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 Bible et liberté



    Jacques Chopineau

 

- L'introuvable diable !

- L’enfer ténébreux

- L’importance d’un article

- Enfer et damnation

 

   

 


Satan

 

L'introuvable diable !

Le Diable est une figure qui est une pure création de l’esprit des temps anciens. Mais c’est une création qui a joué un rôle considérable dans notre culture. Le « malin », le « serpent », « le Diable »… sont des figures qui traversent l’imaginaire chrétien. L’imaginaire n’est certes pas l’irréel : tous les pouvoirs le savent.

Contre le diable, on a jadis brûlé des « sorcières » jeteuses de sorts. Satan,
« prince des ténèbres » était supposé être le maître de ces « sorcières ». Beaucoup de jeunes femmes ont été victimes de tels « procès » -non seulement dans les pays catholiques, mais aussi dans l’Allemagne luthérienne.

D’où vient cette figure onirique que l’on s’est plu à retrouver dans les textes
« fondateurs » de la Bible hébraïque ? De ce point de vue, cependant, les textes bibliques sont d’une grande sobriété.

Pourtant, ce « Satan » est une grande figure qui apparaît dans les moments les plus sombres de l’histoire de l’église et –naturellement- dans toute notre histoire… Certes, les rêves (même les cauchemars) font partie de la vie. Un visage de la société est dévoilé par ses rêves.

Et il faut reconnaître que la perspective d’un « mal-châtiment » infligé à un
« coupable » fautif aux yeux d’un juge céleste est parfois moins traumatisante qu’un mal arrivé « incompréhensiblement » et par hasard.
De là, cette expression courante (et absurde) : « Qu’ai-je fait au bon Dieu pour avoir mérité ça ? ». Comme si Dieu était un céleste père fouettard qui punissait les méchants !

Une telle image d’un « Bondieu » vindicatif trouve son pendant naturel dans la figure d’un diable-ennemi et conseiller tentateur. De telles aberrations se sont –au fil des siècles- inscrites dans notre culture –ou notre inculture- religieuse. Le langage courant en garde des traces.

L’enfer ténébreux     

Deux mots sur les sources anciennes de cette croyance. Une représentation courante au « moyen-âge » est celle d’un monde céleste lumineux, de plus en plus obscur à mesure qu’on descend dans les basses couches terrestres où vivent les humains. Cette obscurité devient infernale dans les régions sépulcrales –comme le dit le poème médiéval qui célébrait les trompettes du jugement –dans les enfers. Ce texte fameux fait partie de la messe des morts.

« Une trompette répand un son étonnant dans les régions sépulcrales »
Tuba mirum spargens sonum/ per sepulcra regionum…

D’autre part, nous avons –dans l’antiquité- des descriptions de « voyages » de l’âme à travers les sept « cieux », jusqu’au Tröne des lumières. Cela est courant dans les textes gnostiques, mais les chrétiens connaissent ce vocabulaire. L’apôtre Paul n’est-il pas « monté » jusqu’au troisième de ces cieux ? (cf II Corinthiens 12,3).

Il y a donc plusieurs cieux (classiquement : sept) au dessus de nos têtes. Autant que de planètes anciennement visibles. Nous n’avons conservé –dans un tout autre sens- que l’expression « le septième ciel » !

Le trône divin est au dessus : « au plus haut des cieux » –bien que cette expression (hébraïque, puis latine) n’ait guère de sens pour un contemporain.

Les cieux sont élevés au dessus de la terre. Ils s’ouvrent, parfois, pour ceux dont le regard est tourné vers les hauteurs. Comme, jadis, Etienne :

« Je vois les cieux ouverts… »
Livre des Actes 7,56

Cette révélation (littéralement « apocalypse », c'est-à-dire : « dévoilement ») est semblable à un voile qui s’ouvre, un instant, sur le monde lumineux. Mais le monde non dévoilé (ce que nous nommons « la réalité ») est un monde clair-obscur. La vie humaine se joue dans cette ambiguïté.

Dans cette représentation ancienne, les démons, et autres suppôts de Satan, sont ce qu’il y a de plus noir. Cette noire pesanteur est certes naturelle, mais peut aussi être perçue comme diabolique… Un noir chaos menace le monde humain.

L’église, cependant, indique la voie de la céleste lumière, funeste au diable et à ses suivants. « Vade retro Satanas »

L’image est riche de contenu, mais il s’agit d’une métaphore –et non d’une réalité à prendre à la lettre. On l’a parfois (jadis ?) oublié. Une négation de cet enfer onirique pouvait valoir le bûcher.

De nos jours, cependant, cette image est renvoyée au magasin des accessoires. Il arrive que tel cinéaste ou tel littérateur veuille utiliser cette figure satanique, mais personne ne prendra au pied de lettre ce qui est dit à son sujet. Certainement, il n’en a pas toujours été ainsi.

Quant à l’image du serpent tentateur (cf Genèse 3), elle fait partie de ces relectures d’un texte qui ne parle ni de « chute », ni de « péché », ni de « pomme », et qui –loin d’être l’irruption du mal dans le monde- était un enseignement de sagesse sur le comportement humain de tous les temps. Mais ceci serait une autre histoire (qui a d’ailleurs été faite) (1).

Notons simplement que ces relectures ont une importance considérable dans la culture occidentale (l’histoire de l’art en témoigne abondamment). Qu’en reste-t-il ?

L’importance d’un article     

Dans la Bible hébraïque, « le satan » indique une fonction, non une personne. En effet, dans un rigoureux monothéisme, il n’y a pas de place pour un adversaire de Dieu. Le satan est un serviteur de Dieu, bien qu’il soit un adversaire pour l’homme. Et dans le grand jugement (métaphorique), l’accusateur et le consolateur sont tous deux au service de la vérité.
Mais le premier rapporte le mal, tandis que l’autre dit tout le bien.

La fonction de l’un est l’accusation (Le verbe hébreu « hastin » –racine : satan- signifie « accuser), tandis que l’avocat (le « menaHem » = le consolateur) a pour fonction de défendre l’accusé. Cette situation est bien mise en valeur dans la représentation qui est donnée au début du livre de Job.

Ce serviteur de haut rang que l’on appelle le satan a pour fonction, dans le livre de Job, de rapporter au conseil divin ce qui se passe sur la terre (cf Job 1 et 2 ). De là, dans ce livre, tous les malheurs qui fondent sur le malheureux Job dont Dieu permet qu’il soit tenté, c'est-à-dire « éprouvé ». .

Le mot « satan » comporte toujours l’article dans la Bible hébraïque
(cf Zacharie 3,1 et 2 ; Job 1,6.7.9.12. etc ; Exception remarquable, le texte de I Chroniques 21,1 :
« Satan se dressa contre Israël : il incita David à dénombrer Israël »

Dans ce texte tardif, Satan (sans article) est devenu un nom de personne. Ce sera l’usage chrétien. –jusqu’à nos jours. Ce nom de personne prend alors, dans nos langues, une majuscule. Tout comme Dieu… Gare au dualisme !

Dans le texte biblique, les textes parallèles de II Samuel 24,1 et de
I Chroniques 21,1 sont donc bien caractéristiques de ce changement.
Dans le premier de ces textes, Dieu ordonne à David un recensement de la population. Dans le texte parallèle du livre des Chroniques, c’est Satan qui inspire au roi de recenser le peuple. La colère de Dieu a (le) satan pour instrument.

Un moderne se poserait la question : ce recensement est-il ordonné par Dieu ou inspiré par Satan ? N’y a-t-il pas contradicion ? Pour les scribes anciens : la question ne se pose pas. Les scribes n’ont d’ailleurs jamais modifié ces textes afin de les rendre « compatibles » entre eux -ce que des modernes, par souci de « cohérence » auraient sans doute été tentés de faire.

Pour les anciens, l’épreuve a une seule et même source. Même si –à vues humaines- ce « Satan » en est l’instrument et l’intermédiaire. Evidemment, cela ne signifie pas une existence réelle d’un être distinct –voire un adversaire- de Dieu. Le mal personnifié n’est pas une personne.
D’ailleurs, ce mal n’en est un que du point de vue de l’homme (cf Amos 3,6).
Rappelons aussi l’usage hébreu de « en satan » (le-satan) dans le sens de :
« adverse », « opposé à » (Nombres 22,22.32 ; I Samuel 29,4 ; I Rois 11,25). Un satan est, par excellence, un adversaire (I Rois 11,14).
Venir « en satan » signifie : venir à l’opposé, en face.

Dans une pensée traditionnelle, nul ne peut s’opposer à Dieu, mais Dieu peut faire obstacle (de diverses manières) aux projets humains –lesquels sont toujours à court terme. Ce sera d’ailleurs le problème du terrible sage appelé « Qohelet » (c’est l’Ecclésiaste de nos Bibles) : L’homme ne peut comprendre ce que Dieu fait ( Ecclésiaste 8,17). Il ne vit d’ailleurs pas assez longtemps pour cela. Seul le serpent (immortel pour les anciens) est assez sage (ou rusé) pour comprendre ce que, finalement, Dieu fait. Plus la vie est longue, plus le savoir est grand !

Nos ancêtres exprimaient cela par des dictons : « Si le diable en sait tant, c’est qu’il est vieux » et « Dieu écrit droit avec des courbes » !

Enfer et damnation     

L’existence d’un enfer pour les damnés est une métaphore semblable. À pied de la lettre, un tel enfer n’existe pas plus qu’un « prince des ténèbres ». Cependant, l’un et l’autre ont bien existé dans notre culture. Les siècles que l’on appelle (faute d’un meilleur terme) « Moyen-âge », sont marqués par la crainte de l’enfer et de la damnation éternelle . Cette peur ne s’est dissipée que lentement –surtout dans nos campagnes.

De cet enfer, le diable était le grand pourvoyeur. Comment, dès lors, ne pas suivre les enseignements d’une église toute-puissante. Si cet enfer n’avait pas « existé », le pouvoir de l’église –gestionnaire du salut- aurait été diminué.

Il faut ici rappeler un aspect mal connu de la doctrine calvinienne de la double prédestination (au salut ou à la damnation). Dans cette perspective calvinienne, il est vain de se poser à ce sujet des questions auxquelles il n’y a pas de réponse. Dieu seul sait qui est « sauvé ». Personne sur terre (ni pape, ni magistère) n’a le pouvoir de décider qui sera sauvé ou damné. Dieu seul le sait.

À chacun de vivre selon qu’il a reçu, mais le salut est un don gratuit. Nul ne peut s’attribuer un mérite et, ainsi, « rendre » quelque chose à Dieu. Aucune œuvre humaine n’est, de soi, un mérite. Martin Luther avait bien vu que cette gratuité était au centre du message chrétien –selon Romains 1,17 (cfr. Habaquq 2,4) .

De là aussi, cette insistance sur le salut par la foi seule (sola fide) et non par les œuvres. Ce « salut par la foi » (qui n’est pas réductible à un salut par la croyance !) est un des thèmes fondamentaux de la Réformation du seizième siècle.

Ainsi, cette doctrine calvinienne de la prédestination -dont la formulation peut paraître étrange, aujourd’hui- créait alors un espace de liberté. Nous ne pouvons connaître ce qui dépend de la seule volonté de Dieu. Ne nous occupons donc pas d’un tel « enfer ». De fait, personne ne sait qui sera sauvé ou damné. Et ceux qui croient pouvoir l’affirmer se trompent.

Finalement, la figure d’un « diable » opposé à Dieu est un fantasme. Mais à force de représenter un fantasme : l’image finit par prendre corps. Le Diable existe puisqu’on en parle ! Certains même l’ont vu : cornes et pieds de bouc (ce qui étonnant pour un serpent !).

De là aussi, certaines maladies mentales qualifiées jadis (et parfois, encore, aujourd’hui) de « possessions ». L’église s’était donné, jadis, les armes pour combattre ces intrusions des démons. Par là, elle a aussi assuré son emprise sur les âmes simples –comme le rappelle cette ballade que François Villon fit à la requète de sa mère :

« Femme je suis povrette et ancienne
Ne rien ne sçais ; onque lettre ne leuz
Au moustier voy dont je suis parroissienne
Paradis painct , où sont harpes et luz
Et ung enfer où damnez sont boulluz ;
L’ung me faict paour, l’autre joye et liesse… »

De telles images ont –pendant des siècles- été régnantes. Par quoi sont elles remplacées de nos jours ? De toutes manières, un changement d’image de la réalité n’implique pas un changement de réalité. L’homme n’est pas devenu meilleur en pensant autrement. Les horreurs récentes (massacres et attentats) en témoignent. Aussi longtemps qu’il y aura des hommes, la question du mal restera une question ouverte.

Simplement, la question est de savoir sur quelles images (sur quels rêves)s’appuie, aujourd’hui, cette réalité.

Jacques Chopineau, Genappe, le 28 juillet 2005

(1) L’histoire des relectures occidentales de Genèse 3 est retracée dans le livre de Jean Delumeau : Le péché et la peur, la culpabilisation en Occident, XIIIème-XVIIIème siècles, Paris 1983 (Fayard).