une autre sorte –sans quoi le pas suivant serait douteux- assure son équilibre.

La foi est analogue à cette certitude-là. Mais l’usage courant nous éloigne de cette perspective. C’est que, dans notre approche, souvent, le savoir dire a pris la place du savoir-faire. La pensée règne –celle de la tête.

De fait, il y a, éventuellement, plus de religion dans foi du charbonnier que dans le discours du théologien. A l’un la pratique quotidienne ; à l’autre le savoir dogmatique.

Certes, l’ignorance n’est pas une vertu ; ni le savoir un défaut. Par contre, on peut être tenté de mettre un mot là où nous ne connaissons rien d’autre que les mots eux-mêmes. C’est le risque couru par les décisionnaires d’une « foi » identifiée à une confession religieuse –c'est-à-dire, en fin de compte, une foi identifiée à une croyance. Vieille histoire !
De toutes manières, il ne s’agit ici ni de savoir, ni d’ignorance. Ce n’est pas sur ce plan que le débat se situe. La foi est une ferme assurance, une certitude opérative, lors même que la pensée est hors circuit. Les analyses cérébrales –tout comme les attitudes « religieuses » dogmatiques- n’ont rien à faire ici.

Le discours sur la religion

L’ignorance du religieux est habituelle en notre occident. Un homme cultivé est normalement d’une profonde ignorance en ce domaine. Eventuellement, un grand savoir discursif et une « sagesse » conceptuelle lui tient lieu de connaissance.Mais bien parler ne signifie pas connaître.

Dirait-on que quelqu’un qui ne sait pas nager connaît la natation parce qu’il sait tout sur l’histoire de la natation ? Tout savoir sur les mouvements n’est comme de savoir les accomplir. Savoir théoriquement quels sont les effets de l’eau froide n’est pas comme d’avoir éprouvé cette sensation. On peut tout savoir et ne connaître rien.

Plus encore : le discours est rendu absurde par une confusion habituelle (à tous niveaux, primaire ou universitaire). La religion serait une sorte de manière de penser. Elle comporterait même des usages rétrogrades liés à des croyances du passé. Des superstitions que la science aurait dépassées.

S’il en était ainsi, alors le phénomène religieux appartiendrait au passé. L’actualité est, pour le meilleur comme pour le pire, un évident démenti à une telle vue de la réalité. Il n’y a d’ailleurs pas de « retour du religieux », parce qu’il n’y a jamais eu d’exil du religieux. Sauf là où l’on a identifié la religion avec une institution dogmatique, une confession éventuellement dominante.

Evidemment, une telle institution a bien été régnante, jadis, avec son corpus de croyances et d’usages. Mais le déclin de ces croyances ne concerne guère la foi religieuse.

On peut parler d’une religion de la foi et de religions de la croyance. La première est universelle, les secondes sont liées à un langage et une histoire. Tel religieux chrétien ou musulman peut connaître ce que vit tel moine zen. Lors même que les images et les mots pour dire cette expérience sont bien différents d’une culture à l’autre.

On peut tout savoir sur les usages et les croyances, et ne rien connaître de ce qui est au cœur de l’expérience religieuse. En ce domaine, de savantes analyses ne sont pas toujours à leur place.

La complexité peut être superficielle, la simplicité peut être profonde. L’attention, la présence, ne sont pas des concepts. Les pratiques ritualisées, comme aussi les croyances, sont de l’ordre de l’emballage. Mais seul importe le contenu du paquet.

Il faut pourtant reconnaître que les divers « experts » en religion ne manquent pas d’arguments. Et ce sont parfois les religieux eux-mêmes qui ont donné des arguments à cette manière extérieure –et pour ainsi dire superficielle- de décrire la réalité. Non seulement, jadis, par des croisades, des inquisitions, des cohercitions de toutes sortes. Mais aussi par ces soi-disant « a priori de la foi » -familiers aux théologiens. Comme si la « foi » était réellement une manière de penser.

En réalité, les croyances sont la source de ces « a priori ». La foi n’en a aucun. Certes, un homme de foi peut avoir mille pensées différentes : aucune ne constitue sa foi.

Bien sûr, tout penseur a une manière de penser. Si cela n’était pas, il serait voué à la répétition de ce que d’autres ont pensé avant lui. Mais cela n’a rien à voir avec la religion, même si cela a beaucoup à voir avec la théologie et son histoire.

De toutes manières, aussi longtemps qu’il y aura des hommes, la religion demeurera au cœur du débat. L’homme est un projet non un être accompli. Confessionnelle ou non, la religion occupe un espace spécifique et irremplaçable.

À l’inverse, une tradition religieuse n’est que le vêtement de la religion. Mais les vêtements ne sont pas le corps. Au contraire du corps, ils ne vieillissent pas : ils s’usent. Il faut alors changer de vêtements, mais le corps ne peut être remplacé.

Des croyances peuvent être décrites, la foi ne peut être que vécue. Faire de la foi une croyance est la source de bien des confusions du discours sur le religieux, mais c’est aussi la porte ouverte à tous les intégrismes. Et tous les intégrismes sont une caricature de foi. Que disent-ils ? Ce que je crois est la vérité et cette « vérité » peut être imposée. Une telle logique armée est à l’origine de nombreuses déviances, savantes ou non.

Le glissement est souvent tragique : est vrai ce que je pense, non ce que je fais. Est juste ce que je conçois et malheur aux déviants ! L’histoire est pleine de ces violences. L’actualité n’est pas différente. Les acteurs changent, mais la tragédie est la même.

Le juste vivra par sa propre foi –et non par une croyance extérieure, souvent majoritaire et parfois imposée. Sa religion n’est que sa propre foi. À l’inverse, ses croyances (en soi, respectables) sont liées à l’histoire de la communauté culturelle dans laquelle il s’inscrit. À la limite, ce qu’il pense n’est pas essentiel, mais seulement ce qu’il est : sa foi.

Jacques Chopineau, Genappe, le 02 septembre 2005  

(1) De même étymologie sémitique, les mots arabes : ‘amina, âmana, ‘îmân (foi), mu’min (croyant)… La parenté linguistique autorise ces rapprochements (Pour s’en convaincre, voir ces décalques de l’hébreu que sont les traductions arabes de Esaïe 7,9 ou Habacuc 2,4).
(2) Ce mot est conservé tel quel à la fin des prières, mais devient souvent synonyme d’un étrange « ainsi soit-il » -comme si le mot hébraïque était une formule de souhait. C’est, au contraire, une expression de ferme assurance, de certitude confiante, d’affirmation sereine et assurée. Nous sommes loin de vœux pieux !