Introduction
Le monde fut créé « par
la parole ».
Expression souvent redite, mais peu comprise. Dans notre
culture, la parole est souvent analogue à un mot.
Et dans notre monde marchand, la parole (non écrite)
est parfois un simple argument de vente qui n’engage
pas trop le vendeur. Les mots font partie de l’emballage.
Dès
lors, la création par la parole risque d’être
un énoncé incompréhensible. Cependant,
dans le langage biblique, la parole véritable est
l’expression
de la puissance de celui qui la profère. Et si celui
qui la profère est Dieu, alors cette parole est une
irruption de la réalité divine :
« Il
dit et cela est »
Psaume 33,9
Et –pour les chrétiens- cette « parole » divine,
identique au « verbe » divin, identique à un « logos » éternel,
est incarnée en la personne de Jésus.
C’est
donc une personne qui « est », depuis toujours,
depuis le « commencement », cette « parole » -ou
ce « verbe »…
Un non-théologien
s’y perdrait, si du moins il se souciait de ces définitions
anciennes.
Tentons de revenir aux textes originaux par
delà les
siècles de théologie dogmatique et de définitions
savantes. L’entreprise est, sans doute, difficile,
mais incontournable. Souvent, en effet, les mots eux-mêmes
sont la source des idées que l’on pense qu’ils énoncent.
L’écueil est alors de prendre les mots pour
des réalités (par « hypostatisation »).
Cette « parole » des origines, pourtant, n’est
pas simplement l’élément d’un discours
: un mot. C’est de puissance qu’il s’agit,
non de vocabulaire.
Une traduction
devenue habituelle
«
Au commencement », « au principe » était
le « logos », le « verbum »,
le « verbe »,
la « parole »…. Ainsi commence le prologue
de l’Evangile de Jean. Le premier mot (« archê »)
est –en grec- une reprise du début du récit
biblique de la création (Genèse 1,1). Comme
souvent, le texte de l’Evangile fait écho
au texte de la Bible hébraïque.
Le « principe » ou
le « commencement » est le même ici et
là.
Le premier mot de la Bible est une énigme.
Ce premier mot : « Be-ré’shyt » est
généralement
traduit par « au commencement », bien qu’il
n’y ait pas d’article dans le texte hébreu. « En
commencement » ou « par commencement » seraient
plus justes grammaticalement, mais nous éloigneraient
du sens devenu « canonique ».
Notons que le
mot « ré’shyt » dérive
de « ro’sh » (tête) et peut être
traduit non seulement par « commencement »,
mais aussi bien par « principe » ou « en-tête ».
C’est d’ailleurs ainsi que l’entendait
la vieille traduction latine (« in principio»).
D’autre part, la particule « be- » signifie « dans » ou « par ».
Le sens instrumental « par le moyen de » est
courant en arabe, mais moins fréquent en hébreu.
Pour autant, cet usage est fréquent en hébreu
ancien.
De fait, peu de mots ont suscité autant de commentaires
que ce mot « be-ré’shyt » que
les traductions rendent mal. Pourquoi cet usage devenu
courant
: « Au commencement » ? C’est qu’on
a vu dans ce verset un commencement absolu et non une construction
circonstancielle : « Au commencement de l’acte
créateur de Dieu… ou : « Lorsque Dieu
commença
de créer le monde… ».
Rachi, le grand
commentateur médiéval, écrit
sur ce sujet des remarques essentielles. Un autre grand
commentateur (Ibn Ezra) avait clairement vu le problème.
D’autres
ensuite ont bien vu que la traduction habituelle ne tient
pas compte de l’usage linguistique.
Il reste que
les anciennes versions (grecque d’abord)
et la vocalisation (plus tardive) des scribes « massorètes » supposent
un commencement absolu (une création « ex
nihilo «,
c’est à dire : « à partir de
rien »).
Une certaine théologie l’a emporté sur
la grammaire.
Dans cette perspective, la création « à partir
de rien » l’a emporté sur une organisation
d’un chaos primitif qui aboutit à un monde
humain. Rien ne pouvait exister avant ce « commencement ».
Pourtant :
«
L’esprit de Dieu planait sur les eaux »
(Genèse 1,2 ).
Il y avait donc de l’eau. Quand
fut-elle créée ? Rachi (encore
lui !) avait bien vu le problème : « De ce verset… il
faut conclure que les eaux ont existé avant la terre… ».
Si l’on s’en tient au sens littéral (obvie) du texte biblique
: c’est évident. Mais la « tradition » a occulté ce
point.
Le discours
de la sagesse
Les sources anciennes
(tant le « midrache » que les commentaires
médiévaux) rapprochent ce « ré’shyt » du
texte de Proverbes 8,22. Dans ce passage (un discours de la Sagesse), le
terme est employé dans le sens courant de « commencement »
Ce « commencement » est
le même que celui dont la Sagesse dit
qu’il était avec Dieu dès le commencement du monde.
Dans le texte du livre des Proverbes, la sagesse parle ainsi d’elle-même
: «
YHWH m’a créée, principe (ré’shyt) de
sa voie »
Proverbes 8,22
Nous voyons là une source
de l’identification : « ré’shyt » = « commencement » = « sagesse »….
À quoi on peut ajouter : = « Thora » (voir l’interprétation
classique du « Midrache rabba », où Dieu regarde
dans la Thora … afin
de créer le monde –avec sagesse).
Il s’agit d’une
vieille équivalence : Thora-sagesse. Que les
modernes ne s’étonnent pas. L’ancienne littérature
religieuse ne fait pas d’une vue profonde une formule ou un « dogme » à répéter.
Ce que le texte donne à voir est lié, directement, à la
seule sagesse du lecteur.
Le
verbe et l’agneau
Le
verbe (logos = verbum, en Jean 1,1) est aussi « l’agneau
de Dieu »
(« amnos
tou Theou », Jean 1,36). À s’en tenir au grec,
il n’y
a pas de rapport entre ces deux mots différents : « logos » et « amnos ».
Pourtant, la source est la même !
Il faut se souvenir que l’auteur
du prologue johannique connaît les
Ecritures anciennes et les langues (hébreu et araméen)
de ces Ecritures. Mais le grec est alors la langue la plus répandue.
Tout doit être écrit
en grec afin de pouvoir être diffusé hors de Palestine.
Souvent, pourtant, le texte grec de l’évangile laisse
transparaître
une expression originelle sémitique (non forcément
un texte original « traduit »,
mais une pensée associative
familière …).
L’agneau
de Dieu réfère au peuple d’Israël en
Esaïe :
« …. Comme un agneau (hébreu : « sè ») qui est
traîné à l’abattage »
Esaïe 53,7
Ce qui est normalement traduit
par le Targûm
(nom de la vieille traduction araméenne) « ‘imra
d’elaha » (l’agneau
de Dieu).
Notons que l’autre mot hébreu possible
(« talè » )
n’apparaît pas dans le texte d’Esaïe
53, mais ce terme apparaît seulement dans le targûm
d’un texte ésaïen
tout différent :
«
Le loup et l’agneau paîtront ensemble »
Esaïe 65,25.
En araméen, l’article
est post-posé. Ainsi, le «’imar » (agneau)
devient « ‘imra » (l’agneau). Mais
dès lors, le
mot araméen est homophone (non homographe !) du mot
hébreu « ‘imra » (parole).
En sorte
que la « parole » et l’ »agneau » sont
des homonymes –si l’on s’en tient à l’hébreu
et à l’araméen. A l’inverse, les
mots grecs « amnos »
(« agneau »)
et « logos » (« verbe »….)
n’ont rien à voir
entre eux.
L’auteur du prologue johannique
connaît
ces langues sémitiques
que sont la langue des écritures sacrées (l’hébreu)
et la langue usuelle (araméenne) qui est aussi celle
de la traduction targoumique. Jésus, de même,
parlait l’araméen (dialecte
galiléen), tout en connaissant la langue originale
des Ecritures. L’auteur
du prologue appartient au même milieu culturel.
Conclusions
Le « commencement » (le « principe »)
qui était
auprès de Dieu est la Thora (lecture juive), la sagesse
(lecture juive d’abord, chrétienne ensuite),
le « logos » (lecture
chrétienne) identique à la personne même
du Christ (cf prologue de l’évangile de Jean).
Rien d’étonnant si les kabbalistes chrétiens
de la Renaissance ont voulu lire, dans les versets du texte
hébreu de Genèse 1,1-5
, une allusion au « fils ». Pour cela, ils liront
dans les 52 mots de ce texte une désignation du « fils » qui
se dit en hébreu
: « Ben » (écrit BN, valeur numérique
52).
Quoiqu’il en soit, pendant des siècles, la doctrine
a été élaborée à l’aide
de notions et de concepts aujourd’hui incompréhensibles.
Au point qu’il est pratiquement impossible aux croyants
actuels de se demander quel est le sens des mots qu’ils
reçoivent « par tradition ».
C’est
là un des nombreux points qui font que les églises
officielles se vident parce qu’on ne comprend plus
leur langage. Dans le même temps, certaines « sectes » font
le plein. Une réflexion
critique n’est jamais celle du grand nombre.
Il n’y
a pas d’échappatoire au retour –à frais
nouveaux- au texte original et à sa traduction en
langue usuelle –par
delà les définitions élaborées
au cours des siècles.
Le texte ici choisi n’est qu’un exemple parmi
de nombreux autres…
Dans ce cas particulier, la définition
de ce « verbe » (« logos »)
qui était au commencement, est un problème
qui touche à la
nature même du Seigneur de l’église. Attention
cependant à ne
pas se figurer deux dieux (un « Père » et
un « fils »)
ou à faire de la Trinité une sorte de trithéisme
!
Il est vrai que les définitions
sous-jacentes relèvent
d’une
philosophie étrangère à notre temps.
Pourtant, ce sont ces définitions qui commandent –dans
la nuit du secret- la « réflexion » des
chrétiens d’aujourd’hui. Pour combien
de temps encore ?
Jacques Chopineau, Genappe, 7
juin 2005
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