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 Bible et liberté



    Jacques Chopineau

 

- Le règne de la violence

- Le livre de la mémoire

- Pas d’avenir sans passé

 

   

 


Souviens-toi

 

 

Le règne de la violence

Contrairement à ce que beaucoup ont répété après Rousseau, l’homme n’est pas bon par nature. C’est le contraire qui est vrai. Sans lois, sans règles imposées, sans rites observés par tous, la violence ressurgit.

Le grand Xun Zi (Sun Tse) l’exprimait –conformément à une pensée chinoise ancienne : « La nature de l’homme est mauvaise ».

Selon cette pensée, l’artificialité seule conduit au bien-agir. De là, l’importance des rites qui canalisent la conduite des humains. La violence est naturelle, non les rites.

La civilisation est une couche mince : le sauvage est proche de la surface. Que cette surface polie s’écaille et voilà le corps sauvage mis à nu. Sans règles civilisées, sans lois contraignantes, sans formes obligées, le « naturel » reprendrait vite le dessus. La jungle est naturelle ; non la démocratie.
Dans la jungle, certes, on ne s’embarrasse ni de formes, ni de procédures. C’est le règne de l’action directe. Je suis le plus fort, donc j’ai raison ! Les plus forts mangent les plus faibles. Un certain libéralisme ressemble fort à la jungle. Nous touchons ici la limite de l’anarchie. Un tel système anarchique n’a d’ailleurs jamais fonctionné dans un groupe humain où l’homme est un loup pour l’homme. Certes, il n’en est pas toujours ainsi : l’homme peut être juste, noble, généreux. Mais il suffit d’une violence tolérée, engendreuse de violences, pour que la nature reprenne ses droits.

La loi « inscrite dans les cœurs » (cf Jérémie 31) est un bel idéal, mais non une réalité humaine. Certes, les lois de la meute sont inscrites dans les cœurs des membres de la meute, mais ce ne sont pas les lois et les règles d’une civilisation humaine. Si de telles « lois » existaient dans la réalité humaine, ce serait une loi de la meute.

Les loups connaissent une telle loi de la meute. L’anarchie serait la fin de la meute. C’est pourquoi les loups respectent fidèlement cette loi qui commande leur survie. Mais malheur aux moutons !

L’histoire fournit de nombreux exemples de cette violence innée –laquelle est limitée seulement par la civilisation. L’horreur n’est jamais loin. Rappelons que les horreurs du nazisme ont explosé dans un pays de haute culture et au long passé chrétien.

Cela ne doit jamais être oublié. La mémoire est indispensable si l’on ne veut pas un recommencement de l’horreur. L’oubli est mortifère par la distance qu’il établit entre l’horreur et le présent.

Le livre de la mémoire  

La Bible est le livre de la mémoire. D’autres civilisations ont davantage laissé des traces architecturales ou épigraphiques, mais le peuple de la Bible a transmis ce grand monument qui est constitué par la bibliothèque biblique.

« Et leurs fils, qui ne savent pas, entendront ; et ils apprendront à craindre le Seigneur votre Dieu tous les jours où vous serez en vie sur la terre dont vous allez prendre possession en passant le Jourdain » Deutéronome 31,13

C’est –pour ce peuple- le début de l’histoire et, déjà, il est fait appel à la mémoire. De nombreux textes bibliques insistent sur cette nécessité de mémoire, au point d’en faire un devoir religieux fondamental. L’oubli est coupable ; la non-transmission est un manque. Et comment ne pas oublier ce qui n’est pas transmis ?

C’est la fonction du rite. Le souvenir est une continuation de la vie. L’oubli est la mort du passé. Mais il faut que le lien avec ce rite soit un lien vivant. Car le rite peut devenir une simple répétition : un lien purement formel avec un passé déjà mort et que les mots ne peuvent faire renaître. De là, cet appel biblique continuel à la réintériorisation des événements du passé...

« Qu’on se souvienne de ce jour où vous êtes sortis d’Egypte » Exode 13,3
« Pour te souvenir, tous les jours de ta vie, du jour où tu es sorti d’Egypte » Deutéronome 16,3
« souviens-toi de toute la route (40 ans dans le désert)» Deutéronome 8,2 (cp 8,18)
« Tu te souviendras qu’au pays d’Egypte tu étais esclave… » Deutéronome 15,15 ; (cp id. 5,15 ; 16,12)
« garde-toi bien d’oublier ton Dieu » Deutéronome 8,11
« Souviens-toi, n’oublie pas, que tu as irrité le Seigneur ton Dieu dans le désert » Deutéronome 9,7

Les événements du passé sont des éléments de notre réalité. Non pas par une célébration qui serait un simple rappel de l’histoire, mais par une longue réintériorisation :
« Souviens- de ce que le Seigneur a fait à Myriam » Deutéronome 24,9
« Souviens-toi de ce qu’Amalek t’a fait… » Deutéronome 25,17 (cp Exode 17,8-16)

Rien d’étonnant si cette « loi prêchée » qu’est le livre du Deutéronome, revient souvent sur ce point essentiel. Pas de religion sans mémoire.

Pas d’avenir sans passé  

Le « devoir de mémoire » est une tâche humaine sans laquelle l’humain n’aurait pas d’avenir. Un lien profond unit le devoir de mémoire et la civilisation humaine. « Plus jamais ça ! », dit-on, après chaque de barbarie. Mais l’oubli fait que la barbarie est immortelle. C’est la jungle qui est naturelle –non la civilisation.

D’autre part, aucune civilisation ne peut survivre sans mémoire. Au contraire, les loups vivent dans l’instant. Le présent leur suffit. Mais un programme génétique n’est pas une mémoire humaine. Sous peine d’être lui aussi un loup, l’homme veut enraciner son présent dans une histoire. Tel un arbre, il s’élève d’autant plus haut que ses racines sont profondes.

C’est pourquoi notre histoire doit nous être connue. Evidemment, cela peut exiger un long apprentissage. Religieuse ou non, toute culture suppose une éducation –laquelle connaît des moments plus forts que d’autres, mais jamais de terme.

Dans tous les cas, nous ne sommes pas meilleurs que nos anciens et la barbarie est aussi proche de nous qu’elle était proche de leur quotidien. Nous avons plus de science, mais non plus de sagesse.

Et, finalement, homme, souviens-toi aussi que tu es mortel et que tu retourneras à la poussière (Genèse 3,17). Cela non plus, les animaux ne le savent pas. Mais être homme, c’est avoir conscience de cette réalité universelle, car c’est elle qui commande notre respect de l’homme concret. Souviens-toi...

Jacques Chopineau, 18 mai 2005